A l’arrière de sa maison, à la sortie du village de Bouyouni, Dani Ahmed, 36 ans, est ravi de voir les bananiers, les pieds de manioc, les citrouilles ou encore les salades pousser sur l’exploitation agricole familiale ce mercredi 14 mai au matin. Après de longs mois compliqués suite au passage du cyclone Chido, la production reprend petit à petit au milieu des quelques morceaux de tôles qui n’ont pas encore été dégagés, sur une parcelle très exposée au soleil suite à la chute des arbres.
Pour ou contre ? Le débat s’installe dans les familles

De génération en génération, à commencer par celle de ses grands-parents, le terrain et ses plantations ont permis à sa famille de subvenir à ses besoins, d’avoir une autonomie alimentaire et de tirer profit des plantes médicinales. Au-delà des bénéfices de la terre, c’est l’identité familiale qui s’est forgée en ce lieu où vivent actuellement une vingtaine de personnes. En ce début de matinée, alors que la grand-mère s’attèle à la préparation de médicaments grâce aux plantes, un jeune garçon joue dans la cour sur son vélo à roulettes.
Un havre de paix qui risque d’être menacé par le projet de construction de piste longue. Lors de sa visite à Mayotte le 21 avril dernier, Emmanuel Macron avait déclaré que la seule manière de respecter sa promesse d’une piste longue est « de la construire en Grande-Terre ». La zone entre Bouyouni et M’Tsangamouji écarte la plupart des contraintes et semble la plus adéquate pour accueillir une telle infrastructure selon les études. Malgré les oppositions et l’avis du Conseil départemental pour une piste longue en Petite-Terre, le Président a souhaité être clair sur le choix du lieu, indiquant que « Mayotte a un avenir dans cette région si nous construisons des fondations solides ». L’intervention du président de la République a remis la piste longue au centre des débats au sein des familles, notamment de Bouyouni, qui avaient mis de côté le sujet en raison d’une situation stagnante après les études sur le site en janvier 2023. Et si aucune date ni aucun travaux n’ont été annoncés pour le moment, le président du Conseil départemental, Ben Issa Ousseni, avait demandé au chef de l’Etat que la pose de la première pierre de l’aéroport se fasse avant la fin du mandat présidentiel, soit dans deux ans, le 13 mai 2027.

« Si ça dépendait que de moi, j’aurais déjà commencé depuis longtemps les travaux », lance Dani dans un premier temps, malgré sa connaissance des inconvénients comme les risques d’expropriation et d’endommagement de la parcelle familiale. « Dans le nord il y a toujours de la violence et les commerces ne se développent pas, l’aéroport nous apporterait du positif ». Un peu plus loin, sa tante est d’un tout autre avis : « personne ne veut de la piste longue en Grande-Terre et on ne veut pas de ça ici à Bouyouni, mais de toute façon le projet ne va pas se faire, ils n’ont aucune volonté », relève celle qui a suivi les débats ces dernières années et qui ne croit plus aux « fausses promesses ». Un argument repris par plusieurs habitants rencontrés ce mercredi.
« Est-on prêt à changer notre mode de vie ? »
« Ici c’est le cœur de Mayotte, cette zone c’est la plus grande production de bananes, de légumes et de fruits de l’archipel, on va manger quoi s’ils détruisent tout ça ? », questionne la grand-mère de Dani, assise à l’ombre. Son mari partage sa vision et avec les agriculteurs de la commune ils se sont déjà réunis à plusieurs reprises pour montrer leurs désaccords face au projet. « Si la piste se construit plus loin sur les hauteurs là-bas, ça peut aller », confie néanmoins le doyen de la famille, montrant l’endroit du bout de son couteau et qui se prépare à ne pas avoir le choix que de faire des concessions.

« C’est vrai que tout ce terrain c’est ce qui nous fait vivre et on risque de perdre tout cela », tempère Dani après avoir entendu les arguments de ses grands-parents. L’homme insiste également sur le fait que de nombreuses familles sont dans la même situation de Bouyouni à Dzoumogné et de Tsingoni à M’Tsangamouji. « Ma tante et mes grands-parents n’ont pas beaucoup voyagé, ils sont habitués à vivre comme cela, ils ne savent pas ce que c’est un aéroport et ce qu’il peut apporter, mais la question est de savoir si on est prêt à changer notre mode de vie ».
Le cri de la jeunesse de Bouyouni en faveur du projet
Les rues sont calmes en cette fin de matinée dans le centre du village qui comporte 1.948 habitants selon le dernier recensement général réalisé par l’Insee en 2017. L’institut note aussi que la commune cumule les difficultés d’accès à l’eau, à l’électricité au logement en dur, à l’emploi et compte un faible taux de personnes diplômées. Une situation similaire aux villages voisins et qui n’est plus tenable pour la jeunesse. Le long de la rivière Mro oua Bouyouni, à côté des femmes qui lavent le linge et des enfants qui sautent dans l’eau depuis les rochers, Nadhir, Msk et Guimpi, 19, 18 et 20 ans, espèrent que la piste longue sera construite a proximité de leur village pour « enfin » permettre son développement.

« Ce projet va nous sortir de l’ombre car on est isolé dans ce village ! », relève directement Nadhir, sous l’approbation de ses amis, « il n’y a pas de plateau pour faire du sport, il n’y a rien ici, l’Etat nous a oubliés ». « D’un côté les gens disent que Mayotte ne se développe pas assez mais de l’autre ils disent qu’il ne faut pas toucher au terrain du grand-père, ça suffit ! On veut des routes. Même les lampadaires ils ne fonctionnent pas », continue le jeune homme un brin énervé. « Ce projet peut nous apporter des infrastructures et de l’emploi, on va pouvoir peut-être diminuer les embouteillages et le coût pour se rendre à Mamoudzou », estime de son côté Guimpi. Un sentiment partagé par Kemila Abdallah, « nous les jeunes on veut du développement et des activités. Je comprends ceux qui sont contre, mais il faut qu’on avance ».
Une opportunité de développement
« Sans ce projet mes deux enfants vont vivre la même chose que moi », constate amèrement Anissa, 26 ans, née à Bouyouni, « quand j’étais petite je voulais toujours avoir un endroit pour jouer et j’avais envie de devenir sportive, mais malheureusement il n’y avait pas les infrastructures. Depuis rien n’a changé, le village est délaissé. C’est pour ça qu’il est temps de créer une zone économique au Nord pour développer la région », insiste-t-elle. « Le lycée de Longoni est en construction, des professeurs vont vouloir venir s’installer ici, c’est super et c’est une bonne opportunité, mais il faut enlever les contraintes au développement et cela passe par la piste longue ».

Kemila et Anissa observent les débats sur les réseaux sociaux ainsi que dans les médias et remarquent que les habitants de Bouyouni n’ont jamais eu le droit à la parole sur le sujet, malgré la mise en place les années précédentes de questionnaires. « On ne demande jamais notre avis », dénonce Kemila. « Quand on a vu que le Conseil départemental avait voté pour le projet en Petite-Terre on n’a pas compris. Beaucoup de gens ont parlé à notre place mais ici au Nord on est une majorité à vouloir la piste longue », assure Anissa.
De retour dans la plantation de Dani, un éleveur a observé des hommes qui ont commencé à prendre des mesures sur le terrain et qui ont bombé les points d’eau adjacents ces derniers jours, les prémisses d’un début de travaux ou de nouvelles études ? « En tout cas personne ne s’est présenté à nous », indique à leurs sujets Dani, mécontent. Désormais chaque signe proche de sa parcelle va lui faire penser à l’aéroport, comme s’il était déjà un peu présent.
Victor Diwisch