Le 1er novembre 2013 sous la présidence de Daniel Zaïdani, le conseil départemental délègue la gestion du port à la SNIE de Ida Nel qui crée ensuite la société Mayotte Channel Gateway (MCG) à cet effet. S’en suivront toute une série de dysfonctionnements. Avec notamment la volonté de la femme d’affaire d’exercer la manutention et la gestion en changeant les codes APE de ses sociétés, un cumul interdit par la loi. En l’absence de régulation, en tant que gestionnaire, elle orientait les activités de chargement et de déchargement des navires vers sa société Manu-Port, vidant l’historique SMART de son chiffre d’affaires.
Pour rentabiliser une partie du monumental matériel portuaire – grues et RTG – acheté par le biais de la défiscalisation, la gestionnaire du port de commerce n’avait pas hésité à les amortir sur une période courte, augmentant les charges, avec comme moyens de les financer, des tarifs portuaires hors de prix comme nous l’avons constamment dénoncé. L’utilisation d’une grue sur le port de Brest coutait 1.316 euros pour 7 heures, contre plus de 10.000 euros à Longoni ! En 2021, la cour administrative d’Appel annulait les tarifs présentés par le conseil départemental tels que proposés par Ida Nel, rappelant qu’elle les avait déjà déboutés pour « méconnaissance de la règle d’équivalence avec la valeur de la prestation ».
Un faux coûteux

Étonnamment, de nouveaux tarifs inconnus des acteurs portuaires faisaient leur apparition en 2018, comme sortis du chapeau par la gestionnaire du port, prétendument datés de 2016. La préfecture n’en avait pas trace dans le cadre de son contrôle de légalité des actes, pas plus que le conseil départemental dont nous avions interrogé le président Soibahadine à l’époque. Une graphologue mandatée par son successeur Ben Issa Ousseni, y voit un faux. Ce que confirmera le tribunal administratif en septembre 2024, jugeant l’arrêté brandi par Ida Nel « inexistant » et de « nul effet ». Son utilisation serait alors qualifié d’usage de faux.
Incitant la société Maintenance Industrielle mahoraise (MIM) à déposer plainte pour surfacturation, avec succès, puisque Mayotte Channel Gateway était condamnée à lui rembourser plus de 500.000 euros. Avec une suite attendue.
D’autres sociétés déposaient plainte à leur tour, pour la même raison et avec les mêmes effets puisque TILT (Transit International Logistique et Transport) a également obtenu réparation pour près de 800.000 euros. Même dans le cas où Ida Nel émettait un recours, il ne serait pas suspensif, elle était donc condamnée à payer.
Le CD favorable à la résiliation

Dans un mémoire produit au procès ce 2 juin 2025, le conseil départemental reconnaît la résiliation, c’est inédit. Jusqu’à présent, et surtout depuis 2013, les relations entre les élus et la présidente de MCG pouvaient être considérées comme nébuleuses. Et même si son président Ben Issa Ousseni la demande au 30 juin 2028, soit quelques mois avant la fin de la DSP qui s’éteint le 31 octobre 2028. Il invoque dans son mémoire sa crainte d’une « mise en péril de la continuité du service public » du port dans le cas d’une rupture rapide.
De son côté, l’Union Maritime de Mayotte (UMM) qui a constamment dénoncé les agissements de la gestionnaire sous la férule de Norbert Martinez, Christian Corre et Gilles Perzo, la réclame « sous trois mois », estimant que le préjudice serait plus grand en la laissant courir : « la durée restant à courir est relativement courte – environ 3 ans – comparativement à la durée globale du contrat (15 ans) » et « un projet de refonte de l’organisation du port est à l’étude », notamment inscrite au Projet de loi de refondation pour Mayotte. Une structure de relais pourrait être envisagée.
Ce lundi, le rapporteur public du tribunal administratif optait pour un entre-deux, préconisant une résiliation au 1er janvier 2026.
Pour rappel, son avis est habituellement très majoritairement retenu par le juge. Il doit se prononcer dans les deux à trois semaines à venir.
Sans indemnités

Toutes les clauses pour dénonciation de la Délégation de Service Public sont prévues dans les articles 60 et suivants de sa Convention. Point clé, toute DSP interrompue avant terme pour faute l’est sans indemnité, avec des conséquences graves inhérentes pour la présidente de MCG. Des acteurs portuaires avaient attiré il y a de nombreuses années l’attention du Département sur ces arguments, sans succès jusqu’à aujourd’hui.
Même si la date lointaine du 1er juillet 2028 du conseil départemental était retenue, il y aurait résiliation anticipée. Il n’y aurait donc pas de pénalités pour le Département. Idem, l’Etat pourrait impulser l’évolution de Longoni en Grand port maritime comme il l’a annoncé, et sans indemnités.
Dans l’attente de la décision du juge, on peut déjà considérer l’avis du rapporteur public comme un retournement de situation, les différents jugements et perquisitions du Parquet national financier avec placement en garde à vue de la présidente de MCG, n’ayant jusqu’à présent pas eu d’effets.
Anne Perzo-Lafond