Ce n’est qu’au bout de 7 ans de procédure qu’a enfin eu lieu le procès de Ramlati Ali et de ses présumés complices, soupçonnés d’avoir sciemment truqué les élections législatives de 2017 qui avaient conduit à l’élection de la candidate en tant que députée. Son adversaire de l’époque, l’avocat El Had Chakrina, avait déposé plainte après que des irrégularités concernant des procurations de votes ont été constatées. On s’était notamment aperçu, après coup, qu’il y avait davantage de bulletins dans l’urne que d’émargements. Le Conseil constitutionnel avait donc annulé cette élection, reportée en 2018. Cette dernière avait néanmoins toujours conduit à la victoire de Ramlati Ali où elle a pu aller au terme de son mandat malgré le contrôle judiciaire qui lui avait été imposé.
L’enquête de gendarmerie a pu mettre en évidence plusieurs actes illégaux concernant l’établissement des procurations. Toutes concernaient des personnes très âgées, pas forcément en mesure de se prononcer pour un vote. Le médecin Habil Combo Yacout, censé les visiter pour établir le certificat médical prouvant qu’elles étaient dans l’incapacité de venir voter, ne s’était en réalité pas déplacé pour les voir. De même, le major de gendarmerie Ahamadi Boura a commis ce qu’il qualifie lui-même de « faute professionnelle » en ne se rendant pas lui-même au domicile des mandants afin de vérifier leur identité comme l’exige la loi. Les procurations avaient été amenées au domicile des personnes âgées par des membres de la famille, dont certains ont même signé en lieu et place de leurs parents âgés, car dans l’incapacité physique de le faire eux-mêmes.
Système frauduleux bien huilé ou simple négligence professionnelle ?
Toutes les personnes impliquées ont affirmé que leurs manquements n’étaient pas intentionnels. Les 4 « collecteurs de procurations » ont plaidé la naïveté en prétendant ne pas être au courant des règles de l’établissement d’une procuration, à savoir que ces dernières devaient être signées sous le contrôle d’un officier de police judiciaire (OPJ). La plupart se sont rendues chez des membres de leur familles âgées pour récolter les procurations et ont affirmé « ne pas être au courant que ceci constituait une infraction ». Anzizi Hamouza Bacar, chargé de centraliser les procurations, a remis l’enveloppe au major Boura, qui lui-même a affirmé à la barre qu’il « ignorait que ce dernier était un soutien actif de Ramlati Ali ». Une affirmation que les juges et la procureure ont eu du mal à croire dans la mesure où le major Boura, commandant de la brigade de M’tsamboro au moment des faits, avait lui-même affirmé « qu’il connaissait tout le monde dans le nord ». Le major a toutefois avoué devant sa hiérarchie, deux jours seulement après les élections, qu’il avait « commis une faute professionnelle en ne se déplaçant pas lui-même pour établir les procurations », déclenchant alors l’enquête.
De même, le médecin Habil Combo Yakout a reconnu ses torts en expliquant que Ramlati Ali lui avait bien demandé d’établir des certificats médicaux, mais que, devant leur nombre important (38), il avait été dans l’incapacité de faire toutes les visites et avait donc établi les certificats médicaux sans visiter les patients et sans oser non plus se désengager de la parole qu’il avait donné à Ramlati Ali. « Je ne pouvais plus revenir en arrière, car j’aurais pu un jour avoir également besoin des services de Ramlati Ali », a-t-il expliqué lors du procès. S’il a bien reconnu son « manquement à la déontologie », il a expliqué ne pas l’avoir commis dans une intention de frauder les élections. Quant à la principale intéressée, l’ancienne députée Ramlati Ali, elle a affirmé « ne pas avoir été du tout au courant des agissements de ses sympathisants ». Elle était pourtant soupçonnée d’avoir orchestré toute l’affaire dans le but de gagner les élections.
Pour la procureure, les choses sont claires : ces différents manquements, pris isolément, ne constituent pas la preuve d’une fraude, mais réunis ensemble, ils constituent les éléments d’un système frauduleux visant à faire élire Ramlati Ali via « des procurations extorquées à des personnes âgées n’étant pas en mesure de donner leurs intentions de vote ». Elle a donc requis 6 mois de prison avec sursis et 1.500 euros pour les 4 personnes ayant récupéré les procurations auprès des personnes âgées et 8 mois de prison avec sursis et 2.000 euros d’amende pour le « chef des collecteurs », Anzizi Hamouza Bacar, puisque, pour elle, son intentionnalité ne fait aucun doute étant donné qu’il était un soutien actif de la candidate. La procureure a également requis 8 mois avec sursis et 10.000 euros d’amende pour le médecin et 12 mois de sursis et 10.000 euros d’amende pour le major Boura qui, en vertu de son statut de représentant de l’autorité public et donc garant de la sincérité des élections, a commis de son point de vue une faute plus lourde que les autres. Enfin, pour Ramlati Ali, elle a requis 18 mois de prison avec sursis, 15.000 euros d’amende et 5 ans d’inéligibilité. « La phrase qu’elle a dite au Docteur Combo Yacout, à savoir « ne t’inquiète pas, ils sont tous à Mayotte » prouve qu’elle savait très bien que le médecin allait établir les certificats médicaux sans se déplacer », a-t-elle justifié.
Estimant tous que « les infractions n’étaient pas caractérisées au vu des faits reprochés », les 5 avocats de la défense ont tous plaidé la relaxe pour leurs clients respectifs sur le chef d’accusation d’établissement de fausses procurations. Les avocats du major Boura et du médecin Habil Combo Yacout ont en outre fait remarquer que ces derniers avaient été « suffisamment punis » de leur « faute professionnelle » en écopant de 7 ans de contrôle judiciaire et d’une rétrogradation concernant le major Boura. Ils ont également indiqué qu’il n’y avait pas eu de falsification des procurations, mais que le major et le médecins avaient simplement « omis de se déplacer ». « Cela constitue certes une faute professionnelle, mais en aucun cas cela ne prouve qu’il y a eu intention de frauder », ont déclaré leurs avocats. Le bâtonnier Me Soilihi, avocat du médecin, a également mentionné qu’à l’heure actuelle la loi avait changé et que les certificats médicaux n’étaient plus obligatoires pour établir une procuration. Pour lui, cela justifie que le tribunal revoit les réquisitions de la procureure à la baisse, voire même qu’il y ait relaxe.
Nous ne connaîtrons le fin mot de cette histoire que le 22 octobre prochain quand le tribunal rendra son délibéré.
N.G