Adoption du projet de loi de refondation par le Sénat, « entre adhésion et frustration »

Le Sénat a donc adopté le Projet de loi de Programmation pour la refondation de Mayotte (PLPRM) lors du vote solennel ce mardi soir. Il n’a pas suscité l’enthousiasme attendu par le gouvernement, pour plusieurs raisons. Avec en première ligne, la crainte d’effets d’annonces non respectées ou non applicables.

Sur le chapitre conséquent des mesures de lutte contre l’immigration clandestine, le groupe Europe Écologie les Verts, avait annoncé voter contre, dans une position on ne peut plus dogmatique que nous avions déjà dénoncée.

Ensuite, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) s’est abstenu, en partie pour les mêmes raisons puisque dans un communiqué il déplore « l’obsession migratoire » du gouvernement. Sous la houlette du sénateur mahorais Saïd Omar Oili, le communiqué du groupe reprend ses principaux reproches : absence dans le texte de loi de la suppression des titres de séjour territorialisés, de la suppression de l’article 19 sur les expropriations, et de l’accélération de la convergence sociale. On peut y ajouter la circonscription unique plébiscitée par le parlementaire mahorais pour les élections départementales. « Une occasion manquée d’affirmer l’ambition de la France pour son 101ème département », selon le groupe d’opposition. Qui peut se féliciter d’avoir imposé la mise en place d’un comité de suivi placé auprès du Premier ministre, « chargé de veiller à la mise en œuvre de la loi de programmation et des engagements du rapport annexé pour en rendre compte au Parlement ».

Le sénateur mahorais l’avait déploré lors d’une conférence de presse, « le compte n’y est pas ». Justifiant l’abstention de son groupe sur ce texte, il évoquait tout d’abord un décalage entre le tableau de réparation post-Chido tel que décrit par le gouvernement, et le SOS lancé par les associations des élus maires et des Intercos, le MEDEF, la CGPME, la Chambre de commerce et d’industrie la semaine dernière.

Mayotte victime des effets d’annonce

Les sénateurs lors du vote solennel en faveur du projet de loi de refondation de Mayotte

Toujours pour illustrer la défiance envers les effets d’annonces, il prenait l’exemple de l’interdiction de la vente de tôles aux personnes en situation irrégulière, mesure inscrite à la loi d’urgence : « Je tiens à votre disposition Monsieur le Ministre les photos du bidonville de Kaweni aujourd’hui émaillé de tôles flambant neuves. Soit dans ce secteur il n’y a plus de clandestins, soit c’est la preuve du caractère inopérant de telle mesure ».

Le compte n’y est pas non plus sur la convergence sociale, et le JDM avait consacré de nombreux articles sur la possibilité d’aligner immédiatement les allocations non contributives, comme les pensions de retraite, « l’alignement s’élèverait à 1,5 Millions d’euro et pour les minimas sociaux à 800 000 euros. »

Le groupe de la majorité présidentielle RDPI a naturellement voté en faveur du texte, mais avec les bémols qu’a mis en musique à la tribune la sénatrice Salama Ramia, qui soulignait « à la fois l’adhésion et la frustration que ce texte suscite ». Une demi-heure avant le vote solennel, elle s’était entretenue avec le ministre des Outre-mer, en tant que chargée du suivi des actions de la mission de réparation du général Facon.

Des avancées au forceps

Si elle soulignait les prés de 4 milliards d’euros annoncés, c’était pour nuancer ensuite, « tous ces crédits ne sont pas nouveaux ». Rappelons que son collègue Omar Oili avait pointé la juxtaposition des programmations des investissements structurels, inscrites au rapport annexé au projet de loi, avec ceux des contrats de projets, et ceux de la (re)construction de Mayotte évalués par la mission interministérielle. C’est un point qui devra être suivi par les députés, le ministre Manuel Valls avait justement renvoyé cette évaluation précise des investissements aux débats parlementaires.

Salama Ramia évoquait un texte qui suscitait « à la fois l’adhésion et la frustration »

Le projet de loi contient de nombreuses avancées qu’il ne faut pas occulter d’autant que certaines sont attendues depuis de longue date, et qui sont rappelées par Salama Ramia : l’adoption « d’une stratégie de reconstruction post Chido », l’extension du zonage Quartier Politique de la Ville à l’ensemble de l’île qui « permet à l’ensemble du territoire de pouvoir bénéficier des outils de la politique de la ville”, la création du « Département-Région de Mayotte », celle d’une Zone Franche Globale.

Un dernier point qui lui permet d’illustrer la détresse dans laquelle se trouvent de nombreuses entreprises qui pour lesquelles une exonération d’impôts ne sera utile que si elles survivent, « combien d’entreprises y parviennent encore ? », interpelle-t-elle, alors qu’il faut ici rappeler que les aides ne sont pas la hauteur de celles appliquées dans d’autres territoires ultramarins ayant vécu des catastrophes similaires. « Mayotte est le seul territoire ultramarin à ne pas bénéficier du dispositif LODEOM, qui offre ailleurs des exonérations de charges sociales renforcées et des soutiens fiscaux sectoriels”, souligne la sénatrice qui regrette que le CICE ne soit pas poursuivi à Mayotte.

La balle est désormais dans le camp des députés, dont on peut déjà craindre que les débats houleux sur les mesures de lutte contre l’immigration clandestine ne masquent les autres points comme l’évaluation de l’enveloppe d’investissements qui doit davantage se situer autour de 7 milliards d’euros que de 4 milliards, en espérant que la raison l’emporte sur la suppression de titres de séjour délivrés par l’Etat mais qui y enferme volontairement son titulaire.

Saïd Omar Oili s’adressait à Manuel Valls en reprochant que cette revendication portée par l’ensemble de la classe politique mahoraise fut « un engagement écrit de votre prédécesseur qui le promettait après la réforme du droit du sol. Cette dernière vient d’être votée »…

Anne Perzo-Lafond

Partagez l'article :

Subscribe

spot_imgspot_img

Les plus lus

More like this
Related

Projet de loi de programmation : adapter un cadre institutionnel pour répondre aux enjeux du territoire

Le 27 mai 2025, le Sénat a adopté à une large majorité un ambitieux plan de réforme pour répondre aux défis sociaux, économiques et institutionnels majeurs de Mayotte, territoire marqué par l’immigration clandestine, l’habitat informel et la précarité.

Mayotte : un an de variations contrastées dans les prix à la consommation

Entre les mois d'avril 2024 et avril 2025, les prix à Mayotte ont évolué de façon contrastée : l’énergie a nettement baissé tandis que les services, les produits manufacturés et le tabac ont connu une hausse modérée, selon les données publiées par l’INSEE.

L’Adie organise la « Semaine pour créer sa boîte » pour encourager l’entrepreneuriat dans les quartiers

Présente depuis 25 ans à Mayotte, l’Adie, association reconnue...

L’Agence d’attractivité de Mayotte et les offices de tourisme présents au Salon Veezit à La Réunion

L’Agence d’attractivité et de Développement touristique de Mayotte (AaDTM)...