Piste longue à Mayotte : l’impasse entre développement et préservation

Le projet de piste longue à Mayotte, suspendu depuis des années, divise toujours. Développement économique ou protection de l’environnement : l'île se trouve à un tournant.

Le projet de construction d’une piste longue à Mayotte, envisagé depuis les années 1980, soulève de vives tensions entre modernisation des infrastructures et préservation de l’environnement. Tandis que des élus locaux et des associations de défense de l’environnement dénoncent des risques irréversibles pour l’écosystème, le gouvernement continue de justifier cette extension comme un levier pour le développement économique de l’île. Ce dossier, complexe et au long cours, se trouve à un carrefour, alors qu’un projet de loi pour Mayotte devrait bientôt être examiné par le gouvernement.

Un projet toujours en suspens 

Ministre chargé des Transports, Philippe Tabarot, piste longue, Mayotte,
Le ministre chargé des Transports, Philippe Tabarot, s’est engagé à organiser « dès que possible » une concertation au sujet de ce projet

Depuis sa première proposition dans les années 1980, le projet de piste longue à Mayotte divise les acteurs locaux et nationaux. D’un côté, les partisans du projet estiment qu’une infrastructure aéroportuaire adaptée est cruciale pour la continuité territoriale avec la métropole et pour stimuler l’économie locale. La piste actuelle, très courte, qui vaut des atterrissages avec des freinages mémorables, est jugée insuffisante. En effet, sa petite taille ne permet pas de recevoir des vols long-courriers nécessaires pour répondre aux besoins croissants de mobilité. Cependant, cette extension, estimée à 300 millions d’euros, s’accompagne d’importantes préoccupations environnementales, notamment en raison de la menace qu’elle représente pour le lagon.

En 2022 et en 2023, des études ont comparé deux sites pour la construction de la future piste longue de l’aéroport de Mayotte : celui Bouyouni-M’Tsangamouji au Nord de l’île et celui de Pamandzi. Menées selon huit critères fondamentaux, les études ont pris en compte des enjeux environnementaux, sociaux et infrastructurels, en phase avec les préoccupations exprimées lors des concertations menées en 2022 et 2023. Au regard des attentes de la population, le site de Bouyouni-M’Tsangamouji s’est distingué par sa moindre vulnérabilité aux risques naturels par rapport à celui de Pamandzi et en 2024, l’allongement de la piste de Pamandzi avait été e abandonné au profit d’un nouvel aéroport en Grande-Terre. Néanmoins, ce projet suscite des inquiétudes sur ses éventuels impacts sur l’agriculture locale.

Un sujet controversé

Sénateur, Said Omar Oili, Mayotte, volcan, REVOSIMA
« Avec le volcan sous-marin et le risque de séisme, il y a la possibilité que la piste s’effondre. Le deuxième risque, c’est la submersion marine d’ici 2035 entre l’affaissement de la piste et la montée des eaux », expliquait un an plus tôt, le sénateur Saïd Omar Oili à propos du projet de la piste longue en Petite-Terre.

Face à ce projet de piste longue envisagé en Grande-Terre, la présidente du collectif des citoyens mouvement 2018, Safina Soula, a réitéré sa ferme opposition contre cette hypothèse qu’elle qualifie de « mascarade« . Elle plaide pour l’agrandissement de la piste à Petite-Terre. Selon elle, cette option permettrait de satisfaire les besoins aéroportuaires sans causer les destructions écologiques irréversibles. Par ailleurs, d’après elle, l’agrandissement de la piste aéroportuaire à Pamandzi pourrait « sécuriser » Petite-Terre en luttant contre l’affaissement de l’île, associé à l’activité du volcan sous-marin Fani Maoré, situé à 40 kilomètres des côtes. Un argument qui reste à démontrer.

Dans une réponse au courrier du sénateur Saïd Omar Oili, datée du 6 mars 2025, le ministre des Transports a reconnu l’importance stratégique de ce projet d’une piste longue pour le développement de Mayotte, tout en mentionnant les tensions liées à ce sujet pour trouver un consensus. L’hypothèse d’une nouvelle étape de concertation, prévue en 2025, a été retardée à cause du cyclone Chido. Le ministre a rappelé que le projet de loi-programme, dont la présentation au Conseil des ministres est prévue pour le mois d’avril 2025, pourrait redéfinir le cadre de cette concertation, qui inclurait désormais davantage les acteurs locaux et la population de Mayotte. « Elle permettra de définir le cadre de la concertation que je souhaite pouvoir lancer dès septembre« , a déclaré Philippe Tabarot. Cette démarche vise avant tout à débloquer le projet, tout en intégrant les préoccupations écologiques et sociales.

En somme, ce sujet ne se limite pas à une simple question d’infrastructure. Il touche à la vision de l’avenir de Mayotte, entre une croissance économique et la protection d’un patrimoine naturel irremplaçable, dont il convient de prendre soin, surtout après le passage destructeur de Chido.

Mathilde Hangard

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