Le thème de la « vie chère » à Mayotte et dans les Outre-mer était abordé ce lundi soir par un invité de choix dans l’amphithéâtre des Lumières, puisque Ivan Odonnat est le président national de l’IEDOM, l’Institut d’Émission d’Outre-mer, filiale de la Banque de France. Si on a pu craindre de retomber sur les mêmes préconisations pour en sortir, l’analyste monétaire et statisticien ultramarin n’a pas eu peur de parler de volonté politique, rejoignant presque l’analyse des collectifs de lutte contre la vie chère à Mayotte !
Ivan Odonnat* est à Mayotte dans le cadre de la visite du gouverneur de la Banque de France dans l’océan Indien. C’est donc une espèce de brief préparatoire que cette conférence de lundi soir au lycée des Lumières, « Inflation, vie chère : quel rôle de la politique monétaire ». On ne peut que regretter le peu de monde présent, l’heure tardive, 16h30, est peut-être en cause, alors que l’essentiel se déroule en matinée à Mayotte.
« La vie chère, c’est le quotidien de tous », nous explique-t-il en préambule de sa conférence. Mais voilà, alors que tous les pays sont touchés par une inflation que personne n’a vu venir, « ses effets déclencheurs que sont la pandémie de Covid 19 et la guerre en Ukraine, étaient qualifiés de risques extrêmement peu probables », elle touche des territoires ultramarins où les prix sont déjà beaucoup plus élevés qu’en métropole.
Nous ne nous éterniserons pas sur les mécanismes inflationnistes, avec « une pandémie mondiale qui a accru les coûts du fret importé », et une guerre qui touche un des plus gros producteurs de matières premières agricoles, l’Ukraine, « provoquant des tensions sur les marchés de l’énergie et des produits agricoles ». La réaction des banques centrales dans ce cas est d’augmenter les taux d’intérêt pour limiter la demande de crédit et donc la consommation, mais avec un dosage savant pour ne pas bloquer les économies. A ce petit jeu, la banque fédérale américaine a été plus réactive que la Banque Centrale européenne (BCE), mais globalement, les taux ont subi une montée d’adrénaline de 4% en moins de 2 ans, « du jamais vu ! », ce qui a permis de ramener le taux d’inflation à 2% à peu près partout, « après deux ans de très forte inflation ». Ce n’était pas encore le cas à Mayotte, où il était de 3,6% en glissement annuel en juin 2024**, ce qui pose le problème du cas des Outre-mer.
L’alimentaire 30% plus cher à Mayotte
Ivan Odonnat proposait avant tout d’évaluer ce différentiel de niveau de prix avec l’Hexagone. En 2022, sur un panier mixte composé de produits et services métropolitains et de consommation courante à Mayotte, l’INSEE évalue à 10% plus chers les prix des produits à Mayotte. « Et l’écart se creuse quand on ne regarde que les produits alimentaires, puisqu’ils sont 30% plus élevés qu’en métropole en 2022, alors que le différentiel n’était ‘que’ de 19% en 2015 ». La tendance s’aggrave donc, et en dépit des multiples Etats généraux de l’Outre-mer ou autres séminaires politiques qui faisaient suite aux révoltes sociales de 2009 sur l’ensemble des Outre-mer contre le coût de la vie, pointant un niveau de salaire insuffisant bloquant la capacité à consommer. « Notamment à Mayotte où une forte proportion des revenus sont des revenus sociaux et non des revenus du travail. Leur niveau général arrive à environ 25% du revenu par habitant de l’Hexagone, alors que les prix sont en moyenne 10% plus chers ! »
Il fixe un objectif, un peu différent de ce qui est proposé jusqu’à maintenant, « comment ramener le niveau des prix à celui du revenu par habitant ? »
Des réponses politiques, il y en a eu, rappelle-t-il : la Loi Lurel sur la régulation économique, la loi de 2013 sur les pratiques anti-concurrentielles et les DOM, le Comité Interministériel des Outre-mer… Avec toujours les mêmes constats vecteurs de cherté de la vie sur ces territoires : l’étroitesse des marchés domestiques, l’éloignement des sources d’approvisionnement et la multiplication des intermédiaires, la dépendance aux importations, etc. Et les mêmes bonnes solutions, émises notamment par le CIOM (Comité interministériel des Outre-Mer) en 2023 : Renforcer le contrôle de la grande distribution, lutter contre la pauvreté, développer les productions locales et les circuits courts, réformer l’octroi de mer « qui taxe les produits importés même quand il n’y a pas de production locale à protéger… »
Un BQP peu respecté
Un constat qui amène l’économiste à inviter à « modifier le modèle économique des Outre-mer, ce qui implique des évolutions substantielles. Sans quoi, dans dix ans, on en parlera encore. » Pour y arriver, « il faut être déterminés, et sur le long terme ». Et il dénonce.
Sur le premier point de l’autonomie alimentaire dans les Outre-mer, « cela semble un vœu pieux, mais faisons-le ! » Rappelons pour alimenter son propos, qu’en 2011 est nommé dans la région océan Indien un sous-préfet au développement endogène… le poste n’existe plus. Lui, dénonce une inertie partagée des grands groupes : « Il faut investir dans l’agriculture. Or, les entreprises n’investissent pas en Outre-mer. Leurs recettes, elles les orientent vers des opérations de croissance externe, vers d’autres marchés, mais les investissements ne sont pas consolidés localement ».
En matière de Bouclier Qualité Prix (BQP) qui fixe un prix plafond sur un panier de produits, il appelle à plus de contrôle de la grande distribution, « je ne suis pas certain qu’elle respecte la charte », notamment sur le taux de rupture des produits, « l’intérêt des distributeurs, ce n’est pas forcément de se réapprovisionner sur ces produits pas chers ».
Sur les dessertes maritimes de ces territoires qui mathématiquement accroissent les prix des produits à importer, il invite à améliorer la connexion des routes maritimes, et à mutualiser régionalement les investissements dans les ports « pour qu’ils soient plus compétitifs ».
L’épargne ultramarine non réinjectée en Outre-mer
Soutenir de développement du tissu entrepreneurial est primordial pour proposer une offre locale, « car à Mayotte, sur les 50.000 personnes en emploi, la moitié sont dans le secteur public. Or, la plupart des jeunes bacheliers veulent créer leur entreprise, ce qui impose d’investir massivement dans l’éducation et la formation. Pour l’ensemble des Outre-mer, je ne connais pas de stratégie de sortie du sous-développement sans investissement dans l’éducation. »
Justement, l’accompagnement des entreprises par les banques faisait l’objet d’une question d’un entrepreneur, « elles refusent de nous prêter pour financer nos projets ». Quel bonheur d’entendre en réponse un président de l’IEDOM convenir que « oui, cette frilosité existe », en revenant sur la présence de succursale de grands groupes à Mayotte, « dont le siège est à Saint-Denis, qui reçoit lui-même des directives avec des plafonds de crédits à octroyer et des objectifs de rentabilité ». Il ne détaillera pas, mais quand l’ensemble du volume de crédits est consommé par les Réunionnais, il ne reste que du saupoudrage à Mayotte.
Mais il martèle que « l’argent est là », « soit il n’est pas utilisé, comme dans le cadre des fonds européens, soit il s’agit d’épargne privée constituée par 20 à 25% des revenus des ménages ultramarins, qui doit permettre à la banque d’octroyer des crédits, or, cet argent n’est pas réinjecté en Outre-mer ».
Quasiment un tract de revendication des collectifs ultramarins ! Des vérités enfin formalisées, qui devront servir de base de travail pour casser le rythme des mouvements sociaux qui tuent les Outre-mer à petit feu, et proposer des solutions à la hauteur des blocages.
Anne Perzo-Lafond
*Ivan Odonnat est diplômé de l’Université Pierre et Marie Curie, de l’Université Harvard et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE).
**L’Indice des Prix à la Consommation livré par l’INSEE ce 27 août 2024, donne une inflation ramenée à 2,2% à Mayotte