« Si tous les gens étaient formés au sauvetage, il n’y aurait peut-être pas eu toutes ces victimes », estime Alain Baron

Entendu depuis La Réunion, le président du club de natation de Mayotte, espère que les récents événements placeront la prévention des risques au cœur des enjeux du territoire.

Depuis le passage du dévastateur cyclone Chido le 14 décembre dernier, la moitié des nageurs de l’entraîneur Alain Baron ont quitté le territoire de Mayotte. Comment redonner vie à un territoire morcelé ? Depuis La Réunion où il a trouvé refuge après Chido, Alain Baron prépare son retour à Mayotte dans l’espoir d’un second souffle pour la natation française. Avant le cyclone, Alain Baron, maître-nageur sauveteur, spécialisé dans l’entraînement des nageurs de compétition, président du club de natation Mayotte, et référent de la Fédération française de natation (FFN) à Mayotte, tentait tant bien que mal de démocratiser la pratique de la natation au sein de l’archipel, en l’enseignant à des nageurs de tous niveaux et à des scolaires.

Nager avec « les moyens du bord »

Mayotte, Koropa,
Photographie d’archives de la piscine de Majicavo Koropa

Mais à Mayotte, apprendre à nager n’est pas chose aisée. Alors que les 1.300 km2 de superficie du lagon qui entourent l’archipel constituent pour certains, un immense terrain de jeu, pour d’autres, cela alimente une peur de l’eau et du monde marin. « Dans d’autres territoires en métropole ou en Outre-mer, les gens apprennent à nager dans des piscines », explique Alain Baron. « À Mayotte, la moitié des habitants sont des jeunes, on est obligé d’investir dans des structures sportives pour former cette jeunesse », plaide l’entraîneur. Malgré les efforts déployés par la direction du Centre de Koropa à Majikavo, qui a mis à disposition sa piscine de 18 mètres de longueur aux nageurs de water-polo d’Alain Baron et dont la qualité de l’eau est régulièrement surveillée par l’Agence régionale de santé (ARS), ce dispositif reste largement insuffisant pour développer la pratique de la natation sur un territoire où la moitié des habitants a moins de 18 ans. À la différence des autres départements d’Outre-mer, Mayotte est le seul département ultra-marin à ne pas disposer de piscines municipales de 25 ou de 50 mètres, obligeant ainsi Alain Baron à apprendre à nager aux habitants de l’île « avec les moyens du bord », dit-il. « J’ai réfléchi et comme je suis un homme de l’océan, j’ai tout de suite décidé d’entraîner directement les gens dans le lagon au bord, en mettant des lignes, des bassins flottants. Je m’adapte. » Pendant le cyclone, de nombreuses plages ont été endommagées, emportant le sable, la végétation et détruisant les constructions adjacentes. « La piscine Koropa a été endommagée pendant le cyclone et avant que l’ARS déclare que la qualité des eaux de baignade est de nouveau garantie, les activités baignade sont suspendues », a rappelé l’entraîneur.

« Tous les enfants étaient déjà traumatisés avant Chido »

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Ces affrontements entre bandes rivales étaient particulièrement virulentes lors de la crise des « barrages » en janvier, février et mars 2024 (photographie d’archives)

En cascade, les dégâts laissés par le cyclone ont balayé ce qui était déjà autrefois fragile. Sur les soixante licenciés, Alain Baron n’en compte plus qu’une trentaine. « La moitié de mes nageurs sont partis en métropole et à la Réunion, parce que les parents n’ont plus de maison, parce que les conditions à l’école se sont détériorées avec les problèmes d’eau, et ces dernières années ont été très dures, avec les barrages, la violence et maintenant une catastrophe naturelle. Tous les enfants étaient déjà traumatisés avant Chido », estime l’entraîneur.

« On se forme et on peut sauver des vies »

Alain Baron l’admet : parler de la natation en contexte d’urgence vitale après le passage de Chido n’a pas de sens mais il voit dans cette pratique, une autre dimension que le sport. « Certes après un cyclone, la natation c’est pas prioritaire, mais ce n’est pas qu’un sport, c’est une discipline qui regorge des métiers et des valeurs humaines qui ont du sens, notamment dans l’assistance à la personne, le secourisme et le sauvetage », estime-t-il. « Les mairies ne voient pas l’intérêt de développer la natation sous toutes ces formes mais on est entouré d’eau. Si tous les gens étaient formés au sauvetage, il n’y aurait peut-être pas eu toutes ces victimes », déplore le maître-nageur. Pour lui, le vecteur associatif constitue un moteur d’actions concrètes et rapides. « Le milieu associatif c’est un moteur, on peut agir tout de suite, plutôt que d’attendre des actions politiques qui prendront du temps. Pour nettoyer une plage, on n’a pas besoin de matériel spécifique, d’événement, de conférences, de discours, de blabla, on se retrousse les manches et on agit à plusieurs. C’est pareil pour la natation et le sauvetage, on se forme et on peut sauver des vies. » En effet, alors que le lagon embrasse l’archipel, aucune des plages recensées ne sont surveillées. Pour Alain Baron, former des professionnels au sauvetage peut contribuer au développement social, économique et environnemental de l’île. « Sans clubs de natation et sans plages surveillées, le tourisme de Mayotte ne pourra pas pleinement se développer car son principal atout c’est le lagon, c’est encore plus important maintenant qu’on pense à la reconstruction, de miser sur la formation d’une jeunesse à ce type de métier pour préserver aussi des hauts lieux de la biodiversité marine. »

« Le sport peut nous rendre plus forts »

Mayotte, bateau, cyclone,
Un cimetière marin tout autour du lagon (image d’archives)

Après Chido, la Délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) a pris l’attache des filières sportives pour les soutenir matériellement et financièrement dans cette catastrophe. Alain Baron regrette que cette prise de contact avec les autorités sportives ait été réalisée seulement plusieurs semaines après le cyclone. « On aurait aimé avoir de l’aide pendant et non pas après. J’ai rempli un dossier et on verra pour la suite mais jusque-là j’ai dû me débrouiller. » Résilient et malgré tout optimiste, l’entraîneur a permis à ses anciens nageurs, exilés hors du territoire de Mayotte, de rejoindre d’autres clubs et de concourir sous les couleurs du 101ème département français, pour quelques compétitions. « Tous les nageurs avant qu’ils nagent pour les clubs qu’ils rejoindront, ils vont nager en compétition sous les couleurs de Mayotte. » Depuis La Réunion où il a trouvé refuge, ayant « tout perdu » lors du cyclone, Alain Baron est formel. « Mon objectif c’est de revenir au mois de juin. Dans le passé, on a déjà eu une médaille pour Mayotte en natation sans piscine. On continuera à la rentrée à mener tous ces projets et à devenir un club important à Mayotte. » En 2027, une délégation de water-polo mahoraise se rendra aux Comores dans le cadre de la préparation des Jeux des îles de l’Océan Indien. « Le sport peut unir nos îles et nous rendre plus forts si d’autres catastrophes se produisaient », conclut le nageur. À bon entendeur ! 

Mathilde Hangard

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