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Habitat : « La construction en terre, c’est noble ! »

Retour à la terre ! Likoli Dago et Art Terre ne veulent pas nous enterrer avant l’heure, mais bien proposer un nouveau type d’habitat, plus agréable à l’œil, reprenant ce qui se faisait dans les années 2000 à Mayotte en le modernisant. Pour cela, des experts mondiaux étaient présents sur les deux jours de conférence au Pôle d’Excellence Rural de Coconi.

Construire des maisons en briques de terre, Mayotte sait faire, puisqu’environ 10.000 logements ont été produits par la Société Immobilière de Mayotte (SIM) jusque dans les années 2000. Puis, ce fut le trou noir, « une pause, avec une période d’instabilité à la direction de la SIM, la filière fut mise au placard », retrace Melvyn Gorra, ingénieur spécialisé en terre crue et coordinateur d’Art Terre Mayotte, un des intervenants des deux jours de conférence-débats et exposition autour du thème « Construire en terres et en fibres à Mayotte »

Une magnifique maison de briques de terre compressée à Mayotte

Organisée par Likoli Dago dans le cadre du projet Cycle SOMA, « apprendre » en shimaoré, chacune des deux journées avait son thème : « De la matière première au matériau de construction », vendredi et « Construire avec les terres et les fibres à Mayotte », pour samedi. Et pour ce deuxième jour, Likoli Dago et Art Terre ont mis la barre haut avec l’intervention de deux illustres invités, dont un des spécialistes mondiaux de la question.

Christian Pedelahore, architecte, professeur et directeur de recherche à la Sorbonne dans le secteur du Développement durable des territoires en collaboration avec 22 universités partenaires, accompagne et joue l’interprète pour Marcelo Cortès, architecte et constructeur chilien, l’un des plus grands spécialistes latino-américain de la terre comme ressource fondamentale dans la construction. Nous l’avons interrogé sur le message qu’il compte faire passer en venant à Mayotte : « Pour construire un habitat contemporain, nous devons utiliser ce que nous avons sous les pieds, et ne pas regarder la vitrine de notre voisin. » Une allusion à la quête de conceptions modernes en métal et vitres des pays dits « avancés », et qui peuvent servir indûment de modèle. Qui ne se souvient pas des railleries lors de la construction de l’aéroport en extérieur bois de Pamandzi, de ceux qui rêvaient de métal et de verre. « Je voudrais dire aux gens qui réfléchissent comme ça, ‘venez chez nous en Amérique du Sud où nous, les architectes nous créons des bâtiments contemporains avec les matériaux du sol. »

La BTC, pas un matériau de pauvres

Fayaddhuidine Maanli invitait chacun à se faire missionnaire pour la brique en terre

Comme le détailleront les intervenants, il ne s’agit pas de construire une préfecture-bis, mais de moderniser la conception et la finition pour que la BTC (brique de terre compressée) qui a eu de beaux jours derrière elle, renoue avec le succès. Elle peut en tout cas se targuer d’une professionnalisation couronnée lors de la certification Afnor en 2021, rappelait Melvyn Gorra, « nous avons mis dix ans pour travailler sur un texte normatif, maintenant ce type de construction est encadrée ».

Il est présenté comme un maçon-formateur, et c’est un véritable plaidoyer que va livrer Fayaddhuidine Maanli : « Je vous demande de garder deux mots à l’esprit, courage et décision. Le courage de vivre de son environnement naturel comme nos parents qui avaient construit en terre crue. Mais pour le mahorais de base (référence ironique à une terme réducteur utilisé par une employée d’Air Austral, ndlr), des doutes subsistent sur la solidité et la pérennité des constructions en BTC. Or, il existe de par le monde, des écoles, des hôpitaux, des maisons privées sur plusieurs étages en terre crue. Et pas uniquement en Afrique ce qui serait pour beaucoup synonyme de pauvreté. Je vous demande donc de prendre le temps de comprendre comment fonctionne ce matériau, et de prendre le temps de le transmettre. Ceux qui vont décider de construire des maisons en BTC ne sont pas ridicules ou pauvres, la construction en terre, c’est noble ! »

Un voyage espace terre-temps

Le chantier de la mairie de Sada qui intègre la BTC dans sa réalisation

C’était tout l’enjeu de ces deux journées où experts internationaux et professionnels du bâtiment se sont côtoyés. Un exemple de volonté politique, la convention signée en avril dernier entre l’Établissement Public Foncier et d’Aménagement de Mayotte (EPFAM) et Art Terre Mayotte, pour promouvoir les constructions en terre comprimée. Un autre, c’est la première pierre en BTC du lycée des métiers du bâtiment de Longoni scellée par le recteur Gilles Halbout en 2022, un coup de pouce à la filière, mais il faut aller plus loin.

Il en va d’une filière autrefois structurée, avec des savoir-faire locaux et de nombreux emplois à recréer. « Sans compter les bénéfices, comme la protection thermique, la ventilation naturelle, dont témoignent les bâtiments en terre construits sur l’ensemble de la planète, depuis plus de 11.000 ans », témoigne Melvyn Gorra, nous emmenant dans un voyage espace terre-temps. C’est Jéricho en Cisjordanie, puis les maisons en terre de la vallée du Nil, au temps des pharaons, la civilisation précolombienne, « des constructions en terre qui s’adaptent à leur territoire. Elles abritent un tiers de la population mondiale ».

Après le boom des constructions en béton de l’ère Le Corbusier en métropole dans les années 60-70, le retour à la pierre a fait flamber les prix de ces maisons dans une vague de retour au traditionnel. A Mayotte, une fois faite la démonstration de la robustesse des habitations en terre et fibres, et dotée de finitions modernes, nul doute que leur cachet l’emportera sur les peu sexy larges maisons en parpaing dont les fers à bétons s’élèvent depuis le 1er étage vers le ciel.

Vincent Liétar, Co-Secrétaire Général d’Art Terre et l’ancien recteur Gilles Halbout avaient manipulé la presse brique lors du lancement du chantier du LMB

La mairie de Sada est, à ce titre, valeur d’exemple, dont le chantier était visité par les participants au Cycle SOMA Terres et fibres.

Anne Perzo-Lafond

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