Trop souvent aujourd’hui encore, les règles sont classées dans les sujets tabou de la société. Pourtant, loin d’être anecdotiques et en dépit des situations personnelles propres à chaque femme, les menstruations apparaissent généralement à l’adolescence et se poursuivent jusqu’à la ménopause, soit pendant près de trente ans.
« Un manque d’accès à tout ce qui permet de vivre ses menstruations dignement »
Dans le monde, des millions de femmes n’ont pas toujours les moyens d’acheter des produits menstruels ou d’en avoir suffisamment pour couvrir leur cycle. La précarité menstruelle désigne ainsi non seulement un manque d’accès à des protections hygiéniques, pour des raisons culturelles, sociales, économiques et parfois même logistiques. En France, certaines associations estimaient que 2 millions de femmes en 2020 étaient concernées par un accès difficile ou impossible aux protections hygiéniques, pour des raisons majoritairement financières. Dans le monde, ce chiffre est estimé à 500 millions. La précarité menstruelle, « c’est un manque d’accès à tout ce qui permet de vivre ses menstruations dignement », estime une bénévole de l’association Règles Élémentaires à Mayotte.
Un sujet tabou et surtout politique
Ces dernières années, le sujet des règles a pris un tournant politique. Le 1er janvier 2016, la taxe sur la valeur ajoutée avait été diminuée de 5,5 % pour les protections périodiques, alors qu’elles étaient jusqu’à présent taxées à 20 %, soit autant que les produits de luxe. « Aujourd’hui compte tenu de l’inflation et des marges des distributeurs, la baisse de la taxe sur la valeur ajoutée n’a pas fait baisser le prix des protections car il n’y a pas d’encadrement des prix », s’indigne Justine Okolodkoff, directrice adjointe de l’association Règles Élémentaires. En moyenne, un paquet de 14 serviettes coûte entre 2,50 et 5 euros. En un an, le prix des produits d’hygiène féminine a augmenté de 10%. À Mayotte, comble du comble, cette précarité touche aussi les associations de solidarité, trop faiblement approvisionnées en produits périodiques : « Dans les prochains mois, on va essayer de faire venir plus de protections hygiéniques car même les structures sociales n’ont pas assez de protections à donner à des femmes dans le besoin. » Si certains représentants de structures associatives estiment que la pandémie de la Covid-19 a permis de mettre en lumière certains sujets, tels que la précarité menstruelle, les choses annoncées sont loin d’être appliquées. En mars 2023, l’ancienne Première ministre, Élisabeth Borne, avait annoncé le remboursement par la Sécurité sociale des protections périodiques réutilisables pour les femmes de moins de 26 ans. Si cette disposition était présente dans le budget 2024 et que la mesure devait entrer en vigueur au début de l’année 2025, suite à la chute du gouvernement Barnier le 4 décembre dernier, le projet du budget de l’Etat est pour l’instant gelé. Aussi, pour que les protections périodiques réutilisables soient remboursées, un cahier des charges sur le produit remboursé devait être élaboré et n’a encore pas été rendu : « Visiblement cela prend encore du temps à l’Etat de définir un cahier des charges pour avoir accès à des produits sains », commente la directrice adjointe de Règles Élémentaires. Par ailleurs, ce remboursement est conditionné aux femmes de moins de 26 ans, affiliées à la Sécurité sociale.
« Certaines femmes vont se priver d’un aliment pour s’acheter des tampons »
À l’heure actuelle, il n’existe pas de données officielles sur le coût des produits périodiques supporté par chaque femme en France. Cependant, au regard de l’inflation, certaines estimations peuvent être dressées. Elles expliquent que le coût financier des produits périodiques fluctue en fonction de la situation sociale de chaque femme : « Certaines personnes vont se priver d’un aliment pour s’acheter des tampons, ou acheter un seul paquet de serviettes hygiéniques et pas plusieurs, ou garder des protections plus longtemps que ce qui est conseillé faute de pouvoir les payer. » Ce coût économique des protections périodiques va également dépendre de l’état de santé des femmes. Certaines vont perdre plus de sang que d’autres et nécessiter plus de protections par mois, d’autres événements tels qu’une grossesse, une maladie, l’utilisation d’une contraception, vont faire fluctuer ce coût mensuel, mais aussi les dépenses en cas de douleurs : « En cas de douleurs, les médicaments ou les consultations de spécialistes sont aux frais de chaque femme, par exemple, pour les médecines alternatives, les médicaments anti-douleur, ou quand les vêtements sont trop tâchés, il faut parfois les remplacer, ou investir dans des protections périodiques réutilisables, tout ça peut revenir très cher. »
Le non-accès à l’eau, facteur aggravant de cette précarité
Qui dit gestion des règles, dit accès à l’eau et à des sanitaires. Or, des millions de femmes dans le monde n’ont pas d’accès à des installations d’eau et d’assainissement pour gérer leur santé et leur hygiène menstruelles. La gestion de leurs règles oblige même certaines femmes à manquer des jours d’école ou de travail. « Les enjeux sont énormes à Mayotte sur l’aspect éducatif car des jeunes femmes se retrouvent à devoir suspendre leur scolarité quand elles n’ont pas de protections hygiéniques, quelques jours chaque mois, cela conduit à des décrochements scolaires, et si ces femmes vivent dans des situations précaires, c’est la double peine. Il y a un enjeu de santé publique mais aussi un enjeu social pour l’avenir du territoire autour de cette problématique », confie Kadafi Attoumani, le directeur territorial Mayotte de la Croix-Rouge française. Véritable problème de santé publique, présent sur les cinq continents, autant dans des pays pauvres, que dans des pays riches, la précarité menstruelle est aussi particulièrement importante en zones rurales. Une étude de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) a révélé que des femmes vivant en zone urbaine avaient plus d’accès à des protections périodiques qu’en zone rurale, où une femme sur cinq est dépourvue de protections pour ses règles.
La stigmatisation tue
Cette précarité conduit également à une stigmatisation que l’on aimerait endiguer et à un manque d’information et d’éducation sur le sujet. « Les jeunes femmes ne sont pas assez préparées à avoir leurs règles, elles sont vraiment livrées à elles-mêmes, n’osent pas toujours parler de ce sujet, elles vont se cacher dans un coin pour mettre leurs protections, parfois ne savent pas comment s’y prendre, cela conduit même à des usages désagréables ou pire, carrément dangereux », rapporte la représentante de Règles Élémentaires. Le syndrome du choc toxique, maladie infectieuse rare et aiguë, potentiellement létale, concerne 1 femme sur 100.
Mathilde Hangard