Le 19 février 2025, l’État, l’Agence Régionale de Santé (ARS) et le Conseil départemental de Mayotte signaient une convention visant à renforcer les services médico-sociaux destinés aux personnes en situation de handicap et aux personnes âgées. Ce partenariat s’inscrivait dans la continuité de la 6ème conférence nationale sur le handicap pour marquer une volonté forte d’agir sur ce territoire où les besoins en matière de handicap dépassent largement l’offre.
Lors d’une table-ronde organisée au Sénat le 27 mai dernier, plusieurs intervenants ont dressé un tableau sans concessions des réalités mahoraises, où des défis culturels, sociaux et structurels s’entrelacent, freinant une politique inclusive et efficace dans le secteur du handicap au sens large.
Une offre médico-sociale encore largement insuffisante et très spécifique
Selon Patrick Boutié, directeur de l’offre de soins à l’ARS Mayotte, l’offre médico-sociale demeure cinq à dix fois inférieure à la moyenne nationale. Alors qu’une forte culture locale favorise le maintien à domicile des aînés, les structures d’accueil et d’hébergement adaptées manquent cruellement sur l’île, notamment pour les adultes et encore plus pour les personnes âgées.
Pour inverser cette tendance, six plateformes territoriales ont été créées, couvrant des publics variés – enfants, adolescents, adultes, personnes polyhandicapées, personnes atteintes de troubles neurologiques – dans l’objectif de proposer un parcours de vie coordonné et harmonieux. Pour ce faire, un plan d’investissement de 22 millions d’euros sur quatre ans prévoit notamment le développement de dépistages plus précoces et la construction d’établissements spécialisés, qui manquent significativement sur le territoire.
Le handicap, un « tabou » encore trop présent

Mais la perception du handicap à Mayotte, où une majorité de la population est de confession musulmane, est fortement marquée par des croyances, où le handicap est souvent perçu comme une fatalité ou une punition divine. Ce contexte favorise le maintien des personnes en situation de handicap au sein du cercle familial, limitant le recours aux structures adaptées, comme l’explique Madi Moussa Velou, vice-président du Conseil départemental en charge du social.
D’autre part, l’élu rappelle que seulement 20 % des besoins sont aujourd’hui couverts à Mayotte, avec un taux de scolarisation des enfants en situation de handicap très faible et une offre en établissements spécialisés quasi inexistante. Le manque de formation et de professionnalisation des acteurs locaux génère également un exode des compétences. Le vice-président rapporte également que la consommation de drogues chimiques par certains jeunes handicapés, aggrave d’autant plus leur vulnérabilité : « On voit de plus en plus de jeunes sous ‘chimique’ notamment à Mamoudzou, c’est catastrophique« .
La MDPH : un service surchargé et en mutation

La MDPH de Mayotte, dirigée par Ségolène Meunier, traite chaque année environ 1.600 dossiers, dont la moitié sont des premières demandes. Malgré cela, les besoins restent largement sous-évalués. D’après la directrice de la MDPH de Mayotte, seulement 9.627 personnes seraient identifiées, alors qu’une étude de l’Insee, a rapporté que 22.000 personnes en 2021 seraient en situation de handicap à Mayotte.
Les freins culturels et des infrastructures mal adaptées limitent d’autant plus l’accès aux services. Depuis 2020, le renforcement du maillage territorial avec une antenne de la MDPH à Dembéni et des permanences dans différentes communes de l’île aurait permis de doubler le nombre de dossiers déposés. Aussi, de nouveaux bureaux mobiles et une antenne en Petite-Terre devraient ouvrir d’ici fin 2025. Par ailleurs, un projet de Maison Départementale de l’Autonomie est en cours pour centraliser les compétences liées au handicap et à la vieillesse, et faciliter les démarches et la prise en charge des usagers.
L’école inclusive confrontée à de nombreux défis

À Mayotte, le handicap reste un tabou culturel qui freine l’inclusion scolaire, avec seulement 1 % d’élèves reconnus à besoins éducatifs particuliers, loin des besoins réels, souligne Jacques Mikulovic, recteur de l’académie. Le manque de places en établissements spécialisés, la pénurie d’accompagnants (AESH) et l’absence d’infrastructures adaptées compliquent l’accès à une scolarisation équitable. Les dispositifs comme les ULIS et ULYS sont déployés, mais les difficultés logistiques — notamment pour les transports — et le faible nombre de professionnels spécialisés limitent leur efficacité.
Malgré la volonté politique, l’attractivité des postes demeure un problème majeur, particulièrement pour les psychologues scolaires, alors que les besoins explosent. La création prochaine des pôles d’appui à la scolarité (PAS) vise à renforcer la collaboration avec les associations, mais la réalité du terrain impose encore de lourds sacrifices pour les familles et les élèves concernés.
Une méconnaissance persistante de l’offre médico-sociale par les familles
Barbara Denjean, directrice du pôle handicap de l’association Mlezi Maore, tire la sonnette d’alarme sur la méconnaissance des dispositifs médico-sociaux par les familles à Mayotte. Ce déficit d’information entraîne un dépistage tardif des enfants en situation de handicap, souvent entre 10 et 12 ans, alors que la prise en charge précoce est essentielle. Le repérage en petite enfance reste quasi inexistant, en raison d’infrastructures insuffisantes, creusant les inégalités.
Au-delà des barrières culturelles, le territoire fait face à une pénurie dramatique de professionnels paramédicaux : les effectifs manquent à hauteur de 60 %, avec seulement deux orthophonistes pour toute l’île. La concurrence entre structures, offrant des conditions plus attractives, complique le recrutement, notamment celui des psychologues. Par ailleurs, la rupture des soins à la sortie des établissements condamne de nombreux jeunes à l’isolement. Le défi demeure de mobiliser les acteurs et d’adapter les réponses au contexte local pour garantir un accompagnement digne et efficace.
Ces auditions au Sénat se poursuivront jusqu’au 18 juin, avec une audition de la ministre déléguée chargée du Handicap, Charlotte Parmentier-Lecocq. L’examen du rapport final sur cette thématique est prévu le 3 juillet 2025.
Mathilde Hangard