« Notre fils faisait des flapping (battements des mains), il courait d’un point A à un point B, mais l’éducatrice et la pédopsychiatre ne voyaient rien d’anormal dans son comportement. On a quand même effectué des recherches sur internet et on est tombés sur une vidéo dans laquelle un enfant atteint d’autisme faisait les mêmes gestes que notre fils. C’était la douche froide, ce n’était pas possible que notre enfant soit autiste », raconte Raïssani Hassani aux côtés d’Hassane Saindou, parents de Gibran, 7 ans, dans l’amphithéâtre du collège de Kwalé, à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation de l’autisme.

Un parcours du combattant pour les parents
Le couple s’est posé la question de quitter Mayotte pour la métropole afin que leur fils dispose d’un meilleur accompagnement, mais après avoir contacté l’association Autisme Mayotte, les parents ont été rassurés. « On nous a dit qu’on pouvait vivre partout avec un enfant autiste. Grâce à l’association on a découvert l’autisme et on a compris qu’on n’était pas les seuls, on a pu relativiser les choses », ajoute Hassane Saindou.
Mais Gibran n’étant pas encore diagnostiqué comme autiste, un véritable parcours du combattant a débuté pour les parents, notamment au moment de l’inscrire à l’école. « Au bout de trois jours, l’école nous a signalé de récupérer notre enfant, et cela était inadmissible pour nous. Gibran aime vivre avec les autres et il a des capacités, le priver de l’école ça va le freiner. Heureusement il a pu rapidement être suivi par un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH). Aujourd’hui Gibran fait sa scolarité à l’unité d’enseignement en élémentaire autisme (UEEA) de Bandrélé, il est épanoui et serein », continue le père de Gibran.
Désormais la famille lutte pour trouver des spécialistes et des professionnels de l’autisme afin de pouvoir continuer à aider leur fils, car ce handicap va le suivre toute sa vie. « De la primaire jusqu’au CM2 il sera accompagné mais à partir du collège puis ensuite pour son insertion on se pose des questions. On est aidés mais malgré tout ce n’est pas suffisant », conclut Hassane Saindou, sous les applaudissements.

Une histoire qui montre à elle seule le manque de sensibilisation et de connaissances de l’autisme, les difficultés de diagnostique du handicap et les problèmes sur l’accompagnement de l’enfant au quotidien. A Mayotte de nombreuses familles sont dans cette situation chaque année.
600 enfants concernés chaque année
« Tous les ans, 100 nouveau-nés ont des troubles du spectre de l’autisme, et 500 autres souffrent de troubles du développement intellectuel », rapporte Ernestine Bakobog, directrice de l’association Autisme Mayotte, basée à Tsingoni. « A Mayotte il n’y a pas une seule salle de classe sans minimum un enfant souffrant de troubles du neurodéveloppement, dont l’autisme », renchérit la directrice. Des enfants qui, pour la plupart, ne sont pas diagnostiqués comme étant autistes et qui ne peuvent donc pas être orientés vers des accompagnements spécialisés, pour les aider mais aussi pour soulager les parents.
Après l’école, la situation se complique davantage. « A partir de 20 ans, les adultes autistes ne sont plus du tout pris en charge, ils n’ont pas de places d’hébergement et ce sont les parents qui doivent les accompagner. Les parents n’ont plus de repos, de vie, et il arrive que certains meurent très tôt », alerte la directrice.

Pour tenter de pallier les difficultés de diagnostique et d’accompagnement, les associations Autisme Mayotte, Mlezi Maore, et la Fédération APAJH, se sont associées pour créer une plateforme autisme/TND (trouble du NeuroDéveloppement) en 2023. Au total, 48 enfants ont pu être diagnostiqués grâce au consortium. « On donne de la visibilité aux parents, on se bat pour que les enfants soient inscrits à l’école, qu’ils disposent d’un accompagnement complet et personnalisé », explique Ernestine Bakobog. Les enfants diagnostiqués ne sont ainsi pas mélangés avec d’autres personnes en situation de polyhandicap par exemple, et ils peuvent développer leurs compétences à leur rythme.
Un manque de professionnels et une dépendance à la métropole
Néanmoins faute de professionnels à Mayotte, la plateforme est dépendante de la métropole, ce qui freine encore les diagnostiques, résultats : des enfants sont placés sur des listes d’attente pendant 1 ou 2 ans. « On doit attendre les disponibilités des neuropsychologues en métropole avec qui on travaille en visioconférence, et rien qu’avec le décalage horaire on perd une matinée de travail », déplore Abdoulkassim Abidi, directeur des établissements au pôle Handicap pour Mlezi Maore. « Le recrutement des professionnels comme les psychomotriciens ou encore les psychologues est toujours aussi difficile et Chido a accentué ce problème », constate-t-il.

Au-delà du diagnostique, Abdoulkassim Abidi appelle les parents et les familles concernés à changer de regard sur l’autisme, « les enfants ne sont pas des djinns, et le but premier c’est de soulager leurs souffrances. La pathologie existe et elle ne disparaîtra pas. Il faut lever les doutes sur l’autisme ».
Lui, mais aussi Ernestine Bakobog, insistent sur le fait que les solutions existent à Mayotte et que les parents doivent venir rencontrer les associations. « Si vous êtes en difficulté, même si votre enfant est né en métropole, il faut nous contacter car à chaque moment de sa vie il va changer de comportement et il faut se réadapter en permanence », relève Ernestine Bakobog.
Signe du besoin d’accompagnement à Mayotte, l’association Autisme Mayotte comptait 5 parents adhérents après sa création en 2017, ils sont désormais plus de 400.
Victor Diwisch