« On a anticipé notre départ, on est venu plus tôt », explique un père de famille, valise à la main, debout sous l’abri voyageurs de l’embarcadère de Mamoudzou, ce mardi 12 août à 11 h. « J’ai cru comprendre qu’il y a une barge toutes les 1 h 30, je ne sais pas quand sera la suivante donc on attend ». « Je dois prendre un avion à 16 h 00, j’ai garé ma voiture à Mamoudzou alors que je voulais rejoindre l’aéroport, je vais devoir prendre un taxi en Petite-Terre », témoigne une femme, lunettes de soleil sur le nez, qui attend depuis plus de 20 minutes. Au loin, aucune barge n’est visible sur le lagon, signe qu’il faut encore patienter.

Suite à l’appel du syndicat Force Ouvrière (FO), la grève du Service des Transports Maritimes (STM), oblige les usagers à s’adapter. En ce premier jour de mouvement, l’incertitude domine et la résignation s’installe sur les visages. « Il y a une barge toute les heures ? », questionne un homme, sans obtenir de réponses précises.
En cette fin de matinée, aucun agent du STM n’est présent pour apporter des précisions. La veille, le syndicat a indiqué chez nos confrères de Mayotte la Première, qu’il y aura une seule barge en service, entre 6 h et 18 h, avec une interruption entre 12 h et 14 h.
Les billetteries sont fermées par un bandeau rouge et blanc, signe que la traversée est gratuite. En guise d’information, les passagers peuvent lire les revendications du syndicat, affichées sur les vitres des guichets. Malgré les réunions entre syndicalistes et élus, dont la dernière s’est tenue lundi 11 août, la situation est donc toujours bloquée.
Réorganisation du réseau : FO dénonce une privatisation du service

Le 1er août dernier, le syndicat FO a déposé un préavis de grève pour contester le projet de réorganisation du réseau de transport public souhaité par le Conseil départemental. Ce dernier veut, dès janvier 2026, créer un système de billetterie modernisé et unique, opéré par la société Transdev, désignée pour assurer la régie des recettes et le contrôle des titres sur terre, dans les lignes interurbaines, comme sur le lagon, avec les trajets en barge.
FO déplore un manque d’informations préalables et de transparence de la part du Conseil départemental, et dénonce une démarche visant à privatiser à court terme le Service des Transports Maritimes, sans consultation ni accord des instances paritaires. Pour le syndicat, le risque est que le service public essentiel de transport maritime soit transformé en une activité gérée selon des logiques commerciales, avec un impact négatif sur les agents, le service rendu aux usagers, et la maîtrise publique du service.
Un marché public de prestation garant du contrôle du Département ?

Ali Omar, vice-président au Conseil départemental, chargé de l’administration générale, du transport et de la transition écologique, précise qu’il ne s’agit pas d’une délégation de service, mais d’un marché public de prestation. Cela signifie que la collectivité définit les conditions du service (horaires, tarifs, fréquences) et rémunère directement Transdev pour l’exécuter. Les recettes issues des billets ne constituent pas la rémunération principale de la société, et le risque économique reste supporté par le Conseil départemental, ce qui distingue ce contrat d’une délégation de service public. Une différence de terme importante qui permet de limiter, en principe, les logiques purement commerciales, en laissant la maîtrise au Département.
Chaque année le Service des Transports Maritimes (STM) transporte plus de six millions de passagers, ce qui en fait, selon la chambre régionale des comptes (CRC), le service de transports maritimes le plus fréquenté de France. Mais l’équilibre financier reste fragile : chaque année, le Département compense un déficit d’exploitation d’environ 14 millions d’euros, alors que les recettes issues de la billetterie et d’autres activités atteignent environ 4,5 millions d’euros. La gestion de la billetterie, historiquement perfectible, souffre d’un manque de fiabilité dans le suivi des usagers et des recettes, ce qui a conduit à des alertes et à des signalements auprès des autorités compétentes.
« Plus la grève va durer, plus il y aura du retard sur les barges »
La grève rappelle la forte dépendance de la population à la traversée en barge entre Mamoudzou et Dzaoudzi, qui constitue la seule voie pour se rendre hors du territoire via l’aéroport, transporter les marchandises et assurer le fonctionnement de l’économie locale entre les deux îles. Certes les ambulances et les véhicules sanitaires légers sont autorisés à embarquer sur les barges, mais ils subissent également le ralentissement du service, tout comme les personnes qu’ils transportent. Du côté de l’aéroport, Air Austral a mis en place des mesures commerciales exceptionnelles afin de permettre à sa clientèle de modifier ou reporter son voyage, jusqu’à un retour à la normale.

Au-delà du conflit entre la majorité du Conseil départemental et le syndicat, la perturbation d’un service vital, sans alternative, instaure chez la population un sentiment de prise en otage, d’autant plus inquiétant qu’elle peut survenir à tout moment.
« Plus le conflit va perdurer, plus il y aura du retard sur les barges », avertit un membre du STM, en descendant de la barge Le Polé, sur laquelle flotte un drapeau FO, qui arrive finalement à Mamoudzou, à 11 h 45.
Pour celles et ceux qui veulent effectuer la traversée dans les prochains jours, il vaut mieux courir pour ne pas manquer le départ.
Victor Diwisch