Mayotte et La Réunion : souveraineté alimentaire, entre urgence sociale et défis d’autonomie

« Il faut renforcer l’offre alimentaire locale pour que les populations dépendent moins des importations », souligne Éric Jeuffrault, directeur régional du Cirad.

Mayotte et La Réunion, deux départements français situés dans l’océan Indien, sont confrontés à des enjeux majeurs en matière d’accès à une alimentation suffisante, saine et durable. Dans le monde, si la faim reste un fléau majeur en Afrique, ces territoires insulaires, pourtant sous administration française, subissent eux aussi les conséquences d’une forte dépendance aux importations alimentaires et d’une précarité persistante. « Malgré une production locale importante à La Réunion, et un potentiel agricole à Mayotte, les populations souffrent encore d’insécurités alimentaires notables », rappelle Éric Jeuffrault, directeur régional du Cirad pour la région océan Indien.

Précarité alimentaire : un constat alarmant entre Mayotte et La Réunion

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Des militaires s’attellent pour la distribution de bouteilles d’eau à la population de Mayotte sinistrée après le Cyclone Chido.

Le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) révèle une situation particulièrement préoccupante à Mayotte, où plus de 57 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire, un chiffre alarmant qui s’est encore aggravé après le cyclone Chido survenu le 14 décembre 2024. La Réunion, bien que plus développée, ne fait pas exception, avec près de 30 % de sa population vulnérable à la précarité alimentaire. Cette disparité paradoxale met en lumière que la richesse agricole ne garantit pas l’accès universel à une alimentation de qualité, et que les inégalités sociales et économiques jouent un rôle déterminant.

L’autonomie alimentaire : un enjeu de résilience face aux crises

Face à ces défis, les experts et acteurs locaux s’accordent sur la nécessité de renforcer l’autonomie alimentaire de ces deux territoires insulaires. Éric Jeuffrault insiste : « Il faut impérativement développer la production locale pour réduire la dépendance aux importations, qui fragilisent nos territoires face aux fluctuations des marchés et aux aléas climatiques ». Cette transition vers une agriculture plus durable, axée sur les circuits courts et l’agroécologie, pourrait être un levier essentiel pour la résilience des îles, mais elle nécessite des politiques publiques ambitieuses, un soutien accru des collectivités et une mobilisation de tous les acteurs, du producteur au consommateur.

Plus d’un tiers des Mahorais et des Réunionnais concernés 

À Mayotte, la précarité alimentaire a conduit à une mobilisation intense des associations, particulièrement après la catastrophe de Chido. La Croix-Rouge, Solidarité Mayotte et d’autres acteurs ont multiplié les programmes d’aide alimentaire et les campagnes de sensibilisation à l’importance de l’agriculture locale. La Collectivité départementale, avec l’appui du Cirad et de la FAO, investit dans des projets visant à renforcer la production vivrière.

Sur le terrain, des initiatives comme celles du collectif Haki Za Wanatsa – CIDE Mayotte, qui distribue bons alimentaires et fournitures scolaires tout en luttant contre les violences, ou encore l’action d’urgence de l’association Kaja Kaona auprès des familles sinistrées, illustrent ces efforts.

La Réunion, visite officielle, Manuel Valls, Ministre des Outre-mer, cyclone, Garance, Saint-Denis
Le 7 mars dernier, à La Réunion, des avances avaient également été annoncées par le ministre des Outre-mer pour les agriculteurs afin d’éviter les ruptures de trésorerie, tandis que le Département s’était engagé à injecter 15 millions d’euros en soutien à la profession.

À La Réunion, où près de 36 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2024, la précarité s’est accentuée après le passage du cyclone Garance, le 28 février 2025. L’événement climatique a durement frappé l’île, en particulier le secteur agricole, déjà affaibli par le cyclone Belal et une sécheresse prolongée de sept mois. « Toutes les exploitations sont touchées », alertait alors Olivier Fontaine, président de la chambre d’agriculture. « La canne à sucre, les fruits, les légumes, les élevages, jusqu’aux cultures traditionnelles comme la vanille ou le cacao : rien n’a été épargné ».

Face à cette urgence, les associations — à commencer par le Secours Catholique et la Banque Alimentaire — ont intensifié leurs opérations auprès des familles sinistrées. Sur le plan institutionnel, l’État a annoncé un soutien exceptionnel. En déplacement sur l’île le 7 mars dernier, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, avait promis la mobilisation du fonds de secours des Outre-mer à hauteur de 200 millions d’euros.

Ce plan d’urgence vient compléter le dispositif plus structurel du Plan Alimentation et Agriculture Durable (PAAD), lancé en 2021 pour encourager les circuits courts et l’agroécologie. Mais ce dernier reste entravé par des contraintes lourdes : insularité, coût élevé des terres agricoles, aléas climatiques récurrents et fortes disparités socio-économiques.

Quand la faim s’invite à l’école 

Lycée cité du Nord, Acoua, Mayotte,
À Mayotte, les établissements scolaires sont dépourvus de cantine.

À Mayotte, la précarité alimentaire touche de plein fouet le milieu scolaire. Sur l’ensemble de l’île, l’absence de cantines prive plus de 117.000 élèves de repas réguliers. Un manque criant dans un territoire où plus d’un enfant sur deux vit sous le seuil de pauvreté.

Au lycée de la Cité du Nord, à Acoua, la direction a un temps envisagé de supprimer les récréations, pour limiter les tensions et les allers-retours à l’extérieur. Mais ces pauses restent, pour beaucoup d’élèves, la seule occasion de trouver à manger. « Supprimer les récréations, c’est inentendable », estimait Zouhouria Mouayad Ben, 4ᵉ vice-présidente du Conseil départemental, soulignant l’urgence d’un plan alimentaire à l’échelle des établissements. Dans un tel contexte, parler de souveraineté alimentaire ne peut se limiter au soutien aux filières agricoles. Il s’agit aussi, très concrètement, de nourrir les enfants.

Mathilde Hangard

* Données issues de la rentrée scolaire de 2024.

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