Alors que chaque année le budget de la mission Outre-mer était annoncé en hausse, cette année, on va devoir se serrer la ceinture, de Paris aux chefs-lieux aux noms chantant, notamment un Fort-de-France (Martinique) en ébullition, en passant par les TOM, Papeete, etc.
Des efforts « d’ampleur » sont annoncés par le dernier Conseil des ministres, de 60 milliards d’euros, pour ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025. Et les ultramarins ne vont pas y couper.
Avec une contraction du budget de la mission Outre-mer de 200 millions d’euros pour certains, jusqu’à 300 millions pour d’autres, avec une colère égale, « Non aux coups de massue sur les Outre-mer ! », lâchent les 10 sénateurs ultramarins RDPI (Ex-République en Marche), dans un texte dont Saïd Omar Oili est cosignataire. Ils représentent les trois bassins océans Indien, Atlantique et Pacifique. « Le rabot budgétaire imposé aux Outre-mer vient creuser les fractures déjà béantes et risque de compromettre durablement le pacte républicain qui lie les territoires ultramarins à la République », critiquent-ils, évoquant un « camouflet » face aux difficultés, « la vie chère, le déficit d’emplois et de logements, la détresse sociale auxquels viennent s’ajouter des besoins fondamentaux en matière d’accès à l’eau et aux services publics de base, de liberté de circuler dans un climat insurrectionnel ».
Dans un communiqué publié à peine le budget annoncé la semaine dernière, le sénateur guadeloupéen PS Victorin Lurel, membre de la commission des Finances du Sénat, va dans le concret, « je peine à comprendre comment le Gouvernement pourra justifier demain de rogner les crédits de la continuité territoriale, de baisser les aides au logement, de désinvestir dans les plans de convergence et de transformation, de grever les aides économiques aux entreprises… »
« Manque de transparence »
Le Premier ministre, Michel Barnier, ayant annoncé que le budget était « perfectible », alors que s’annoncent les débats, au cours desquels chacun va tirer la couverture budgétaire à soi, les Outre-mer comptent bien se faire entendre. Victorin Lurel demande des « arbitrages favorables » envers ces territoires, et si les sénateurs RDPI, indiquent comprendre « la difficulté de l’exercice budgétaire pour le gouvernement et la situation de la dette publique », ils appellent le gouvernement « au sursaut républicain » : « Il est encore temps pour le gouvernement de réagir en réajustant ses priorités lors du débat parlementaire qui s’ouvre. »
Bien sûr, leur réaction de contestation est en partie dictée par un enjeu politique de représentativité de leur électorat, particulièrement pour les sénateurs, les collectivités en première ligne de l’effort à consentir. Nous avons malgré tout cherché à savoir si cette diminution allait fortement pénaliser ou non les Outre-mer.
Tout d’abord, le budget annoncé de 2,49 milliards d’euros, en baisse de 10 %, est celui de la mission Outre-mer. Or, celle-ci ne représente que 11% des crédits budgétaires dédiés aux territoires ultramarins (Chiffres Sénat). Ceux-ci sont « disséminés au sein de 105 programmes budgétaires issus de 32 missions qui s’élevaient, début 2024, à un peu plus de 21 milliards d’euros en autorisation d’engagement », indique le Sénat. La mission Outre-mer représente donc une part minime des investissements dans les territoires ultramarins, par exemple, et c’est encore le Sénat qui le dit, « la mission Enseignement scolaire regroupe à elle seule 32 % des crédits consacrés aux Outre-mer. »
Dans un contexte global de maintien de l’enveloppe pour l’éducation nationale, 63 milliards d’euros, quasiment la même que dans le PLF 2024, mais de diminution de 4.000 postes d’enseignants, il va falloir regarder de prés ce qui est prévu pour Mayotte où la population scolaire ne cesse d’augmenter.
C’est donc surtout sur ces crédits transversaux à plusieurs ministères, que doivent veiller les parlementaires, mais ils se plaignent d’un « manque de transparence » : « Nous appelons le gouvernement à lever l’opacité de la maquette budgétaire consacrée aux Outre-mer (…) qui brouille le débat parlementaire en masquant la répartition complète des crédits de l’Etat pour chacun de nos territoires, au-delà des lignes gérées par le ministère des Outre-mer ». Un « manque de transparence » qui ne permet pas de poser de réels bilans de l’engagement de l’Etat en Outre-mer, « et empêche le Parlement de débattre de l’ensemble des politiques publiques » que le gouvernement y engage.
Une meilleure consommation des crédits… pas forcément à Mayotte
Ensuite, les crédits étaient jusqu’à présent sous-consommés, avait pointé la Cour des comptes sur le budget 2022 (donc en fin de crise sanitaire). Une sous-consommation qui s’élevait à 75 millions d’euros, sur trois grands postes : le logement (la Ligne Budgétaire Unique, LBU), le Fonds Exceptionnel d’Investissement et le soutien aux collectivités locales, ces dernières avaient laissé filer 11 millions d’euros.
Plusieurs parlementaires s’en étaient émus accusant l’Etat de s’en sortir à bon compte qui annonce des crédits en hausse, mais non dépensés. Certains comme Olivier Serva avaient invoqué un déficit d’ingénierie préjudiciable à l’aboutissement des projets en Outre-mer. Un thème repris par la Cour des comptes, toujours dans son rapport « Financements de l’Etat en Outre-mer ». Y était révélé que sur la période 2019-2022, Mayotte était le territoire qui bénéficie du niveau de crédits le plus élevé, avec plus de 1 milliard d’euros affecté… mais qui affichait le taux d’exécution le plus faible avec seulement 15 % des sommes effectivement engagées et concrétisées. Il faudrait à ce sujet dresser un bilan de l’enveloppe du Contrat de convergence de Mayotte de 1,6 milliard d’euros, théoriquement clos au 31 décembre 2022. A hauteur de quelle proportion a-t-elle été consommée ?
La difficulté d’appréhender le taux de consommation de l’ensemble des crédits de l’Etat en raison de l’opacité mentionnée plus haut, ne permet pas d’évaluer l’évolution du taux de consommation. Mais en matière de mission Outre-mer, qui ne se monte donc qu’à 11% des crédits globaux, il semble que la situation se soit améliorée, selon les chiffres de la Cour des comptes. La loi de Finances rectifiée pour 2022 faisait état de 2,6 milliards d’euros en Autorisation d’engagement (AE, projets engagés), et de 2, 5 milliards d’euros en Crédits de paiement (CP, projets réalisés). Or, ils ont été respectivement consommés à hauteur de 2,8 milliards d’euros en AE et 2,72 milliards d’euros en CP, donc davantage que prévu. Un constat à nuancer évidemment en fonction des territoires.
Conclusion, il faut doter les ultramarins et ils sauront gérer, disent en substance les sénateurs RDPI, « Si l’Outre-mer est au cœur de la France’, comme nous l’entendons à chaque visite ministérielle de tous les gouvernements qui se succèdent, alors la France doit entendre les battements que forment les cris de ses populations. »
Ils vont pouvoir échanger sur leurs préoccupations en présentiel avec le Premier ministre puisque Michel Barnier a promis la tenue d’un nouveau comité interministériel des Outre-mer « durant le premier trimestre 2025 ». Le sujet de la vie chère et des freins aux contrôles de la fixation des prix sera placé en tête de liste.
Anne Perzo-Lafond