Le samedi 26 novembre 2022, aux alentours de 11 h 30, une voiture est retrouvée renversée sur le toit après une collision avec un arbre, sur la route entre Sada et Tahiti plage, direction Poroani. La carrosserie complètement enfoncée signale que le choc a été violent. Très vite, un attroupement se crée autour de la carcasse pour tenter de sauver les deux passagers. Les pompiers opèrent à la désincarcération de la voiture, le conducteur s’en sort avec quelques blessures au bras, mais la passagère, assise à l’arrière, est grièvement blessée. Rapatriée en urgence à l’hôpital par l’hélicoptère du SMUR, elle succombera à ses blessures dans la journée.
Absence de témoins et d’expertise, le deuil impossible

Ce mardi 10 juin, le conducteur, Salim* 71 ans, est entendu par le tribunal judiciaire de Mayotte. Accusé d’homicide involontaire pour ne pas avoir été maître de son véhicule, l’homme ne se souvient de rien. « Je n’ai plus aucun souvenir si ce n’est de m’être réveillé sur un lit d’hôpital après l’accident”, insiste-t-il, devant les juges. A cette perte de mémoire s’ajoute l’absence totale de témoins directs de l’accident. Seul le croquis, réalisé par les forces de l’ordre après le crash, donne une esquisse de ce qui s’est passé. Il indique une sortie de route, un choc avec un arbre et une voiture qui fait des tonneaux sur plusieurs mètres. Au vu des observations, il est affirmé que la victime n’était pas attachée avec sa ceinture de sécurité.
Mais la voiture détruite est mise de côté sans qu’aucune expertise ne soit réalisée pour savoir si le conducteur roulait trop vite ou si les freins ont été défectueux par exemple. Sans faire de généralité, la procureure indique que cette situation peut arriver à Mayotte, qui manque d’experts en la matière. L’avocat de la partie civile, représentée par la fille de la victime, estime qu’il y a eu une négligence sur la voiture et que l’expertise n’a jamais eu lieu comme elle aurait dû l’être. Un vide de plus. « Je ne sais même pas quoi vous dire”, signale aux juges la fille de la victime, avant de fondre en larmes. Entendu en janvier dernier, elle avait indiqué « faire avec le décès », mais l’absence de réponses ne lui permet pas de faire un deuil complet.
Rares échanges entre les familles

Mère de neufs enfants, la victime avait fait du stop pour se rendre à Poroani, c’est à ce moment-là que Salim lui a proposé de la ramener. « En traversant Sada je l’ai aperçue faire du stop près de la boulangerie, elle est montée à l’arrière de la voiture et j’ai démarré. Je ne roule pas vite, entre 40 et 50km/h”, relève Salim, qui depuis l’accident ne roule plus en voiture. Les deux personnes se connaissent déjà puisqu’ils sont voisins et se côtoyaient parfois. Une relation qui a empêché le conducteur d’aller à la rencontre de la famille de la victime, par « peur » de l’accueil. Ses frères ont néanmoins entrepris les démarches et il a participé à hauteur de 200 euros pour les funérailles.
« J’appréhende de me rendre auprès de sa famille, j’ai l’idée en tête, j’aimerais le faire », confie l’homme âgé, qui repense souvent à l’accident et tente de tourner la page dans ses prières quotidiennes. « Le grand frère du conducteur est venu nous voir, mais on a eu aucune nouvelle. Il n’a jamais cherché à expliquer le contexte de l’accident », déplore la fille de la victime, qui n’a pas porté plainte. Si l’affaire est aujourd’hui devant la justice c’est par le biais de la procureure de la République qui a engagé les poursuites.
Une condamnation pour manque de maîtrise du véhicule
« Il y a de la tristesse des deux côtés mais le conducteur doit être maître de son véhicule et le fait de manquer à cette maîtrise constitue la faute pénale », indique la procureure qui demande la condamnation du conducteur à deux ans d’emprisonnement assortis d’un sursis simple, avec une annulation du permis de conduire et une interdiction de passer l’examen pendant trois ans. « Il y a un âge où l’on doit s’arrêter de conduire. On ne veut plus le voir sur la route ».

« On dit simplement qu’il y a un accident et c’est tout ? », questionne l’avocat du prévenu, « dans ce dossier, sans expertises, avec une route dangereuse et pas bien entretenue et avec un blackout total lors de l’accident, on n’a pas d’éléments objectifs pour condamner le conducteur. Il n’est nullement établi une faute. Je demande la relaxe”.
Le tribunal a tranché en condamnant le conducteur a un an d’emprisonnement, assorti d’un sursis simple pour homicide involontaire et faute de maîtrise du véhicule, avec l’annulation du permis de conduire et l’impossibilité de repasser les examens pour l’obtenir.
Du côté des ayants droits de la victime, une audience prévue le 2 octobre prochain concernera la question des indemnités, à savoir si l’assurance du conducteur devra les verser ou bien s’il s’agira du tribunal en lui-même pour réparation des préjudices subis.
Dans tous les cas, personne, et surtout la famille de la victime, ne saura ce qui s’est réellement passé en cette fin de matinée sur la route entre Sada et Poroani.
Victor Diwisch
*le prénom a été modifié