À une semaine de la fin de l’année scolaire, le lycée polyvalent de la Cité du Nord, à Acoua, traverse une zone de turbulences. Dans un établissement marqué par des infrastructures endommagées depuis le cyclone Chido, une surcharge des effectifs et des coupures informatiques persistantes, la décision du chef d’établissement de supprimer les récréations à la rentrée 2025 a mis le feu aux poudres. Présentée comme une réponse aux problèmes de sécurité, cette mesure suscite de vives réactions au sein de la communauté éducative.
Supprimer les récréations pour éviter les violences ? Une mesure qui divise
C’est une annonce qui, en apparence, tient du simple ajustement logistique. Mais au lycée du Nord, la suppression envisagée des récréations à la rentrée prochaine a fait l’effet d’un électrochoc. Présentée par la direction comme une réponse aux problèmes de sécurité, la proposition vise à limiter les va-et-vient, devant l’établissement scolaire, considérés comme des foyers de tensions, voire de violences. Le temps d’enseignement serait maintenu, les interclasses légèrement allongés.

D’abord bien accueillie en conseil d’administration, la mesure a depuis suscité une vive contestation. Environ 80 enseignants ont signé une pétition contre cette réforme, rejoints par plus de 300 élèves. Zouhouria Mouayad Ben, 4ème vice-présidente chargée des Sports, de la Culture et de la Jeunesse au Conseil départemental, et membre du conseil d’administration, déclare : « Je n’ai jamais entendu parler d’un établissement sans récréations. C’est anormal ». Elle précise avoir demandé, avec d’autres, la tenue d’un conseil d’administration extraordinaire : « Le proviseur a convoqué un conseil d’administration extraordinaire jeudi pour qu’on puisse débattre donc j’ai signé le courrier qui a demandé la tenue de ce CA extraordinaire ».
La direction invoque un impératif : garantir la sécurité des élèves. Le chef d’établissement évoque en particulier l’épisode du 5 avril 2025, lorsqu’un groupe de jeunes extérieurs armés de machettes, avaient blessé plusieurs élèves du lycée et endommagé des bus scolaires. Il rappelle aussi que nombre d’élèves quittent le lycée pour acheter à manger, faute de restauration scolaire.
Mais pour l’élue, cette suppression ne saurait être une réponse acceptable. « Il faut qu’on trouve des solutions pour lutter contre l’insécurité, notamment en travaillant sur l’accueil des jeunes avant le début des cours, car c’est souvent à ce moment-là, ainsi que pendant les récréations, que les faits se produisent », estime-t-elle. Quant à l’absence de cantine, elle y voit un enjeu central : « Cela fait justement partie des choses que nous devons mettre sur la table ». Et de conclure sans détour : « Supprimer les récréations, c’est inentendable. Les élèves ne peuvent pas enchaîner les cours jusqu’au soir sans pauses, et pour les enseignants, c’est tout simplement impossible ».
Un constat que partage une professeure du lycée : « Les soucis de sécurité nous ont fait oublier que le corps et l’esprit ont besoin de pauses dans la journée ». Pour elle, le besoin de souffler et de se restaurer reste fondamental, dans un établissement où la tension est déjà palpable. « Certains assurent plusieurs heures d’affilée sans pause, dans des conditions déjà tendues ».
Un réseau local en panne, des professeurs sans outils

À ce contexte tendu, s’ajoutent des difficultés d’ordre informatique. Depuis près d’un mois, les coupures de réseau se sont intensifiées au lycée de la Cité du Nord, rendant l’utilisation des outils numériques presque impossible. Une professeure explique : « Cela fait environ trois semaines que je ne peux plus travailler à mon bureau au lycée », précisant que l’accès au réseau intranet est devenu intermittent, avec des connexions qui « disparaissent du jour au lendemain ».
Selon des informations internes, le serveur local, utilisé pour accéder aux fichiers, logiciels et bases de données pédagogiques, n’aurait pas été mis à jour depuis trois ans. Dans le même temps, l’établissement est passé d’un opérateur à un autre, passant de SFR à Starlink, ce qui aurait déstabilisé une infrastructure déjà fragilisée. « Ce n’est pas l’abonnement Starlink qui dysfonctionne, c’est notre serveur qui semble être obsolète », explique la même enseignante.
Les conséquences sont concrètes : impossibilité de consulter ou d’enregistrer les retours de livres, accès bloqué à certaines messageries professionnelles, difficultés à consulter les cours, abonnements ou commandes passées. Si certains collègues utilisent leur matériel personnel, cette professeure s’y refuse, dénonçant une inégalité de traitement : « Je refuse d’utiliser mon matériel personnel (…) car je refuse cette discrimination ».
Un établissement à bout de souffle, un Grand oral sous tension

Derrière ces tensions se cache un mal plus profond : le lycée de la cité du Nord, comme de nombreux établissements de Mayotte, manque de moyens structurels. La rentrée 2025 devrait voir l’arrivée de plus de 100 élèves supplémentaires, en raison de la fin d’un accord permettant d’accueillir certaines classes dans un collège voisin. Aucune salle modulaire n’aurait été livrée à ce jour, malgré des demandes répétées.
Par ailleurs, certains bâtiments endommagés par le cyclone Chido, survenu le 14 décembre 2024, restent inutilisables. Plusieurs enseignants qualifient la situation de « bricolage permanent ». Dans un courrier adressé récemment à la nouvelle rectrice de l’Académie, des personnels auraient alerté sur un établissement « à la limite de la rupture ».
Alors que les épreuves du baccalauréat se poursuivent, l’inquiétude reste palpable. Une panne du réseau aurait pu compromettre le bon déroulement du Grand oral. Par chance, « la plateforme nationale a fonctionné lundi », confie une professeure soulagée. Mais pour combien de temps encore ? « Ici, on bricole, mais on s’épuise », ajoute-t-elle.
Mardi après-midi, une nouvelle alerte a ravivé les tensions : une panne de courant survenue à 15h10 au lycée a semé le doute. On ignore toujours comment les enseignants pourront enregistrer les notes du baccalauréat prévues pour cette journée.
Mathilde Hangard