En ce début de matinée, lundi 24 février, dans le centre-ville de Dembéni, les habitants font la queue à la boulangerie pour chercher leur petit déjeuner. A côté, sur le parking municipal, de nombreuses familles viennent récupérer des bons alimentaires auprès du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de la ville, tandis que des hommes s’installent aux tables à l’ombre pour jouer aux cartes.
Au lendemain d’une nouvelle nuit d’affrontements entre les jeunes de Dembéni et ceux d’Iloni, trois jours après la mort d’un jeune lycéen, lynché sur la nationale, les habitants reprennent leurs activités tant bien que mal. La plupart ont encore en tête les images de la vidéo sur les réseaux sociaux montrant le jeune homme abandonné à son sort au milieu de la route, juste avant de mourir des coups de ses assaillants cagoulés.
La veille, dimanche 23 février, les parents d’élèves de la commune se sont réunis et ont décidé d’interdire à leurs enfants de se rendre au lycée de Tsararano et au collège d’Iloni, de part et d’autre de Dembéni, craignant pour leur sécurité.
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Ce matin, les adolescents se retrouvent donc dans la rue pour jouer au football ou faire du vélo. Questionnés sur le conflit entre les jeunes des deux communes voisines, la plupart ne souhaitent pas s’exprimer, par peur de représailles. Le regard dans le vide, certains semblent également touchés par l’émotion.
« Quand j’ai quitté les cours vendredi vers 14h j’ai vu des jets de pierre« , se rappelle Diawadi, 14 ans, « puis j’ai aperçu une arbalète pour la pêche et ils lui ont tiré dessus avec de la ferraille. Je ne pense pas que ça va s’arrêter, j’ai peur, je ne pense qu’à partir en métropole, ici c’est terrible« , ajoute le garçon encore choqué.
Les habitants se renvoient la responsabilité, le dialogue est rompu
En plein centre de Dembéni les habitants vivent dans la peur. Ils sont restés cloîtrés chez eux tout le week-end, et comptent le faire dans les jours et les semaines à venir. « A partir de 17h on s’enferme, mes enfants ont crié toute la nuit à cause des combats et des gaz lacrymogènes qui sont rentrés dans la maison », témoigne une résidente du quartier. « J’ai cru que les gendarmes allaient mourir tellement que c’était violent. Ils étaient coincés contre le mur de ma maison », raconte une voisine. Des pierres et des projectiles en tous genres sont encore visibles de part et d’autre de la route.
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Les affrontements ne sont pas nouveaux, mais désormais le dialogue entre les familles des deux communes semble être complètement rompu, chacune se renvoyant la responsabilité du conflit, vis-à-vis de leurs enfants respectifs. « Ils ne veulent pas reconnaître que c’est eux qui ont commencé, ils n’osent pas dire à leurs enfants de s’arrêter », lance exaspérée une habitante de Dembéni. « C’est eux qui ont commencé, pas nous. Ils ont seulement eu deux voitures brûlées, le reste des dégâts c’est chez nous. Nous on essaye juste de se défendre », lui répond indirectement un résident d’Iloni, assis sous l’ombrelle à côté du rond-point. « On a fait plein de négociations, de marches de sensibilisations mais ça ne fonctionne pas. On a des délinquants ici, on ne nie pas, mais nous quand on leur dit de s’arrêter, ils le font », ajoute un autre homme qui habite Iloni.
Les deux hommes constatent que les relations avec les habitants de Dembéni sont au point mort et ils ne semblent pas prêt à vouloir faire changer les choses. « C’est à la mairie de trouver une solution. Elle seule peut faire quelque chose parce que les familles entre elles ce n’est plus possible, c’est beaucoup trop tendu », conclut l’homme en haussant les épaules.
Si la mairie a lancé un appel à la mobilisation de tous et à la responsabilité de chacun dans un communiqué samedi, elle n’a pas donné d’éléments de réponses sur ce qu’il adviendra des prochains jours et notamment sur la réouverture des écoles.
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Attaquée alors qu’elle était seule aux toilettes du lycée
En attendant, les drames et les règlements de comptes se poursuivent de part et d’autre de la « frontière » fictive entre les deux communes, délimitée par les hauteurs aux abords de l’université de Mayotte.
Samedi 22 février, au lycée de Dembéni à Tsararano, alors qu’elle était seule aux toilettes, Raïza Djadjou, une lycéenne en première, a été agressée par plusieurs élèves qui lui ont lancé des pierres. « Je suis tombée par terre et ils ont commencé à casser mon pied avec des cailloux. Je me suis évanouie, et quand je me suis réveillée j’étais à l’infirmerie”, raconte la jeune fille, assise devant sa maison à Dembéni. « Je devais passer mon bac de français, mais je ne vais plus y aller le temps que la sécurité n’est pas assurée », continue Raïza qui compte prendre rendez-vous auprès d’un psychologue. « Des fois on entend des histoires avec des vélos, des chiens, même des sandwichs, mais je ne sais pas du tout pourquoi ils se battent entre eux ».
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« Vous voyez sur les hauteurs là-bas c’est dangereux c’est là limite entre Iloni et Dembéni, il ne faut pas y aller », pointe du doigt Elanrifdine, 13 ans. En début d’année, son frère a été touché à la tête par une barre de fer. Le garçon de 15 ans est désormais hospitalisé à La Réunion en état hémiplégique, une moitié du corps paralysée, et Elanrifdine ne sait pas s’il le reverra à Mayotte un jour. « Mes parents m’interdisent de me battre pour me venger, et je ne veux pas le faire », insiste-t-il.
« Je n’ai pas peur de mourir, maintenant c’est à eux de répondre »
Du côté du terrain de football d’Iloni, un groupe de jeunes est abordé par la gendarmerie. Les gendarmes leurs signalent que s’ils voient des jeunes descendre des hauteurs, ils doivent les alerter pour protéger la population. « On ne veut pas des gendarmes ici », lance un garçon, la quinzaine d’années, une fois la camionnette partie. « Je ne veux pas que les affrontements s’arrêtent, je suis prêt à défendre mon quartier. Je n’ai pas peur de la mort, je suis prêt à mourir », dit-il sans hésitations, auprès de ses amis qui rigolent à ses côtés. « On a augmenté le score, on en a tué un, maintenant c’est à eux de répondre ».
Victor Diwisch