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Contre les violences, et pour favoriser l’inclusion, quelle place pour l’école ?

Les maux de la jeunesse mahoraise vus par un recteur, c’est toujours une analyse intéressante. Surtout que Jacques Mikulovic prend en compte la majorité silencieuse et appelle à une mutation de l’école de la République.

Alors que l’Observatoire des violences vient d’être réactivé, déjà doté de plusieurs analyses proposées en 2020 par plusieurs de ses membres, il peut compter sur un écrit supplémentaire, celui du recteur de Mayotte. La revue Servir, des anciens élèves de l’ENA, a publié en mars dernier un texte de Jacques Mikulovic, « Jeunesse de Mayotte et défis territoriaux ».

On y lit le constat habituellement fait sur « l’évolution d’une société traditionnelle percutée de plein fouet par une modernité », la multiplication par trois en 20 ans de la démographie, une jeunesse en perte de repères identitaires « dont 50% sont issus de familles dites ‘irrégulières’ ».

C’est sur les raisons de la difficulté de compréhension de ce qui anime cette jeunesse, dont une partie est très violente, qu’on attend le représentant de l’Éducation nationale. Il pointe tout d’abord le déficit du cadre parental, « une jeunesse quelque fois abandonnée par les adultes (dont les pères) », qui « pour la plupart au chômage » sont « mal outillés » pour maitriser l’insertion de leur famille. Ensuite, l’absence d’assimilation de toutes les valeurs de la République au cours d’un combat qui était mené pour « se séparer des Comores ».

L’insensibilité des parents aux émotions des enfants, pointée par une élève

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L’intérêt de cette contribution, est la mise en avant de la partie invisible de l’iceberg, et pourtant la plus nombreuse, ceux que l’on n’entend pas : « la majeure partie des jeunes subit en silence cet état de flambée quotidienne des violences, et ses souhaits, ses rêves, ses talents sont oubliés dans les débats alors qu’il s’agit des perspectives du développement territorial pour l’avenir. » Il évoque un contexte de polarisation de l’action publique sur les problèmes d’agression, qui tend à « effacer » la partie des jeunes soumise aux violences. Tout au moins dans les discours quotidiens.

En illustration d’ailleurs, la lettre d’une jeune fille, « une élève parmi d’autres » et « à la conquête de ses rêves », comme elle se définit, qui, par ce qu’elle analyse, vaut d’être intégrée à la contribution de l’Observatoire des violences, et incite d’ailleurs à faire appel aux jeunes dans leur ensemble pour toucher du doigt leur réalité. Elle juge en effet la délinquance liée au « manque de communication entre jeunes et adultes », spécifiquement à l’absence de prise en compte de la part des parents des émotions de leurs enfants, ce qu’elle généralise par le terme « santé mentale ». Rejoignant l’analyse qu’en fait le recteur, elle déplore qu’au sein même des établissements scolaires, les jeunes dans leur ensemble soient vus par certains comme des délinquants, « cela affectent et découragent fortement des élèves qui ont des capacités » (sic).

Ce qui induit un départ de Mayotte, pointe le recteur, « une migration vers La Réunion ou l’Hexagone de familles mahoraises ‘régulières’ qui ont les moyens ». Privant l’île de sa multiculturalité, et de ses potentiels.

Un ennui mortel

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Autre constat, « l’ennui » qui touche la plupart des jeunes. Les causes : « la peur ou l’interdiction de sortir le soir pour des activités extra-scolaires », « le manque d’infrastructures culturelles » qu’il met en parallèle avec un nombre d’espaces cultuels en hausse, les mosquées continuent en effet à sortir de terre, le déficit d’infrastructures sportives, etc. Mais aussi l’ennui des jeunes obligés de se lever aux aurores pour se rendre en cours et attendent qu’ouvre leur établissement, l’ennui de certaines jeunes filles dont l’émancipation est freinée par l’obligation de réaliser les tâches ménagères, ou d’aider à l’éducation de la fratrie.

Se pose alors la question du rôle de l’école. Et, comme dit en préambule de manière plus générale, les défis rencontrés par Mayotte vont se poser à nombres de territoires de la République, cela « oblige à innover, expérimenter et différentier ». La question de la place de l’école n’en est qu’à ses balbutiements sur le plan national, elle qui avait comme mission d’enseigner et d’instruire en formant les citoyens de demain, a toujours su être le creuset d’une multiplicité de profils d’élèves qui interagissent. Mais avec les problèmes de déficit parental, elle prend implicitement le relais, jusqu’où ?

Si Jacques Mikulovic ne va pas jusque-là, il met en perspective : « l’école qui vise à l’émancipation des consciences, mais qui impose la laïcité », une laïcité que les jeunes filles vivent comme « une incompréhension totale », accentuée par une spécificité, puisque la laïcité ne répond pas à la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 à Mayotte, mais ne s’applique qu’à l’école. Des notions qu’il faut donc faire intégrer aux élèves et à leurs parents sans attendre en innovant, puisque l’enseignement sur la laïcité ne semble pas porter ses fruits.

L’école doit « peser sur la fabrique d’une nouvelle société de jeunes »

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Autre problème où là encore Mayotte est hélas précurseur, le déficit de maitrise de la langue française qui touche 43% des jeunes ici, contre 4,6% en métropole. Là encore, le recteur prend soin de laisser leur place aux jeunes Mahorais qui ont une très bonne maitrise du français, soit parce que les parents parlent français à la maison, soit parce qu’ils ont grandi à La Réunion ou en métropole. En pointant à contrario une maitrise insuffisante du shimaoré, « ce qui le met à l’écart des manifestations culturelles ou traditionnelles ».

Outre la réponse d’une nécessaire synthèse entre le communautarisme traditionnel et l’individualisme occidental, il s’agit de « partager une vision d’avenir ». Qui pour relever le défi ? C’est là qu’il va falloir être innovant. Si Jacques Mikulovic rappelle que les valeurs de la République, « Liberté, Égalité, Fraternité », doivent le permettre, il faut avant d’arriver aux « 800.000 habitants en 2050 avec peut-être 500.000 jeunes », répondre aux incompréhensions citées plus haut.

Et le recteur ne craint pas de souligner que, à Mayotte – mais bien entendu en métropole aussi – l’école devra entamer une mutation, si ce n’est déjà commencé, « afin de dépasser la seule mission d’instruction à savoir lire, écrire et compter ». Car il s’agit de « peser sur la fabrique d’une nouvelle société de jeunes », dont les racines multiculturelles ne doivent pas l’empêcher de « construire un avenir au sein d’un monde incertain et interconnecté ».

« Faites bouger les choses pour nous motiver, nous les jeunes », concluait en substance la jeune collégienne. Rajoutons qu’il faut inclure ces jeunes dans la recherche de réponses.

Anne Perzo-Lafond

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