A peine les parlementaires ont-ils eu le temps de cocher la case de l’adoption de la loi d’Urgence sortie de CMP, (Commission Mixte paritaire) (Lire le Projet loi d’urgence Mayotte adopté par la CMP) par les députés, en attendant la séance du Sénat, qu’ils annoncent travailler sur le projet de loi programme. Le fameux projet de loi que Mayotte attend officiellement depuis deux ans, mais qui aurait dû en réalité sortir aussitôt après la départementalisation pour structurer le territoire, raison pour laquelle nous ne parlons dans ces colonnes que de (re)construction. En février 2024 les barrages n’avaient-ils pas été levés contre la certitude de la suppression du titre de séjour territorialisé qui bloque les migrants à Mayotte ? Plus personne ne semble en parler actuellement.
Paradoxalement, nous sommes aidés en termes de visibilité par celui qui nous a détruit, le cyclone Chido, qui a mis le territoire sous les feux des projecteurs internationaux, confiait Manuel Valls au Sénat : « Le monde nous regarde sur ce que nous sommes capables de faire sur ce territoire si attaché à la France. On ne lâchera rien, il faut reconstruire sur des bases plus saines. » Il avait repris auparavant l’expression titrant la tribune qu’il partageait dans le Figaro avec Bruno Retailleau et Sébastien Lecornu, en évoquant une indispensable loi Programme de développement économique, social et éducatif, « sans ça, on reconstruira Mayotte sur du sable ».
Le ministre des Outre-mer annonçait ce projet de loi structurant « d’ici deux mois ».
Mayotte, une fabrique d’ateliers
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Il devra s’appuyer sur les centaines d’ateliers menés en 2021 par les services de l’Etat, réunissant des centaines de citoyens, pour l’ébauche d’un projet de loi, déjà travaillé dans l’urgence, qui dégageait 5 axes : l’Egalité en matière de droits sociaux, le Renforcement de l’Etat régalien sur les défis sécuritaire, migratoires et de sécurité civile, le Renforcement du Conseil départemental, l’Accélération du développement de Mayotte notamment en infrastructures, et le 5ème, sur la Jeunesse et l’insertion. Évidemment un axe portant sur le bilan social et économique post-Chido sera nécessaire.
La sénatrice Salama Ramia, indiquait ce mercredi avoir sollicité la ministre du Travail et de l’Emploi, Astrid Panyon-Bouvet, sur deux des axes inscrits au précédent projet de loi, la convergence en matière de droits sociaux, et l’insertion de la jeunesse à travers l’apprentissage.
Le premier est très attendu puisque rappelons que, en dehors d’une réévaluation du minimum vieillesse obtenue de haute lutte par les députés Kamardine et Youssouffa en 2023, les allocations et les retraites sont de moitié des niveaux nationaux. Patrons et salariés devraient une nouvelle fois être réunis autour d’une table, selon Salama Ramia : « La ministre a entendu ma demande et s’est engagée à organiser rapidement des réunions de travail avec les partenaires sociaux, les organisations patronales et les syndicats professionnels. Une avancée importante pour inscrire ces sujets au cœur de la reconstruction de Mayotte ». L’effort demandé aux entreprises et aux salariés en termes de cotisation devra être progressif, mais encore faut-il donner le top départ et un calendrier de convergence.
Inflation de volontés
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C’était déjà au programme du document stratégique « Mayotte 2025 » élaboré sous François Hollande en… 2016, là aussi après de nombreux ateliers de réflexion. L’année 2025 paraissait lointaine, elle est aujourd’hui l’année d’après la destruction de l’île. Lire le document Mayotte 2025. Il s’agissait de donner « le rythme approprié de convergence vers le droit commun, dans le respect des équilibres du territoire, la sécurité pour chacun et l’intégration du territoire dans son bassin régional. » Tout reste encore à vivre.
En dehors de la visibilité de l’état du département français sur la scène internationale qui sera rapidement oubliée au regard de l’actualité mondiale et des nouveaux rapports de force, Mayotte semble bénéficier d’un volontarisme du ministre des Outre-mer déjà venu à plusieurs reprises et qui a mené tambour battant le projet de loi d’Urgence, et d’une implication continue et non superficielle de ses élus, que ce soit les parlementaires, les présidents de communautés de communes et d’agglomérations, les maires ou les conseillers départementaux.
Ce contexte favorable d’alignement des volontés sera-t-il suffisant ? Ra hachiri (« Restons vigilants », maxime de Mayotte)
Anne Perzo-Lafond