« Isolés », « abandonnés », « déconsidérés » : voici les mots des professionnels de santé libéraux pour décrire leur ressenti face à la considération de la part des autorités sanitaires en leur qualité de soignants après le passage du cyclone.
« Une désorganisation totale »
Plus d’un mois et une semaine après le dévastateur Chido, les problèmes de réseau et d’électricité embolisent encore les habitants de l’archipel et notamment les professionnels de santé libéraux, répartis sur l’ensemble de l’île pour soigner les habitants en contexte post-cyclone. À ce jour, les moyens de télécommunication n’ont toujours pas été rétablis sur l’île, et cela « dans de nombreuses zones », constate le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Cette situation, déjà compliquée pour les patients, est devenue intenable pour certains praticiens, rapporte l’autorité syndicale. Depuis le passage du cyclone, le Sniil estime que les professionnels de santé libéraux vivent « une pression immense », en devant maintenir leurs soins pour leurs patients, « tout en faisant face à une désorganisation totale ».
À défaut d’aides, les libéraux se serrent les coudes
« On s’est senti complètement isolé après le cyclone car rien n’avait été anticipé au niveau des libéraux dans la stratégie sanitaire », soutient une infirmière libérale. À ce jour, de nombreux libéraux sont toujours dépourvus de réseau et leurs appels sont restés sans réponse auprès de l’autorité sanitaire. « C’est quand même fou de se dire qu’un cabinet de médecine générale du sud de Mayotte tourne grâce à un prêt d’antenne Starlink d’une pharmacie qui a bien voulu s’en séparer pour que le cabinet médical fonctionne. L’ARS n’a rien fait pour aider ce cabinet », s’exclame un professionnel de santé.
Des revenus suspendus
Sans électricité et sans réseau, de nombreux professionnels de santé libéraux sont encore dans l’incapacité de télé-transmettre leurs actes. Outre les retards de prise en charge dont sont victimes les patients, cette situation prive surtout ces professionnels de leurs revenus, alors même que leurs charges s’accumulent. « Je ne sais pas si on va pouvoir tenir financièrement ou logistiquement parlant dans cette situation, sans parler de l’épuisement moral car on n’a jamais arrêté de travailler depuis le cyclone, ça ne donne pas envie de continuer quand on voit comment on nous traite », confie un praticien.
Des démarches trop « insuffisantes », juge le Sniil
Dans ce contexte, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux appelle le ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, et l’Agence régionale de santé de Mayotte, à agir urgemment auprès des libéraux pour « rétablir les moyens de communication fiables dans les zones sinistrées », « apporter des solutions temporaires pour compenser financièrement les pertes des professionnels lésés », « renforcer l’accompagnement des professionnels de santé dans cette situation d’urgence », et « mettre en place des mesures dérogatoires afin de permettre les prises en charge des patients ». Malgré des « démarches entreprises » par ces autorités, telles qu’un soutien financier proposé aux cabinets endommagés par le cyclone ou la mise en place d’antennes satellites, celles-ci seraient encore « insuffisantes », estime le syndicat. « 1.500 euros, 3.000 euros, 5.000 euros pour réparer un cabinet mais qui va pouvoir évaluer le type de dommage subi et les moyens accordés ? Ce serait mieux d’avoir une enveloppe globale pour tous, ce n’est pas cohérent ! », commente un infirmier.
L’ARS peut-elle se passer des libéraux ?
Pendant l’épidémie de Covid-19, les professionnels de santé libéraux ont joué un rôle capital sur le terrain, disposant d’une fine connaissance de la population et de ses pathologies, pour aider au repérage de nouveaux foyers de coronavirus et la mise en place de mesures préventives, comme curatives, contre le virus et d’autres maladies. « Pendant le Covid, il n’y avait pas photo ! Ces circuits avaient très bien fonctionné. On avait des équipements de protection individuelle, des masques, on avait des dotations régulières par l’intermédiaire des pharmacies, on avait des tests rapides pour dépister la population. Aujourd’hui, on nous refuse tout. On ne veut pas nous donner de tests rapides pour la dengue ou pour le choléra, on n’a pas de produits moustiques pour les patients, c’est comme si on ne servait à rien, alors que nous sommes tous les jours sur le terrain. »
Alors que le 101ème département français a détecté un premier cas de choléra importé samedi dernier, il semble essentiel d’appliquer sur l’ensemble du territoire des mesures de prévention, en s’appuyant sur les libéraux. Reste à savoir si les autorités sanitaires accepteront de faire confiance à ces agents de terrain, véritables boussoles sanitaires pour la population mahoraise, dans son ensemble.
Mathilde Hangard