Sur un territoire à forte croissance démographique, 4%, et où les jeunes sont de plus en plus nombreux à arriver sur le marché du travail chaque année, l’INSEE nous informait d’une chute du taux en emploi : en 2023, 50.000 personnes de 15 à 64 ans ont un emploi à Mayotte, soit 29 % de la population en âge de travailler, en baisse de 5% par rapport à 2019, avant la crise sanitaire. Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) est de 37 %. Il faut rajouter les 20% du halo autour du chômage, c’est-à-dire les personnes de 15 à 64 ans souhaitant travailler mais n’effectuant pas de démarches actives de recherche d’emploi. La moitié de la population active est donc sans emploi.
Face à ce triste tableau, les besoins du territoire sont immenses. Si l’insécurité commence à mobiliser des créations d’emplois avec la mise en place d’association de proximité dans les communes, la gestion des déchets qui s’entassent et tuent nos rivières et nos mangroves, doit être vue comme une priorité. Mobiliser les jeunes pour qu’ils trouvent des emplois, ou en créent dans le domaine des emplois verts, doit devenir un axe de travail pour tous les décideurs du public et du privé.
Selon le dernier rapport de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (Onemev), les activités de l’économie verte mobilisaient près de 1,2 million d’emplois en équivalent temps plein (ETP) en 2021, soit 4,2 % de l’emploi total national. 42% le sont dans la production et la distribution d’énergie et d’eau, 36% dans l’assainissement et le traitement des déchets, 22 % dans la protection de la nature et de l’environnement. En perspective, 1,8 million d’emplois pourraient être créés d’ici 2030 par un Plan de Relance Vert.
De l’ingénieur à l’exclu du système scolaire
Un coche qu’il ne faut pas louper, alerte Mohamed Hamissi, qui s’il est spécialiste de la mobilité possède aussi un bagage en développement durable dans son panel. « Alors que le projet de loi Mayotte revient sur le devant de la scène après l’annonce du nouveau gouvernement, il faut inscrire cet axe de Plan d’emplois verts à Mayotte. Priorité est donnée à la lutte contre l’insécurité et l’immigration clandestine, mais il ne faut pas oublier en parallèle les vecteurs de développement du territoire et demander à être accompagnés par l’Etat. Car je reste persuadé que c’est l’économie qui va sortir Mayotte de ses maux. Et si on ne se penche pas sur le sujet, on va louper le coche d’aides gouvernementales qui vont nous permettre de créer de nombreux emplois. »
Et les domaines d’action sont nombreux, rappelle-t-il sur ce sujet à Mayotte, « revoir la manière d’exercer l’agriculture, avec par exemple, l’implantation de fermes photovoltaïques agricoles qui permet d’alimenter les exploitations, la décarbonation, avec notamment les véhicules électriques, mais il faut se doter de garagistes compétents sur ce type de voiture, la transition énergétique, l’agriculture biologique, l’économie circulaire, mais sans utiliser des emplois précaires, la valorisation des déchets, l’écotourisme… Sur ce secteur, peu de personnes osent se risquer en raison de l’insécurité, mais si on forme des jeunes à l’entretien des sentiers, à la valorisation des cours d’eau, à devenir guide nature environnement, leur inclusion va forcément diminuer l’insécurité.»
Des emplois qui regroupent des jeunes de tous niveaux, « nous devons inciter ceux qui marchent bien à l’école à aller jusqu’au diplôme d’ingénieur, et nous préoccuper des exclus du système scolaire, comme des diplômés qui ne trouvent pas d’emplois. Il faut mettre en place des CAP, des BTS ou autres, spécialisés dans ces secteurs ».
Sur le plan national, près de 35 % des entreprises d’insertion ont déjà réorienté leur activité dans des emplois « très verts » : agriculture, recyclage, énergies renouvelables ou encore entretien d’espaces verts. « Les centres de formation à Mayotte doivent également se spécialiser pour offrir des débouchés dans ces métiers. Le lycée agricole a déjà commencé, il faut l’amplifier. Et surtout, valoriser ces métiers qui ne doivent pas être vus comme dégradants quand il s’agit par exemple de gérer les tris des déchets, mais bien les voir comme le moyen de sauver Mayotte. Surtout que pour la plupart, un Bac Pro est au minimum demandé ».
Canettes ou DeNOx, des actions à tous les niveaux
Une grosse entreprise a donné le « la » le mois dernier, Électricité de Mayotte (EDM) avec la « DeNOx », le traitement des oxydes d’azote dans les fumées, a divisé par dix la quantité de particules polluantes. « Il faut profiter de cette avancée pour former des jeunes à ces métiers ici. »
Et il suffit de se balader pour constater les opportunités, « il faut reconquérir les cours d’eau, les rivières de Majimbini et de Gouloué sont jonchées de déchets, mais aussi trouver des dispositifs pour ramasser les déchets sur les hauteurs où ne peut aller le SIDEVAM. C’est une question de santé publique. Les associations villageoises ne peuvent plus faire à la place des professionnels. Surtout qu’on nettoie le matin, c’est à nouveau jonché de déchets l’après-midi ! » Il regarde également du côté de la transformation des déchets, « le compostage est vecteur de créations d’emplois, il suffit de créer la filière, il y a même des formations de maître composteur. »
La valorisation des déchets est un domaine fortement créateur d’emplois, encore faut-il que l’investissement des éco-organismes soit à la hauteur du territoire. « Il ne faut pas oublier les déchets électriques et électroniques, des entreprises de valorisation ont été créées, mais il y a énormément de déchets de cette nature, on peut encore créer de nombreux emplois. » A ce titre, nous avons salué la réussite de l’entreprise SOA d’Ibrahim Oili Ali, spécialisée dans la réparation, le réemploi et le recyclage des appareils électroménagers, et lauréate du concours Talent des cités d’outre-mer. Titulaire d’un Bac pro en systèmes électroniques numériques, son créateur a suivi une formation d’un an en alternance pour devenir technicien en réparation de gros électroménager.
S’enrichir sur nos déchets
La preuve selon Mohamed Hamissi qu’il faut évaluer le coût d’exportation de nos déchets, « et voir s’il ne serait pas plus intéressant de les reconditionner sur place en créant des emplois. »
La consignation des bouteilles n’est plus d’actualité avec l’avènement des canettes, ces dernières sont jetées un peu partout, leur valorisation, comme le fait l’association Yes We Can Nette, doit être multipliée, « ainsi que les sacs plastiques ».
Accentuer la répression qui est peu pratiquée ici, lui semble inévitable : « Il faut verbaliser davantage. Prenons l’exemple des épaves que l’on appelle Véhicules Hors d’Usage, si les collectivités ne font pas l’effort de retrouver les propriétaires avec la plaque d’immatriculation pour les verbaliser, c’est une incitation sur le mode, ‘je peux laisser mon épave n’importe où, c’est la collectivité, donc le contribuable, qui va la ramasser’. Il faut appliquer le principe de pollueur-payeur et faire des campagnes de sensibilisation. Car sur une pollution de rivière, qui va payer ? Le Conseil départemental propriétaire du terrain où coule le cours d’eau ? Les Interco ? Les communes ? Il faut arrêter de rester passif. »
Mohamed Hamissi appelle à lancer une « étude prospective sur les différents types d’emplois verts, car ils nous offrent une nouvelle opportunité d’inclusion sociale à Mayotte ».
Anne Perzo-Lafond