Mayotte : 25 ans de lutte contre l’immigration clandestine, un bilan d’échec selon le sénateur Saïd Omar Oili

Le sénateur de Mayotte dresse un constat sévère sur l’inefficacité des politiques migratoires, appelant à une refonte urgente et globale de l’approche régionale et sociale.

Ce jeudi 19 juin, Saïd Omar Oili, sénateur de Mayotte, a présenté un rapport réalisé en collaboration avec une étudiante de Sciences Po, dressant le bilan de 25 ans de lutte contre l’immigration clandestine sur l’île. Fruit d’une analyse rigoureuse appuyée sur des données issues de l’Insee, de la préfecture de Mayotte, et de rapports parlementaires, ce travail vise à apporter une vision claire, « loin des présupposés idéologiques ou des opérations de communication”. « Comme vous le savez, je n’ai pas l’habitude de dissimuler des réalités », a-t-il insisté.

Un constat d’inefficacité et une population étrangère en forte progression

Mayotte, police aux frontières, PAF,
7 jours/7, 24h sur 24h, les agents de la police aux frontières (PAF) surveillent les eaux mahoraises

Le sénateur dresse un constat sans concessions. Malgré les moyens déployés, « on constate une inefficacité de l’État et un décalage entre les politiques publiques et la nature de leurs effets sur le territoire”. Il rappelle l’évolution démographique marquante de Mayotte, où la population étrangère est passée de 14 % en 1991 à 34,7 % en 2021. « La majorité est en situation irrégulière », précise-t-il, et « près d’un habitant sur deux est de nationalité étrangère à Mayotte« .

Le rapport souligne un paradoxe dans la stratégie actuelle de lutte contre l’immigration clandestine : « On met beaucoup de moyens en mer mais on intercepte plus en terre que sur la mer« . Saïd Omar Oili questionne cette approche : « Pourquoi on met des moyens d’intercepter en mer alors qu’elles (ndlr : les personnes en situation irrégulière) sont plutôt interceptés en terre ?« .

D’après le rapport, entre 2001 et 2023, plus de 327.000 éloignements auraient été réalisés, sans freiner durablement les flux migratoires. Cette politique de lutte contre l’immigration clandestine, analysée par les gouvernements et experts successifs sur ce sujet à travers douze rapports et soixante-dix-sept recommandations, n’a pas atteint ses objectifs, selon le sénateur.

Face à l’immigration, social et éducatif en première ligne

En 2019, plusieurs manifestations contre la surpopulation scolaire avaient éclaté.

Au cours de la conférence de presse, Saïd Omar Oili a souligné que la lutte contre l’immigration clandestine ne peut se limiter à des mesures sécuritaires. « Il faut faire la différence entre un étranger venu d’ailleurs et celui qui vit à Mayotte. On a beaucoup d’enfants étrangers à Mayotte. Dans ce contexte, il faut les scolariser, car l’école est obligatoire », a-t-il expliqué.

Pourtant, le sénateur a rappelé que le système éducatif local est sous pression, avec un déficit criant d’infrastructures : « Il manquait encore sept collèges, quatre lycées, et douze mille classes » avant le passage du cyclone Chido. Pour lui, ces défis éducatifs s’ajoutent à la complexité de l’intégration des jeunes nés sur le territoire, qui « même avec leur bac en poche, ne peuvent pas partir« . L’enjeu social et éducatif apparaît ainsi comme un volet central dans la gestion de l’immigration et dans la perspective du développement du territoire, nettement sous-estimé jusqu’alors.

Une loi de refondation controversée et des réserves parlementaires

Régulièrement, les forces de l’ordre interviennent sur des barrages, des caillassages ou des affrontements entre jeunes de villages rivaux.

Le projet de loi pour la refondation de Mayotte, actuellement débattu au Parlement, prévoit des mesures renforcées sur la question migratoire, l’éducation, les infrastructures, ainsi que des dispositifs facilitant les expropriations et expulsions. Saïd Omar Oili, qui a voté en faveur du texte lors du vote solennel au Sénat, a toutefois exprimé de fortes réserves, qualifiant ce projet de « fuite en avant« . Il doute de l’efficacité des mesures restrictives, rappelant que « la loi de 2018, avec ses restrictions sur la nationalité, n’a pas porté ses fruits« .

Pour lui, « la refondation devrait avoir un regard très large sur ce qu’il s’est passé avant et maintenant sur le territoire« . Il appelle à une coopération régionale renforcée avec les Comores, Madagascar, et des pays d’Afrique, notamment de la région des Grands Lacs, afin de « mieux traiter les causes profondes de l’immigration, plutôt que de se limiter à des mesures restrictives ». Il souligne que « les réfugiés des Grands Lacs n’étaient pas là il y a dix ans » et que les dynamiques migratoires ont profondément évolué. Pour y faire face, il appelle à dépasser une approche strictement sécuritaire, afin de mieux tenir compte de la complexité démographique et des réalités humaines de l’île, alors que les réponses actuelles montrent leurs limites.

Mathilde Hangard

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