INSEE : « À Mayotte, six adultes sur dix sont en difficulté à l’écrit en français »

Une étude de l’Insee publiée le 3 avril 2025 analyse les raisons des difficultés à l’écrit en français à Mayotte. Réalisée entre septembre 2022 et mars 2023, elle révèle que 61 % des 18-64 ans, soit 89 000 personnes, rencontrent des difficultés d’écriture, en raison de divers facteurs.

« À Mayotte, en 2022, 61 % des 18-64 ans, soit 89 000 personnes, rencontrent des difficultés à l’écrit en français, un taux bien plus élevé que dans l’Hexagone ou les autres territoires ultramarins », relève l’Insee La Réunion-Mayotte, dans son étude publiée jeudi 3 mars, après une enquête réalisée avec la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (Dares), entre septembre 2022 et mars 2023.

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Difficultés des adultes face à l’écrit en français selon le type de compétences en 2022

Pratique ou non de la langue française au quotidien, non scolarisation ou parcours incomplet, enfance difficile et conditions de logements précaires, autant de facteurs qui expliquent, selon les deux signataires de la publication, Bruno Garoche et Jamel Mekkaoui, les difficultés à l’écrit en langue française pour une importante part de la population mahoraise. Les experts remarquent tout de même deux améliorations importantes : d’une part la situation des femmes qui rattrapent leur retard après avoir été longtemps écartées des bancs de l’école, et de l’autre, la scolarisation qui a tendance à se généraliser.

La langue française absente du quotidien

À Mayotte, il existe une importante coexistence de langues et « le français, bien qu’essentiel dans l’éducation et les services publics, n’est pas la langue principale du quotidien », écrit l’Insee. « Seuls 29 % des 18-64 ans utilisent le français pour communiquer avec leur famille et leurs amis. La plupart préfèrent les langues régionales : 73 % parlent le shimaoré ou le kibushi, et 25 % utilisent une langue des Comores : le shingazidja, le shimwali et/ou le shindzuani, des langues bantoues apparentées au swahili et proches du shimaoré ».

À Mayotte, le français n’est pas la principale langue du quotidien

« 48 % des adultes déclarent ne pas comprendre le français, alors que cette langue est essentielle à l’école et dans les démarches administratives. En 2022, 61 % des 18-64 ans (89.000 personnes) avaient une maîtrise incomplète de la lecture et de l’écriture, un taux bien supérieur à celui de l’Hexagone (10 %) et des autres DROM : 13 % en Martinique, 16 % en Guadeloupe, 17 % à La Réunion et 41 % en Guyane », poursuit le rapport.

Seuls 43% des 18-64 ans ont débuté leur scolarité en France

Dans ce rapport, on découvre qu’à Mayotte, « 28 % des 18-64 ans n’ont jamais été scolarisés », « 25 % ont effectué toute leur scolarité à l’étranger » et seulement « 43 % ont débuté leur scolarité dans le système français. » Ces difficultés en français varient donc selon le parcours scolaire : 95 % des 40.400 adultes jamais scolarisés ont des difficultés avec la langue française, 74 % de ceux ayant débuté leur scolarité à l’étranger rencontrent également ces mêmes difficultés. Y compris parmi ceux ayant commencé leur scolarité en France, où 30 % éprouvent des difficultés avec le français. Un taux bien plus élevé qu’en métropole (6 %) et dans les autres DROM (15 %).

Une enfance difficile comme obstacle à l’apprentissage

« L’apprentissage de la lecture et de l’écriture est fortement influencé par l’environnement familial et les conditions de vie durant l’enfance », explique l’Insee. Ainsi le patrimoine culturel accessible à l’enfant, les événements personnels traumatisants vécus, tels que des deuils, des violences, des trajectoires migratoires, assortis des aléas d’un parcours scolaire, comme un redoublement ou changement d’établissement, ont une influence dans l’apprentissage de la langue.

82% des adultes qui vivent dans des logements précaires sont en difficultés

Par ailleurs, les conditions de logement, souvent précaires, sur le 101ème département français, ont des répercussions directes sur l’apprentissage du français. « En 2017, 40 % des habitations étaient des constructions fragiles, souvent sans électricité ni espace pour étudier. 80 % des habitants de ces logements sont nés à l’étranger, et 75 % des ménages y vivent avec moins de 400 € par mois ». Résultat : « 82 % des adultes vivant dans ces logements ont des difficultés à l’écrit, contre 55 % de ceux résidant dans un logement en dur », mentionne le rapport.

Scolarisation des femmes à Mayotte : un retard qui se comble 

« À Mayotte, 63 % des femmes rencontrent des difficultés à l’écrit en français, contre 58 % des hommes », constate la publication. « Elles sont également plus nombreuses à ne pas avoir pu passer les tests de lecture (44 % contre 37 %). Cet écart s’explique par une scolarisation plus tardive et moins fréquente des femmes, qui représentent 63 % des adultes jamais scolarisés. Cependant, cette tendance évolue avec les générations. Les jeunes filles nées à Mayotte ont rattrapé leur retard scolaire et sont désormais plus diplômées que les jeunes hommes. Ainsi, parmi les 18-44 ans ayant débuté leur scolarité en France, 75 % des femmes n’ont pas de difficulté en français, contre 68 % des hommes ».

Des obstacles persistants malgré des progrès 

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La généralisation progressive de la scolarisation améliore la situation

« À Mayotte, 47 % des 18-24 ans rencontrent des difficultés à l’écrit en français, un taux plus faible que chez les générations plus âgées (70 % des 55-64 ans). Cette amélioration s’explique par la généralisation progressive de la scolarisation, qui a permis une meilleure diffusion du français. Ainsi, la part des personnes jamais scolarisées est passée de 39 % chez les 45-64 ans à 23 % chez les moins de 45 ans« , souligne l’Insee.

Cependant, malgré ces progrès, les jeunes de Mayotte restent bien plus en difficulté que ceux de l’Hexagone (6 %) ou des autres DROM (7 % en Guadeloupe, 8 % en Martinique, 10 % à La Réunion, 31 % en Guyane). De plus, 27 % des 18-24 ans déclarent ne pas parler français, même quelques mots.

Un frein à l’emploi, au numérique et aux démarches administratives

La non maitrise du français a un fort impact sur la vie quotidienne des habitants de Mayotte, en ce qui concerne l’accès au travail, l’utilisation d’internet et la réalisation de démarches administratives. Le rapport mentionne que 24 % des personnes en difficulté avec le français ont un travail, contre 61 % de celles maîtrisant la langue. De plus, 35 % des personnes en difficulté n’ont jamais utilisé Internet, contre 3 % de celles à l’aise à l’écrit, et 28 % des personnes concernées réalisent seules les démarches administratives, et 50 % n’en ont jamais effectué en un an.

Après le passage du cyclone Chido, une rentrée des classes chaotique et inégale sur le territoire à partir du 27 janvier 2025, ces difficultés pour l’apprentissage du français risquent de profondément s’accentuer.

Victor Diwisch

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