30.8 C
Mamoudzou
mardi 7 janvier 2025

Un point de situation sous l’œil du cyclone après les annonces de François Bayrou

Le plan « Mayotte debout » vise un rétablissement plus rapide de la situation pour la population durement touchée par le cyclone. Mais ces mesures seront-elles assez ambitieuses ? Dans le point de situation du week-end, la préfecture effectue des réajustements, notamment sur la méthode de recensement des disparus. Des écarts avec la réalité persistent cependant.

Il n’y avait qu’à regarder la saturation des services publics d’avant cyclone, Mayotte-la délaissée se retrouve grâce ou à cause de Chido, placée sous l’œil des médias nationaux. La vigilance ne faiblit pas, et les pouvoirs publics y contribuent, notamment en affichant les couleurs de Mayotte sur le fronton de l’Arc de Triomphe lors du passage à la nouvelle année. Néanmoins, l’expérience incite les habitants à rester méfiants, et la distribution d’eau ou de denrées alimentaires dont beaucoup se disent exclus malgré les annonces d’abondance, n’est pas pour faire changer les choses.

Les attentes sont désormais d’autant plus grandes que des autorités de haut rang ont fait des promesses. Les projets de loi Urgence et Programme n’ont pas encore été présentés en Conseil des ministres mais le Plan « Mayotte debout » incite à regarder de près les points de situation de la préfecture pour y voir les mesures mises en place.

Tout en gardant à l’esprit le caractère dévastateur du cyclone, du jamais vu en France,  « L’île est dévastée », souligne le préfet dans le dernier point sur la situation : la Préfecture, le commissariat, les brigades de gendarmerie ou encore le centre opérationnel des sapeurs-pompiers. « Ces services restent tous opérationnels grâce au professionnalisme et à la résilience des femmes et des hommes qui les composent », car ces agents ont eux aussi vécu le cataclysme avec leurs familles. Des premiers travaux de remise en état ont été entrepris, et on nous dit que, actuellement, « l’hôpital est opérationnel à 76 %, et 50% pour la maternité ».

Un décompte morbide imaginaire

Bayrou, Mayotte, Chido, collège Kawéni,
Les annonces de François Bayou seront-elles suivies d’effets avec l’ambition que demande la situation ?

Alors que le nombre de décès est évalué à 39 personnes, semblant accréditer la parole du Premier ministre estimant sur on ne sait quelle base, que le nombre de morts après le passage du cyclone Chido à Mayotte se chiffrerait en « dizaines » et non en « milliers », les services de la préfecture se démarquent courageusement de cette déclaration, et nuancent désormais ce bilan, qui ne serait « pas en adéquation avec la réalité des 100.000 personnes qui vivent dans un habitat précaire ». On peut même monter à 130.000 pour rester conforme au décompte de l’INSEE en 2017 qui estimait à 40% de cases en tôle sur la totalité des habitations et en actualisant la population à 335.000 habitants au 1er janvier 2025. Les remontées de terrain nous confirmaient que la recherche de personnes disparues n’a pas été faite aussitôt après le cyclone, ce qui rend difficile les estimations, quelles relèvent des 30.000 entendues ça et là, ou de dizaines de morts comme l’assure François Bayrou. Une des paroles les plus censées qu’ait prononcé le ministre Retailleau étant son « incapacité » à donner un bilan du nombre des décès.

La seule solution est de passer par les agents de terrain et donc par les mairies et leurs CCAS (Centre communal d’action sociale) qui connaissent à peu près les ménages précaires. C’est ce qu’a aussitôt mis en place la mairie de Mamoudzou, c’est la méthode retenue par les services de la préfecture, avec la difficulté toujours présente de « renouer le contact avec les communes encore inaccessibles ». Plusieurs sont en effet encore privées d’électricité.

Les services de l’État s’appuient aussi sur les associations, des élus, l’Éducation nationale, les acteurs de la santé, puisque les PMI du Conseil départemental touchent également le public précaire. Ce n’est qu’à l’issue qu’on pourra avoir une estimation fiable.

Nouvelle inflation de plans et de lois

Mayotte, crises
Le secteur privé attend beaucoup de ces annonces pour se remettre en marche

Le point de situation clarifie aussi l’inflation sur les plans d’urgence sur ce territoire en déshérence. Le Premier ministre a annoncé le 30 décembre le plan « Mayotte debout », pour reconstruire le territoire, mais une loi d’urgence sera aussi présentée en Conseil des ministres le 8 janvier dont on nous a dit qu’elle reprendrait quelques points de « Mayotte debout », et le projet de loi programme, dite « loi Mayotte », travaillée depuis 2020, sera également présenté prochainement « et permettra la refondation de Mayotte », une perspective de plus long terme. Un enchevêtrement dont la population a été habituée à se méfier car des lois urgences, il y en a eu plusieurs, notamment sur l’eau, et la pénurie sur la production demeure. On nous dit également qu’une procédure « accélérée » de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle est mise en œuvre sur décision du Gouvernement. Nous sommes désormais à plus de trois semaines après Chido…

Le préfet salue à raison des agents du service public qui, bien qu’ayant subi le ravage du cyclone avec leurs familles, sont toujours à leur poste de travail, mais les renforts, « 1.500 », sont-ils suffisants alors que les actes de pillages continuent ?

L’acheminement de denrées alimentaires est quotidiennement sujet à critique. Là aussi les annonces s’enchainent, « un pont maritime et aérien est opérationnel depuis dimanche 15 décembre matin pour livrer les denrées vitales et d’autres matériels », « 102 vols civils et militaires ont été effectués afin de transporter les renforts, du matériel, de la nourriture et de l’eau », « la distribution de l’eau, des denrées alimentaires, matériels de première nécessité à toute la population monte en puissance », les chiffres de 90 tonnes de dons déjà acheminés à Mayotte, et de 19 tonnes supplémentaires en cours d’acheminement par voie aérienne, dont 15 tonnes de kits hygiène et d’unités de stockage d’eau et 4 tonnes de purificateurs d’eau, parlent peu à ceux qui se plaignent de n’avoir toujours rien reçu ou trop peu. « C’est impossible d’attraper un pack d’eau lors des distributions, il y a foule, et quand on arrive, il n’y a plus rien », nous rapporte un habitant du Centre. Rappelons que les cultures ont été entièrement détruites et qu’avec la coupure d’électricité, toutes les denrées ont péri.

Quid des machines de potabilisation de l’eau ?

Une machine de potabilisation de 80kg seulement

Bien que l’Etat annonce faire beaucoup avec environ 120.000 litres d’eau et 20 tonnes de denrées alimentaires distribués par jour, pour 330.000 habitants, le rythme de croisière de l’approvisionnement vital de la population ne semble donc pas encore atteint. Des moyens sont mis en place avec un hélicoptère Super PUMA ravitaillant les communes les plus reculées, et la distribution par les Centres communaux d’action sociale et la Croix-Rouge de 70.000 bons alimentaires en 4 vagues depuis ce 6 janvier, mais pas encore à la hauteur des besoins. Une unité de potabilisation de la Sécurité civile fonctionne et a permis de livrer des communes difficiles d’accès au nord-ouest de Mayotte. Mais quid des machines de potabilisation d’eau des rivières dont nous avons depuis deux ans rapporté la simplicité de fonctionnement, médaillé d’or au concours Lépine 2024, et dont la commande a été engagée mais toujours pas validée par les autorités malgré l’agrément du ministère de l’Environnement ? Elles pourraient fournir la population en eau potable en complément des plus de 6 millions de comprimés de chlore distribués.

En matière de santé, 2,5 tonnes de fret sanitaire en produits de dialyse, sachets de stérilisation pour le CHM, 3.1 millions de comprimés de chlore, ont été acheminés dernièrement. L’hôpital de Mamoudzou est annoncé comme opérationnel à 76% grâce au bâchage précaire des toits « l’étanchéité n’est à ce jour pas complète », mais il est  compliqué, voire impossible d’obtenir des témoignages de soignants, comme nous l’avions rapporté, notamment de dresser un bilan de l’action de la Cellule d’urgence Médico-psychologique.

Nous pouvons donc seulement rapporter le point réalisé par la préfecture. Bien qu’installé plus tardivement qu’annoncé par le président de la République, l’hôpital de campagne (ESCRIM) est opérationnel, et a soigné 2.351 personnes. Un dispensaire installé devant l’ESCRIM permet la prise en charge de 90 personnes supplémentaires par jour. Des postes médicaux avancés ont été armés dans les trois dispensaires de l’île, 13.156 personnes, soit + 1.034 en 24h, ont ainsi été prises en charge par les 60 équipes de santé-secours dans les zones d’habitat précaire. Environ 3.800 vaccins DTP (diphtérie, tétanos et poliomyélite) sont arrivés le 28 décembre en plus des 13.000 doses déjà disponibles. La prise en charge médicale. « A ce stade, il n’y a pas de pénurie de médicaments. »

70% des classes disponibles le jour de la rentrée

Le recteur Jacques Mikulovic lors de son tour des établissements scolaires. Ici avec le proviseur du collège de Bandrélé

La transparence sur la gestion de la crise, on peut la trouver du côté de l’Éducation nationale, avec un recteur qui a fait lui-même le tour des établissements de l’île. Alors que la rentrée scolaire semblait ajournée lors des premiers constats de destruction d’établissement scolaires, tout est fait pour qu’elle ait lieu même en mode très dégradé pour les 117.000 élèves de l’académie de Mayotte. « Environ 70% des salles de classe des 1er et 2nd degrés devraient être disponibles pour la rentrée scolaire, malgré des disparités importantes entre les communes. » Les niveaux exigeant un diplôme en fin de cursus sont priorisés, bac, brevet ou CAP. Nous avons vu que les écoles épargnées par le cyclone ne l’ont pas été par les pillages, « un plan vigilance impliquant l’armée et la gendarmerie », est annoncé. On espère sa rapide mise sur pied également auprès des habitations qui subissent le même sort.

La contestation vient du syndicat FSU à propos de l’aide exceptionnelle versée directement par le ministère de l’Éducation nationale pour apporter un soutien immédiat, versée aux agents percevant les plus petites rémunérations (inférieur ou égal à 448). « Cette décision d’exclure une partie des fonctionnaires de notre ministère crée une discrimination entre collègues », critique le syndicat.

Avec la mise en place de 30 points relai, la collecte des déchets ménagers reprend à Mayotte, 11 camions du SIDEVAM sont opérationnels. Des programmes de dératisation sont en cours afin de prévenir les risques sanitaires. Les quais de transfert de déchets seraient tous opérationnels dans la semaine.

Alors que ce n’était toujours pas le cas la semaine dernière, la préfecture annonce que « 100 % de la population est raccordée à l’eau courante », limitée à 2 jours sur 3. De nombreux habitants se plaignent pourtant d’en être toujours exclus. A noter une amélioration dans les tours d’eau, puisque l’eau va être distribuée pendant 30h au lieu de 22h. Six citernes d’eau ont été installées dans des communes de l’ouest de Mayotte. Bonne nouvelle, les infrastructures de traitement d’eau potable ont récupéré leur capacité de production (environ 38.000 m3/jour).

Au samedi 4 janvier, la couverture approximative du réseau mobile est chez Orange de 84% des abonnés, SFR à 88,9% (chiffre actualisé) et Only à 80%. Mais dans les zones couvertes, des quartiers entiers se plaignent de n’avoir toujours pas internet. 13 des 17 communes éligibles de Mayotte ont été livrées en stations Starlink jeudi 26 décembre et disposent désormais d’un accès à un internet haut débit. Évidemment, en fonction du nombre de personnes sollicitant le réseau. Le 6 janvier, 100 stations Starlink vont être réceptionnées et distribuées, sur les 200 annoncées par le Premier ministre. A suivre donc.

200 groupes électrogènes attendus

Arrivée ce dimanche de 81 techniciens d’ENEDIS à Mayotte, en renfort des agents EDM

Gros point noir, l’électricité est en cours de rétablissement « bien que les lignes moyennes tensions soient très endommagées ». Samedi 4 janvier, 69,7% de la population générale est alimentée, malgré des disparités importantes entre les communes. « L’objectif est de rétablir l’électricité dans tous les foyers d’ici fin janvier 2025 », avait dit François Bayrou qui annonçait l’arrivée de « 200 groupes électrogènes, une dizaine par commune ». La préfecture en annonce 9 de déployés dans les communes les moins alimentées que sont Acoua, M’Tsangamouji, Mtsamboro, Tsingoni. Nous suivrons les prochaines arrivées.  Un renfort de 200 agents et de « 20 techniciens électriciens » était également annoncé par le Premier ministre pour intervenir sur « les ruptures » au sein du « réseau de basse tension. »

L’ordre public, à ce stade, est annoncé comme « maintenu » mais des caillassages nous sont remontés pas plus tard que ce lundi : « Mon domicile vient d’être visité ce midi par 3 individus cagoulés, armés de machette, de couteau, de marteau et très menaçants. Ils ont volé la TV, le décodeur, l’ordinateur portable de l’ARS, des téléphones, mon passeport, mon chéquier et des nombreux matériels et surtout bijoux appartenant à mon épouse. Encore de l’endurance rajoutée à l’endurance », nous rapporte un habitant. Où sont les escadrons promis ?

Les compétences du Préfet de Mayotte ont été renforcées dans le cadre de l’article 27 de la LOPMI. Le préfet de Mayotte assure une unité de commandement sur l’ensemble des services de l’État et établissements publics.

Un point de situation qui permet de souligner les avancées conséquentes par rapport aux premiers jours et dans un contexte de catastrophe inédite, mais encore en décalage avec la réalité du terrain. Si sur place les autorités s’organisent en fonction des arrivages, l’essentiel va se jouer à Paris, dans l’ambition de mesures fortes à prendre pour Mayotte, et la rapidité de leur mise en place. Avec cette fois, l’œil des médias nationaux et internationaux.

Anne Perzo-Lafond

Partagez l'article:

Les plus lus

Articles similaires
Similaire

Suite au passage de Chido les services départementaux vont être réorganisés

Les élus de Département se sont réunis ce lundi en Assemblée plénière extraordinaire au sein de l’hémicycle Bamana. Plusieurs rapports étaient à l’ordre du jour : un relatif à la réorganisation temporaire des services départementaux suite au passage du cyclone Chido, un autre portant sur le partenariat entre le Conseil départemental et différentes ONG, et enfin le dernier concernait le plan « Mayotte debout ».

7 janvier 2015 – 7 janvier 2025, il y a 10 ans, n’oublions pas !

Ils étaient reporters-dessinateurs, chroniqueur, rédacteur-réviseur, rédacteur en chef adjoint,...

Deux barges sont rentrées en collision ce matin

D'après les informations dont nous disposons, il y a...

La présidente de l’Assemblée nationale à Mayotte ce jeudi

La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, se rendra...
WP Twitter Auto Publish Powered By : XYZScripts.com