Face à la grave pénurie d’eau que traverse Mayotte, l’État a engagé la construction en urgence d’une usine de dessalement à Ironi Bé, dans la commune de Dembéni. L’infrastructure, qui doit produire jusqu’à 10.000 m³ d’eau potable par jour d’ici à 2026, vise à renforcer l’approvisionnement d’un territoire confronté à des coupures chroniques, des réservoirs vides et une pression démographique importante. Mais le choix du site, la méthode de décision et l’impact écologique du projet divisent élus, scientifiques et société civile.
Un avis favorable, mais sous conditions
Le mercredi 13 novembre 2024, le Conseil de gestion du Parc naturel marin de Mayotte avait rendu un avis conforme favorable à l’implantation de l’usine de dessalement d’Ironi Bé, à l’issue d’une séance à bulletins secrets, organisée à l’Hôtel de ville de Mamoudzou. Le projet avait obtenu 23 voix pour, 8 contre et 1 abstention, franchissant ainsi une étape réglementaire obligatoire dans le processus de mise en œuvre.
Cet accord avait toutefois été assorti de réserves. « C’est un avis favorable avec des réserves« , avait précisé Abdou Dahalani, président du Conseil de gestion du PNM, soulignant qu’il s’agissait d’un vote sensible. Plusieurs membres du Parc avaient demandé des études complémentaires, portant notamment sur l’historique du projet, la modélisation des rejets de saumure et l’impact environnemental sur la mangrove ainsi que sur les récifs coralliens.
Annabelle Djeribi, élue le même jour au poste de directrice déléguée du Parc, avait évoqué des « lacunes » dans le dossier, appelant à ce que certaines zones d’ombre soient levées. Le Parc avait également formulé des demandes précises en matière de suivi environnemental, notamment sur les substances chimiques, la turbidité, les rejets et l’état de santé du récif. « Nous souhaitons accompagner ce projet pour qu’il soit le plus respectueux possible de l’environnement« , avait conclu M. Dahalani.
Une réponse qui ne fait pas consensus

Pour le collectif « Un lagon sans poison ! », le projet de dessalement à Ironi Bé doit être suspendu. Dans une lettre adressée au préfet vendredi 16 mai, il dénonce une « opposition massive et résolue » portée par plus de 14.000 signatures et plus de 400 avis défavorables ignorés. Le collectif alerte sur les « impacts écologiques, sociaux et sanitaires » du projet, déplore une gestion opaque et demande l’ouverture d’un dialogue, « inlassablement sollicité depuis plusieurs mois ». Il propose deux exemples d’alternatives : des barges offshore ou des unités à osmose lente, jugées plus respectueuses du milieu naturel. « L’eau est un droit fondamental, mais elle ne peut être produite au détriment irréversible de notre patrimoine naturel commun. »
Le préfet défend une démarche équilibrée

Interrogé par notre rédaction, le préfet de Mayotte assume pleinement sa décision : « L’arrêté autorisant les travaux terrestres de l’usine de dessalement d’Ironi Bé a été signé il y a quelques jours », confirme-t-il. Il réfute fermement l’idée que l’État ferait passer l’urgence hydrique avant la protection de l’environnement : « Ce projet respecte le code de l’environnement. S’il présentait des impacts écologiques excessifs, je n’aurais jamais signé cet arrêté. J’ai moi-même une conscience écologique ».
S’appuyant sur la démarche ERC — éviter, réduire, compenser — qui est un outil d’analyse et non une obligation légale stricte, prévu par le code de l’environnement, il rappelle : « Aucun projet n’est exempt de pression anthropique. Toute infrastructure a des effets, mais ceux-ci doivent être mesurés, encadrés et, si besoin, corrigés.«
Enfin, face aux critiques, le préfet remet en question la légitimité de certains opposants : « Les principales associations qui s’opposent au projet ne sont pas implantées à Mayotte. Leur objectif n’est pas la défense de l’environnement, mais l’entrave à l’action publique. »
Une logique « globale« , selon les autorités

Questionné sur la pertinence du choix d’Ironi Bé à court, moyen et long terme, le préfet a expliqué que l’usine s’inscrit dans une stratégie d’investissement pour la période 2024-2027. Celle-ci comprend non seulement le développement du dessalement, mais aussi la réduction des fuites, une meilleure gestion du réseau, le développement de nouvelles sources via des forages, la création de retenues collinaires et l’amélioration de l’assainissement.
« Cette logique globale vise à rendre Mayotte autonome en matière de production d’eau. Le projet d’Ironi Bé fait partie de cet équilibre », a-t-il précisé. Selon lui, le projet a été minutieusement étudié, tant sur la partie terrestre que maritime. L’entreprise en charge de la construction exploitera l’usine pendant trois ans, avec un comité de suivi des rejets pour détecter et corriger toute anomalie. « C’est un projet vertueux », assure-t-il.
Urgence hydrique, incertitude écologique
Le 21 avril 2025, en visite à Mayotte, Manuel Valls, ministre des Outre-mer, a salué les réparations effectuées par le génie militaire, qui ont permis de colmater plus de 900 fuites d’eau sur l’ensemble du réseau d’eau potable de l’île. Cependant, il a insisté sur la nécessité de s’attaquer désormais aux pertes d’eau domestique.
Lors de son intervention devant la Commission des Lois du Sénat, le 13 mai dernier, dans le cadre du projet de loi organique pour Mayotte, il a évoqué l’ouverture à d’autres technologies, notamment l’eau atmosphérique. « Nous lancerons bientôt un appel à projets pour permettre des solutions nouvelles », a-t-il déclaré.
Mais pour les scientifiques, ces alternatives arrivent trop tard, alors que le chantier est déjà en cours. Dans un territoire soumis à de multiples problématiques – croissance démographique, vulnérabilité environnementale, inégalités sociales et économiques – la gestion de l’eau devient un enjeu majeur, symbolisant le difficile arbitrage entre urgence immédiate et durabilité à long terme. Reste à savoir si le projet d’Ironi Bé saura répondre à cet « équilibre » défendu par l’État.
Mathilde Hangard