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Un tribunal foncier pourrait être créé dans les Outre-mer, sur le modèle polynésien 

L’association Interco’ Outre-mer, qui rassemble les intercommunalités ultramarines, a tenu une conférence sur le foncier en Outre-mer, où plusieurs recommandations, telles que la création d’un tribunal foncier dans chaque territoire ont été proposées. 

Au début de l’année 2023, l’association Interco’ Outre-mer publiait un « recueil d’alertes, d’observations et de propositions » après avoir mené des consultations auprès d’acteurs du foncier dans les Outre-mer. Dans ce cadre, en avril 2024, l’association avait lancé les Conférences des Parties sur le foncier en Outre-mer (COP Foncier Outre-mer), dans une volonté de poursuivre ce travail pour aboutir à la mise en place d’actions concrètes dans les territoires ultra-marins.

« Des solutions pragmatiques et concrètes » 

Dès l’ouverture de la conférence, le ton est donné en ce sens. Tous les acteurs publics, privés mais aussi des élus sont réunis au sein du Sénat et écoutent attentivement les mots de la présidente d’Interco Outre-mer, Lyliane Piquion-Salomé, qui répète vouloir insister sur la dimension pratique du sujet : « Cette matinée consacrée au foncier est une opportunité pour aborder ensemble des problématiques complexes mais aussi pour envisager des solutions pragmatiques et adaptées à nos réalités, en travaillant collectivement. Rien n’est plus essentiel que le terrain. Dans cet esprit nous pourrons avancer dans une gouvernance foncière pour relever les défis de demain de l’outre-mer. Une matinée enrichissante, inspirante, et innovante avec des solutions pragmatiques et concrètes. » Le Maire de la commune martiniquaise Les Anses d’Arlet, Eugène Larcher s’exclame à son tour : « Enfin on va parler du foncier ! » 

« Ce sont des constructions illicites et non indignes »

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Sous couvert de la loi Elan, le gouvernement s’applique à une politique de démolition d’habitations illégales à Mayotte depuis 2019 (Photo : préfecture976)

Il faut dire que derrière ce terme assez général, c’est surtout la problématique des terrains abandonnés ou squattés illégalement qui est pointée. Le maire de la commune de Rémire-Montjoly en Guyane, Claude Plenet, met les pieds dans le plat. « Quand on construit sur un terrain sans autorisation administrative, ce n’est pas indigne, c’est illégal. On ne sait pas à qui appartient le terrain. Ce sont des constructions illicites et non indignes. On est confrontés à cela, on voit croître les squats sur nos territoires, les maires sont désarmés par rapport à cela car on est dans le droit commun, la police municipale doit faire un procès verbal, la maire prend un arrêté d’interruption, cela doit être transmis au parquet, au procureur, c’est chronophage. Et après on est sur de l’humain. Je demande qu’on ait la possibilité de démolir tout de suite. Mais c’est compliqué à faire. » 

Les bidonvilles, une réalité commune aux outre-mer

A Mayotte, le déficit de logements sociaux est abyssal, compte tenu de de la nécessité de reloger les familles dont l’habitat illégal a été démoli.

« Nous n’avons pas les mêmes réalités de terrain. La problématique de Mayotte n’est pas la même qu’en Guyane ou Martinique », estime Claude Penet. Pourtant, le nombre d’habitations illégales est particulièrement élevé dans les outre-mer. Dans un rapport du Sénat sur la politique du logement dans les outre-mer en 2024, le nombre d’habitations illégales était estimé à 13% du parc des logements des départements-régions d’outre mer. À Mayotte, près de 15.000 personnes avaient été recensées dans le bidonville de Koungou, soit autant que dans tout l’Hexagone. Souvent construites rapidement, ces cases illégales se bâtissent sans ordonnancement. Les matériaux de récupération utilisés, tels que la taule, le bois, le contre-plaqué, ne sont pas suffisamment solides pour prémunir d’une infiltration d’eau, pour empêcher le vent d’emporter un bout de l’habitation ou pour que la case résiste à un éventuel éboulement de terrain. Cette situation s’explique surtout parce que ces habitants vivent dans une grande pauvreté, où l’accès à l’eau et l’électricité sont des denrées rares, la plupart du temps ils ne sont pas propriétaires du terrain. 

Des tensions sociales en toile de fond

À Mayotte, face à l’ampleur de la situation, les tensions entre les occupants illégaux et les propriétaires de ces terrains prolifèrent, souvent dans la douleur. À titre d’exemple, la famille Batrolo avait été contrainte de verser une importante somme d’argent pour récupérer l’usage de son terrain après avoir démoli les constructions illégales qui s’y étaient déployées depuis 2016. À cette époque, la population locale interrogée à propos de cette affaire estimait que la justice avait été particulièrement sévère avec les propriétaires du terrain. Aussi, à la fin de l’année 2021, une décision de justice était allée à l’encontre de la décision préfectorale de démolition de plusieurs habitations informelles à Miréréni et à Combani, conduisant à des tensions entre une partie de la population locale et l’association de défense des migrants. 

Une juridiction spécifique pour les affaires foncières ? 

Pour les experts de l’Interco Outre-mer, les sujets liés au foncier et à l’urbanisme sont pourtant « rarement jugés prioritaires » et concernant l’indivision, « l’encombrement des tribunaux » serait un frein à la mise en œuvre de la loi Letchimy, dont l’objectif est de faciliter la sortie de l’indivision successorale. Face à ce constat, les membres de ces conférences des parties sur le foncier, proposent qu’une juridiction exceptionnelle chargée des affaires foncières soit mise en place dans chaque département-région d’outre mer pour « faciliter la résorption du désordre foncier en ce qu’elle réduirait la charge des tribunaux et les délais d’instruction », juge Philippe Shmitt, expert en urbanisme et en foncier.

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Unique en France, le tribunal foncier de Papeete est directement rattaché au tribunal de première instance (TPI) mais dispose d’une compétence spécifique sur les questions de la terre, telles que l’accès à la terre, la servitude, les droits de passage (image/DR)

Cette juridiction pourrait être un tribunal foncier, une chambre foncière ou une commission de conciliation obligatoire en matière foncière, et serait composée d’experts juridiques sur les questions foncières, tel que cela a été mis en place en Polynésie. Pour Laure Belanger, vice-présidente du Tribunal de première instance et coordonnatrice du Tribunal foncier de Papeete, ce tribunal dispose de trois atouts : « Il a une valeur symbolique car cela met avant l’importance qu’on accorde à ses problématiques pour les familles, il a aussi un aspect pratique car on accueille les justiciables au sein d’un lieu dédié  et cela facilite la communication institutionnelle pour identifier l’interlocuteur adéquat. Il est très efficace car le personnel est spécialisé. » Pour le maire de la commune de Rémire-Monjoly de Guyane, ce tribunal est nécessaire pour régler les problèmes d’indivision auxquels sont confrontés les maires : « Depuis 2020, mon collègue martiniquais, Fred Michel Tirault, maire de la commune Saint Esprit en Martinique, gère 42 dossiers indivision, et il n’arrive à avancer sur seulement 20 dossiers. Il y a donc un intérêt à avancer grâce à un tribunal. » 

Bidonvilles chaque année plus nombreux, maisons et jardins abandonnés, reviennent à la bouche des acteurs présents au colloque, qui arrivent rapidement à la question de « l’immigration ». Très souvent, la problématique de l’habitat insalubre est perçu comme une réalité à supprimer du paysage sans solution de fond sur le relogement et l’accueil des migrants. Pourtant, le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est clair : les déplacements des populations vont s’accentuer, qu’ils soient motivés pour des raisons économiques, climatiques ou sociales. La loi va devoir s’adapter pour être à la hauteur de ces défis auxquels les Hommes n’auront d’autres choix que celui d’y répondre.

Mathilde Hangard

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