Il y a trois ans, une délégation de sénateurs se rendaient à Mayotte pour mener une série d’auditions répondant à la lettre de mission d’information relative à la sécurité à Mayotte. Elle était présidée par le LR François-Noël Buffet, accompagné des sénateurs Thani Mohamed Soihili (RDPI), Stéphane Le Rudulier (LR), et Alain Marc (Les Indépendants). Rapport qui était ensuite examiné en commission des Lois du Sénat, retraçant le contexte mahorais avant de proposer 16 pistes de solution. Certaines ont été mises en place, d’autres sont encore à appliquer.
On peut donc dire que François-Noël Buffet devenu ministre délégué aux Outre-mer, possède les données. Reste à savoir s’il a aussi les cartes en main, et ça, c’est le ministre de l’Intérieur qui va le dire.
La densité démographique mahoraise, « l’une des plus importantes de France », sa jeunesse, « trois Mahorais sur dix ont moins de 10 ans », le développement économique « insuffisant pour lui offrir des perspectives d’avenir », les services publics saturés, tout y est. Au chapitre de l’insécurité, trois types de délinquance particulièrement marqués à Mayotte sont soulignés : les homicides, les coups et blessures volontaires hors cadre familial et les vols commis avec violence. La mission s’est aussi attachée à qualifier la violence : juvénile et brutale, « les faits peuvent être particulièrement violents ».
Contrairement à une idée assez répandue en métropole, la violence n’a quasiment pas de justification économique, indiquent les sénateurs : « s’il existe une délinquance de subsistance, les forces de l’ordre et services judiciaires décrivent également la présence sur le territoire d’affrontements violents entre bandes rivales, sans autre motif apparent que le ‘désœuvrement’ de leurs protagonistes ».
Un contexte de « ras-le-bol » qui « nourrit les flux migratoires des Mahorais à destination de La Réunion ou de l’Hexagone. »
Des avancées côté gendarmerie
La 1ère mesure porte sur la prévention de la délinquance. Un dispositif avait considérablement apaisé les villages, celui des « gilets jaunes » à la mahoraise, en 2018. Endossés par les adultes du quartier dans une logique de surveillance de proximité, les quelques débordements constatés les font considérer par la mission comme des groupes d’autodéfense qui « sapent la légitimité des forces de l’ordre », mais qui de leur côté, n’arrivaient pas à maitriser la délinquance. Ces associations sont désormais encadrées, sous l’appellation de « parents relais ».
Pour la commission sénatoriale, il faut développer en milieu scolaire les dispositifs des « élèves-pairs » et des classes « défense et sécurité globale », qui « contribuent à resserrer concrètement les liens entre les forces de sécurité et les jeunes mahorais ». Comme les groupes de médiation citoyenne (GMC) et le régiment du service militaire adapté (RSMA).
Alors que le ministre Buffet a glissé à la députée Estelle Youssouffa qu’il pourrait se rendre à Mayotte d’ici la fin de l’année, il convient de cocher les mesures déjà réalisées parmi les 16 préconisées.
L’amélioration de l’organisation des forces de gendarmerie, qui était la 2ème proposition, a été actée par la venue sur le territoire du général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, désormais, les modalités d’action ont changé, avec des actions sur les hauteurs des villages. La mise en place d’un second PSIG (Peloton de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie) dans le Sud (3ème mesure) a été annoncé il y a quelques jours par le capitaine Arnaud Couric, commandant de la nouvelle compagnie de gendarmerie de Dembéni.
La 4ème mesure, l’état des lieux des moyens faisant défaut aux forces de l’ordre, est une recommandation quasi-permanente, ainsi que la 5ème sur l’attractivité pour les policiers nationaux.
Une cour plutôt qu’une chambre
Les quatre préconisations suivantes touchent l’administration judiciaire et restent toutes à appliquer : l’émergence d’une Cité judiciaire avec les moyens humains adéquats, la création d’une Cour d’appel de plein exercice et non une chambre détachée, dédoubler le Centre pénitentiaire qui ne serait plus qu’une Maison d’arrêt, avec la création d’un second Centre de détention dans le Sud de l’île, et enfin, aménager les peines pour désengorger la prison, avec la construction d’un centre de semi-liberté et d’un centre éducatif fermé. Des annonces d’Eric Dupond-Moretti…
De la 10ème à la 13ème, on parle lutte contre l’immigration clandestine, avec une mise en place très partielle depuis 3 ans. Permettre l’intervention des intercepteurs en « zone contiguë » des eaux comoriennes, allonger la durée de présence régulière d’un parent avant la naissance de son enfant pour conditionner l’accès à la nationalité française, Gérald Darmanin voulait la passer de trois mois actuellement, à un an. Renforcer la lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité avec une centralisation de l’état civil en un fichier unique, et approfondir la coopération diplomatique et économique avec l’Union des Comores.
Enfin, les trois dernières concernent les collectivités et ont partiellement obtenu des avancées : accompagner les communes dans le financement de l’éclairage public et la vidéosurveillance, continuer à appuyer l’action du Conseil départemental de prise en charge des mineurs et des jeunes en errance, et poursuivre l’aide aux communes dans le travail d’adressage et de recensement.
De sénateur à ministre, le défi n’est pas le même, et en reprenant cette liste, il pourra intégrer l’évolution du paysage politique depuis 2021, avec des annonces fortes de Gérald Darmanin de suppression du droit du sol et des titres de séjour territorialisés. Son successeur à l’Intérieur, Bruno Retailleau, semble adopter la même position, ces mesures devraient être inscrites au sein des lois Mayotte. Mais au sein d’un gouvernement fragile dont on ne connaît pas l’avenir proche après la présentation du budget.
Anne Perzo-Lafond