Dans un discours resté célèbre prononcé à la Sorbonne le 11 mars 1882, l’écrivain Ernest Renan évoquait le sens de la nation : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune ». Si l’expression est empreinte d’un vocabulaire guerrier propre au contexte lorsqu’il est évoqué « les sacrifices », la projection de construire un avenir en commun reste d’actualité. Elle est même mondiale, mais c’est un autre débat.
L’adhésion de tous au projet commun, c’est le rêve de tout dirigeant de pays. Cela passe pour Bruno Retailleau par le principe « d’assimilation » – Michel Rocard, ancien éphémère premier ministre PS, avait lui axé son discours sur l’intégration – dont il est fait mention à l’article 21-24 du code civil, « Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République ». Selon lui, ce passage « fonde notre modèle d’acquisition de la nationalité française par voie de naturalisation ».
Et le ministre de l’Intérieur a rendu public ce lundi une circulaire exigeant davantage de preuve « d’assimilation », par la maitrise de la langue ou la connaissance de l’Histoire de France. En réalité, peu d’éléments nouveaux, il s’agit de solliciter les préfets de police, de départements, et de régions, à qui il s’adresse, afin que la loi soit appliquée.
En « françois » dans le texte

Car comme souvent en France, les lois sont là, mais leur défaut d’application incite à en sortir de nouvelles. Déjà en 1626, le cardinal de Richelieu le déplorait, « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre ». Nombreux sont ceux qui acquièrent la nationalité française avec un très faible niveau de français et une grande méconnaissance des valeurs de la République.
Loin d’innover, Bruno Retailleau ne fait que rappeler le « relèvement du niveau de maîtrise de la langue française », en rappelant l’article 20 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, qui prévoit que ce niveau passera ainsi du niveau B1 du référentiel européen au niveau B2. « Le texte d’application sera publié dans les prochains mois, pour entrer en vigueur, au plus tard au 1 er janvier 2026 » et il s’appliquera également aux demandes de déclaration présentées par les conjoints de Français.
Idem pour ce qui est de « l’adhésion du demandeur aux principes et valeurs de la République », avec « une connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société françaises ainsi que des droits et devoirs conférés par la nationalité ». Un examen civique était déjà prévu pour les premières demandes de carte de séjour pluriannuelle et de carte de résident, au 1er janvier 2026. Le ministre l’étend aux demandeurs de naturalisation. En demandant aux préfets « d’aborder la portée concrète dans la vie quotidienne de ces principes de liberté, d’égalité et de fraternité, et notamment les questions liées à l’égalité femme-homme et à la laïcité ».
Un premier bilan à 3 mois

Le parcours du demandeur est également pris en compte, avec une « exigence d’exemplarité ». La loi empêche déjà toute naturalisation d’un auteur de crime ou délit, ou d’une infraction condamnée à une peine supérieure à 6 mois, ou d’une personne ayant fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une OQTF (Obligation de Quitter le territoire français) non entièrement exécutée, ou d’un étranger en situation irrégulière en France. Le ministre rajoute le cas de « renseignements défavorables » recueillis par les préfets à propos du demandeur.
Enfin, l’insertion professionnelle au cours des 5 ans de présence exigée avant la demande de naturalisation, est dûment détaillée dans la circulaire de Bruno Retailleau, qui doit lui permettre « de disposer de ressources suffisantes et stables pour assurer son autonomie financière, quel que soit son statut au regard du droit du travail », et sous condition de CDI au minimum au SMIC, et « hors prestations sociales ».
Il est rappelé les conditions assouplies de présence de seulement deux ans sur le territoire pour les étudiants et les « candidats présentant un potentiel élevé pour notre pays, notamment les étudiants de haut niveau et les professionnels titulaires d’un passeport talent, susceptibles de contribuer significativement au rayonnement présent ou futur de la France en matière artistique, intellectuelle, sportive, scientifique ».
Un retour est attendu de la part des préfets sous forme de bilan à trois mois, avec lutte contre la fraude, et retrait éventuel de la nationalité française.
En 2024, les acquisitions de la nationalité française par décret et par déclaration (mariage, ascendants et fratries) s’élèvent à 66.745, soit une hausse de 8,3 % par rapport à 2023, que les services de l’Etat expliquent par un rattrapage après une année 2023 marquée par des difficultés techniques liées à la dématérialisation des procédures.
Mayotte où les conditions d’accès à la nationalité viennent d’être durcies, est particulièrement concernée par ce sujet.
Anne Perzo-Lafond