Des tôles, des engins de chantier, encore de tôles, et çà et là, des tissus, des cahiers, des vestiges d’une présence. Des tôles superposées comme les tranches de vie de ceux qui, arrivés depuis un an, deux ans, dix ans, vingt ans, ont accumulé des souvenirs sur cette zone d’une dimension record avec ses 13 ha. Et à chaque démolition de ces habitats précaires prêts à être balayés lors des grosses tempêtes, les mêmes regrets de leurs occupants qui ont vu y grandir leurs enfants, et dont on leur impose de tourner une page en leur promettant mieux. « Ce n’est pas humainement facile », avait lâché un préfet Colombet lors de la démolition du quartier Jamaïque, derrière la mairie de Koungou. Avant de rajouter, « il n’y aura plus de quartiers interdits à Mayotte ».
Car en face des habitants, ou plutôt en contrebas, les victimes de caillassages d’une violence inouïe, qui s’étaient considérablement multipliés ces dernières années, souhaitent retrouver une sécurité sur la route.
Regard déterminé, le préfet Bieuville décline ses trois objectifs : « Par ces destructions de quartiers informels, nous ne voulons plus que des gens, et surtout les plus fragiles comme les vielles personnes ou les enfants, vivent dans des conditions indignes. Mais aussi, nous diminuons les poches d’insécurité, avec une concentration d’individus qui descendent sur la route, et agressent des gens. Et troisième objectif, c’est de répondre à la demande du maire d’aménager la commune, avec davantage de services publics, des commerces, des écoles, des équipements sportifs, etc. »
La zone en démolition s’étale sur les hauteurs, et c’est au pas de course que le préfet et les forces de l’ordre la parcourent, suivis par les médias. Trop rapide pour une opération inédite par son ampleur. Pas de pose devant l’amoncellement de tôles pour le représentant de l’Etat. En dehors de la ferraille, il n’y a pas âme qui vive, une opération qui se déroule dans une ambiance étrangement paisible, contrastant avec le bruit des tractopelles. « Il y a eu une petite tentative de barrage cette nuit à Majikavo Koropa, mais rapidement évacué », signale au préfet le général Lucien Barth.
Procédure de flagrance pour les ESI
« Une opération qui se passe bien », souligne Psylvia Dewas, vraie mémoire des démolitions d’habitat indigne pour les suivre toutes depuis février 2022. La chargée de la résorption de l’habitat illégal auprès du préfet de Mayotte livre les données chiffrées : « Sur 466 cases en tôle, 238 familles ont été enquêtées par l’ACFAV*, et 156 étaient éligibles à une proposition de relogement. Elles sont une cinquantaine à avoir accepté, dont 33 sont déjà relogées, 21 à Massimoni selon le programme de gestion locative adaptée ». Des relogements provisoires sur ces Algecos qui avaient été présentés à Elisabeth Borne, dont la formule a évolué puisque les familles peuvent y rester plus longtemps, 18 mois renouvelables, avec une solution pérenne à l’issue, contre un petit loyer. Il s’agit donc de familles dont l’un des membres travaille, histoire de leur faire mettre un pied dans l’économie formelle et de les insérer.
Difficile d’estimer le nombre d’étrangers en situation irrégulière (ESI), une famille pouvant occuper une à trois cases, mais le préfet indique que ceux qui ne voulaient pas être interpellés parce qu’en situation irrégulière, sont partis. » Avec leur tôle reconstruire plus loin comme ceux qui sont arrivés lors des démolitions de Jamaïque ou de Carobole ? « On intervient avec les maires dans ce cas sur la procédure de flagrance qui permet d’arrêter une construction en cours ». C’est théoriquement la police municipale qui a la main dans ce cas.
Au cours de la marche forcée de traversée du bidonville, sur la droite, une voie encombrée de déchets nauséabonds, « la route qu’ils prennent pour aller à l’école », commente un de nos guides.
C’est la même configuration de voie en plus large que prend la petite troupe peuplée majoritairement d’hommes en noirs et armés, celle où avait chuté la Première ministre Elisabeth Borne.
Présence massive de gendarmes
Les Algécos de Massimoni sont donc déjà habités, avec des occupants comme toujours nostalgiques de ce qu’ils avaient avant, « on n’est pas super bien, c’était mieux », lâchent-ils au préfet devant leur pièce unique qui leur sert d’habitat. Mais il ne faut pas s’y tromper. Le confort qu’ils revendiquent dans leur précédent logement, c’est au prix de branchements sauvages avec un seul compteur d’eau, donc un bakchich prélevé d’office par son propriétaire, des fils électriques cachés dans des gaines à eau, avec les risques d’exposition des enfants, etc. D’autres avant eux sont passés par cette étape difficile mais nécessaire du relogement provisoire, et se pressent désormais à la porte de la maison de projet de l’autre RHI majeur de la commune, Carobole, pour obtenir un logement, mais nous y reviendrons.
La permanence sociale est ouverte depuis plusieurs jours, des familles se succèdent pour entendre les propositions de relogement, avec théoriquement, un maintien de la scolarisation sur la zone, c’était un argument prioritaire pour la démolition sur Carobole, mais qui n’est pas toujours respecté lors d’un tel volume de gestion de population.
En matière de climat social, tout semble anormalement calme au regard des précédentes opérations. Lors de celles de Carobole en septembre 2021, ou de Talus 2 ensuite, des tensions étaient perceptibles en journée, et s’en était suivie une nuit effrayante avec des proches d’élus menacés dans leur habitation, pour se solder par l’incendie de la mairie de Koungou. Or, celle de ce lundi a été précédée d’un week-end calme sur la route. La question d’une dégradation en soirée n’est pas éludée par la gendarmerie, « nous resterons sur place le temps qu’il faut jusqu’à l’issue de l’opération », nous déclarait le général Barth. C’est à dire environ trois semaines, selon le préfet.
L’opération ayant utilisé la DUP Vivien, avec les contraintes que nous avons expliquées pour le propriétaire de terrain qui peut perdre jusqu’au deux-tiers de sa valeur, la maîtrise du foncier est totale, permettant d’assurer le financement de l’ANRU.
Anne Perzo-Lafond
*Association pour la condition des Femmes et l’aide aux victimes