Le 24 avril 2025, la sénatrice de Mayotte, Salama Ramia (RDPI), a adressé une question écrite au ministre délégué chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, Yannick Neuder, alertant sur une « épidémie de VIH » (Virus de l’Immunodéficience Humaine) en cours sur le 101ème département français. Depuis le mois de janvier 2023, 75 nouveaux cas ont été détectés, et 8 autres cas entre juillet 2024 et début 2025. Cette alerte parlementaire s’inscrit dans un contexte sanitaire tendu, où les indicateurs de suivi restent parmi les plus élevés de l’ensemble du territoire national. Les professionnels de santé insistent sur la nécessité d’une réponse urgente, ciblée et durable, pour enrayer la progression du virus sur ce territoire confronté à une extrême précarité.
Une situation épidémique persistante derrière des indicateurs en apparente amélioration

D’après les chiffres publiés par Santé publique France fin 2024, Mayotte est le deuxième département français le plus touché par le VIH, juste derrière la Guyane. En 2023, 92 cas de séropositivité avaient été enregistrés, représentant un taux de 296 par million d’habitants, soit près de six fois plus que dans l’Hexagone, hors Île-de-France (50/million). Si certains indicateurs montrent une légère baisse — notamment le taux de sérologies positives (passé de 4,3 à 3,1 pour 1.000 sérologies réalisées entre 2022 et 2023) — les épidémiologistes restent prudents : cette diminution à Mayotte pourrait être due à une meilleure couverture par les tests rapides, qui n’entrent pas tous dans les statistiques de confirmation biologique.
Toutefois, la dynamique reste préoccupante. En 2023, 8 personnes ont été diagnostiquées au stade sida à Mayotte, un chiffre encore élevé malgré une baisse par rapport à 2022 (15 cas). La file active de patients suivis au Centre hospitalier de Mayotte (CHM) est passée de 324 en 2019 à 505 en 2023, confirmant une croissance continue. Plus de 64 % des personnes séropositives étaient des femmes, un chiffre largement lié aux dépistages systématiques durant les grossesses, mais aussi à des facteurs sociaux plus profonds : violences, précarité, dépendance économique.
Des conditions sociales et sanitaires qui freinent la lutte contre le VIH

Dans sa question écrite au Gouvernement, la sénatrice Salama Ramia a souligné une réalité socio-économique très défavorable à la prévention : 88 % des personnes séropositives suivies à Mayotte seraient en situation irrégulière, et près de 90 % vivraient avec moins de 500 euros par mois. Le département ne bénéficie pas de l’Aide médicale d’État (AME), ce qui limite fortement l’accès aux traitements pour les personnes sans couverture sociale.
La situation a été aggravée par le cyclone Chido, qui a détruit de nombreux logements le 14 décembre 2024, accentuant la promiscuité et perturbant les structures de dépistage. Si des associations locales, comme Nariké M’Sada, déploient des camions de prévention et des tests rapides, l’offre de soins reste inégalement répartie sur l’île. Le Centre hospitalier de Mayotte, seul hôpital public de l’île, est sous tension permanente.
Cette fragilité structurelle rend difficile la maîtrise de la maladie. Malgré un système de surveillance jugé robuste (100 % de remontée des données par les biologistes, selon Santé publique France), l’incidence estimée à Mayotte pour 2023 (11,9/100.000) reste équivalente à celle de l’Île-de-France, pourtant bien plus dotée en moyens de santé publique.
Interpellation politique et limites du débat public

L’initiative de la sénatrice Salama Ramia marque peut-être un tournant : jusqu’ici peu évoquée au niveau national, la question du VIH à Mayotte entre dans le débat parlementaire. Dans sa question écrite, la sénatrice appelle le Gouvernement à déployer une politique d’action forte, adaptée aux « particularismes » du territoire. Elle mentionne également l’impact de la migration non maîtrisée, qu’elle associe à un recours accru à la prostitution et à un déficit de dépistage. Néanmoins, ces propos, bien que reflétant un réel désarroi, risquent de déplacer la question sanitaire vers une lecture sécuritaire ou identitaire, comme en témoignent certaines réactions sur les réseaux sociaux.
Dans ce contexte, les professionnels de santé locaux insistent sur la nécessité de renforcer l’accès aux droits, à l’éducation à la santé, aux soins, sans stigmatiser les populations migrantes ou précaires. Pour les acteurs engagés dans la lutte contre le VIH sur le territoire de Mayotte, celle-ci ne saurait reposer uniquement sur des constats alarmistes : elle doit être menée avec des outils de santé publique éprouvés, une gouvernance territoriale solide et un accompagnement humain des personnes concernées. À l’heure où la France vise l’élimination du VIH comme problème de santé publique d’ici 2030, Mayotte pourrait en devenir le révélateur ou le point de rupture.
Mathilde Hangard