À Mayotte, la pénurie d’eau n’épargne personne. Les coupures prolongées affectent l’ensemble de la population, des foyers les plus aisés aux plus précaires. Mais face à l’absence d’eau courante, les capacités d’adaptation varient fortement : les uns peuvent acheter des packs d’eau ou stocker dans des cuves, les autres, faute de moyens, se tournent vers des sources non traitées — pluie, rivières, retenues informelles — exposant leur santé à de graves risques.
Car l’eau n’est pas seulement un besoin : c’est une nécessité vitale. Les experts rappellent qu’un être humain peut survivre plusieurs semaines sans nourriture, mais rarement plus de trois jours sans boire.
Face à cette situation, l’ONG Solidarités International, créée en 1980 et historiquement active sur des terrains de crise humanitaire à l’international, a décidé d’agir. En 2020, elle a ouvert une mission « France« , pour répondre à des situations d’exclusion hydrique, comme à Mayotte, où la situation était bien au-dessus des seuils critiques. « On a vu des indicateurs très élevés de maladies hydriques à Mayotte. Sur place, on a constaté que la situation allait au-delà des seules coupures d’eau : dans les bidonvilles, il s’agissait d’un problème d’accès à l’eau au sens strict », rapporte Brice Guillaume, référent mobilisation communautaire sur la mission France au sein de l’ONG.
Un diagnostic affirmé et documenté sur le terrain
Depuis décembre 2022, Solidarités International réalise des observatoires réguliers sur l’accès à l’eau dans le 101ème département français, dont quatre éditions, la dernière avait été centrée sur l’épidémie de choléra en 2024. Brice Guillaume, revenu sur le terrain deux mois après le passage dévastateur du Cyclone Chido, explique : « Face à l’urgence, on a mis en place des outils de chloration pour traiter l’eau qui était disponible, on a distribué des kits d’hygiène, réalisé des formations, pour réduire au maximum les risques de développement de maladies hydriques ».

Son expérience précédente pendant la crise du Covid-19 lui avait déjà donné un aperçu clair : « À Mayotte, un grand nombre de personnes souffrent quotidiennement d’un manque d’eau ou de nourriture. On est dans une situation digne d’une urgence humanitaire. C’est typique de ce qu’on peut voir dans d’autres pays où les infrastructures publiques manquent ».
Dans certains quartiers démunis de l’île, les habitants doivent puiser dans des sources non sécurisées, comme les rivières ou récolter de l’eau de pluie, pour boire et s’alimenter, ce qui favorise la propagation de maladies hydriques graves telles que la typhoïde, les diarrhées sévères ou encore le choléra.
Des solutions techniques identifiées, mais un cadre législatif insuffisant
Lors d’une conférence de presse à Paris le 23 juin, Solidarités International a pointé du doigt les limites du projet de loi de refondation pour la reconstruction de Mayotte, jugé insuffisamment ambitieux face aux enjeux liés à l’eau. Brice Guillaume déplore : « L’eau est reléguée en annexe… La portée législative est faible, et l’attention est presque uniquement portée sur la production d’eau. Certes, la production est problématique — la troisième retenue n’est toujours pas construite, et l’usine de dessalement fonctionne en deçà des attentes — mais rien n’est prévu concernant l’accès et la distribution ».

Pour l’ONG, les bornes fontaines et rampes électriques ne couvrent qu’environ 2 % de la consommation d’eau totale de l’île et demeurent souvent inaccessibles ou payantes pour les populations les plus vulnérables, notamment celles en situation irrégulière. Brice Guillaume insiste : « Il est indispensable d’étendre le réseau public de distribution d’eau existant au-delà des infrastructures actuelles, pour garantir un accès sécurisé à l’eau à la population de Mayotte dans son ensemble et réduire la prévalence de ces maladies hydriques sur le territoire ».
Sur le plan juridique, bien que la France ne reconnaisse pas formellement un droit fondamental à l’eau dans sa Constitution, la Directive européenne 2020/2184 impose aux collectivités territoriales de réaliser un diagnostic précis de l’accès à l’eau et de mettre en œuvre des mesures durables pour garantir une distribution continue et équitable. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a reconnu en 2013 que l’accès à l’eau potable relève d’un principe fondamental, ce qui confère une certaine valeur juridique à ce droit.
Urgence climatique et nécessité d’un geste politique fort
La baisse progressive de la pluviométrie à Mayotte, conséquence directe du changement climatique, aggrave la précarité liée à l’accès à l’eau potable. Cette situation chronique provoque des coupures répétées et favorise la recrudescence des maladies hydriques, révélant un retard significatif dans les infrastructures et les politiques publiques du département.

Solidarités International soutient pleinement le rapport collectif Soif de justice, qui dénonce le caractère structurellement discriminatoire de cette crise et réclame des financements accrus ainsi qu’une participation effective des populations locales. Plusieurs territoires ultramarins français — Mayotte, Martinique, Guadeloupe, Guyane — souffrent d’inégalités profondes en matière d’accès à l’eau potable comparé à l’Hexagone, un constat que l’ONG souligne régulièrement.
Face à ces défis, Solidarités International rappelle qu’il est urgent de considérer l’eau non plus comme une simple ressource, mais comme un service public fondamental, garant de santé, dignité et justice sociale, alors que le projet de loi de refondation pour la reconstruction de Mayotte est actuellement débattu à l’Assemblée nationale…
Mathilde Hangard