A travers plusieurs témoignages de femmes occupant des postes à responsabilités dans la fonction publique, comme Tamouati Ali Bacar, Ambouharia Abdou, Souraya Hilali, ou encore Manarssana Boina, le séminaire : « Femmes mahoraises, osez la direction générale !« , ce vendredi 7 mars, a permis de montrer aux jeunes femmes que les postes dans la direction existent et qu’il est tout à fait possible d’y faire carrière.
« La femme mahoraise a toujours eu une place importante dans le développement socio-économique de l’île. Aujourd’hui, s’il y a une majorité de femmes dans la fonction publique territoriale, il y en a très peu à des postes de direction générale. La route est encore longue. Mesdames, osez, formez-vous et prenez la place que vous méritez pour que les générations futures considèrent comme une évidence l’accès à ces postes à responsabilités », a prononcé Nourainya Loutoufi, 3ème adjointe en charge de la citoyenneté et de l’état civil de la Ville de Mamoudzou, pour inaugurer la conférence, devant une audience quasiment exclusivement féminine.

Le difficile équilibre entre vie privée et vie professionnelle
« Quand on est enceinte, quand notre enfant est malade, on nous dit : « Ah encore les femmes ! ». On ne peut pas penser à sa propre vie. Le seul moment de repos c’est durant les congés maternités et encore. La déconnexion n’existe pas du tout, on doit être 24h/24 prête à répondre », remarque Tamouati Ali Bacar, DGS adjointe à la mairie de Chirongui, questionnée sur la question de la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle, le thème d’ouverture de la conférence.
« C’est vrai, en tant que cadre, tout se mélange. La maison au travail, le travail à la maison…, c’est le quotidien », approuve Ambouharia Abdou, DGA service à la population à Sada.
La gestion de crise après Chido a particulièrement bien illustré les propos des invités, « le toit de ma maison s’est envolé et il y avait mes enfants à l’intérieur, mais ça tout le monde s’en moque car les gens ils ont besoin de toi », explique Nourainya Loutoufi. « Je suis sortie, j’ai vu que tout était rasé et les gens sont venus m’interpeller pour me dire « on a deux morts », et là tu dois directement trouver des solutions. Toi tu t’oublies ! Il faut sauver la population plutôt que soi-même ».
« Mon fils m’a demandé où j’étais passé pendant le cyclone, ça m’a tuée, j’ai senti le reproche », poursuit Ambouharia Abdou. « Je lui ai expliqué que j’étais au travail et que là-bas aussi le toît s’était envolé, et il a compris ».
« Laissez votre femme s’épanouir ! »
« Juste avant Chido j’ai été réquisitionnée pour aller dans un centre d’hébergement d’urgence alors que j’étais devant la télé avec mon compagnon », raconte une femme dans l’audience. « Trois semaines après le cyclone, il m’a dit qu’il n’avait pas compris pourquoi j’étais allée m’occuper d’autres personnes plutôt que de ma propre famille ».

Les invitées ont remarqué tout au long de la conférence l’importance d’avoir « la bonne personne » à ses côtés, qui partage les tâches au foyer, et qui comprend les responsabilités qu’imposent les métiers de la direction. « Les hommes, laissez votre femme s’épanouir comme elle le veut, si vous voulez la paix du ménage », a souligné Ambouharia Abdou.
« En tant que femme dans la vie politique, on est dénudée, on parle de tout sur toi, et il faut préparer son mari, son frère à ça. J’ai dit à mon mari : attention on va dire des choses sur moi, il faut accepter qu’on parle mal de moi », continue Nourainya Loutoufi.
Face aux inquiétudes sur les sacrifices et le passage au second plan de la vie de famille, les élues ont toutes insisté sur le fait que pour être cadre il faut être passionnée. « Être élue c’est prenant, mais il faut aimer, aimer la population. On est cadi, médecin, politique, on est un peu de tout, mais il faut aimer son travail avant tout pour réussir », note toujours Nourainya Loutoufi.
« Nous on ne se dit pas que la chaise nous appartient contrairement à vous les hommes. Battez-vous, passez les concours et venez prendre la place car elle n’est pas une chasse gardée », a ajouté Ambouharia Abdou sous les applaudissements. « Osez car souvent on ne prend pas de risques nous les femmes. On réfléchit d’abord aux conséquences, on agit pas en premier ».
« Beaucoup de femmes vivent avec des bourreaux »
« Pour arriver aux postes de direction, les femmes font face à de nombreux défis dès le plus jeune âge. Les filles sont formatées à aller vers les métiers du soin. Il ne faut pas les assigner à des tâches à domicile qui vont les empêcher de réviser, de rester concentrer sur leurs objectifs. Il y a tout un travail à faire en amont pour faciliter leur accès à ces postes », relève Manarssana Boina, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité au sein de la préfecture de Mayotte.

« Nous, on mesure la chance d’avoir été scolarisées et d’avoir pu faire des études supérieures. Trop de femmes finissent le bac et se marient sans avoir l’opportunité de poursuivre leurs formations », ajoute Ambouharia Abdou. « Il faut éduquer les garçons pour qu’ils aident et fassent le ménage et participent aux tâches. Que ce soit une fille ou un garçon, il doit faire la même chose dans la maison, c’est ce discours qu’on doit porter ».
« Les offres de postes dans la direction sont publiées pour tout le monde, mais ce sont les charges quotidiennes qui pèsent beaucoup sur les femmes et elles doivent tout gérer chez elles, beaucoup d’entre elles vivent avec des bourreaux. Il vaut mieux choisir l’épanouissement au travail que subir à la maison », remarque Tamouati Ali Bacar.
Une question de génération
« C’est aussi une question de génération. Nous on a vu et on sait comment Mayotte était avant. J’ai vu ma mère qui s’est battue, elle faisait partie des gens qui allaient aux marchés pour vendre, qui ne parlaient pas français. Et je me suis dit que je devais réussir, je ne pouvais pas rester devant la télé, elle m’a inspirée. Aujourd’hui, la plupart du temps les parents travaillent, il y a une stabilité, un confort et moins d’efforts à faire », relève Ambouharia Abdou. « On veut qu’il y ait plus de femmes dans les postes de responsabilités car on arrive à mieux gérer l’aspect humain on l’a vu pendant Chido par exemple. Donc osez, dîtes-vous : j’y vais jusqu’au bout ! ».
Victor Diwisch