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Mamoudzou

Handivillage : « Construire une société d’inclusion avec chacune et chacun dans la société » 

Pour lever les tabous sur le handicap et favoriser l'insertion professionnelle des personnes en situation de handicap, différents acteurs se sont donnés rendez-vous place de la République autour d'un Handivillage. 

Dans un contexte électoral tendu où les politiques sociales, éducatives, sanitaires et environnementales, pourraient être reléguées au second plan, de nombreux acteurs engagés dans l’inclusion se sont réunis autour d’un Handivillage, pour crier haut et fort, le droit à l’insertion des travailleurs handicapés. 

En France, 7,6 millions de personnes, soit près de 14,1 % de la population de plus de 15 ans, seraient concernées par un handicap. Parmi elles, 1,1 million travailleraient, soit un peu de plus d’une personne sur sept, correspondant à un ratio relativement faible. Quels sont les enjeux du handicap, notamment dans un territoire comme Mayotte ? Pourquoi le handicap n’a-t-il pas encore une place suffisamment importante dans la vie professionnelle et quels leviers ont activé les acteurs du territoire de Mayotte, pour relever le défi d’une société inclusive dans toutes ces formes ? Pour y répondre, notre rédaction s’est immiscée au sein du Handivillage, place de la République, à Mamoudzou, mercredi matin. 

La peur de la stigmatisation, toujours prégnante 

Bien que l’« on voit combien il y a à faire et combien il a déjà été fait », pour reprendre les mots du Président de l’Association pour Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH), Jean-Louis Garcia, les personnes en situation de handicap ne sont pas assez représentées sur le marché du travail. 

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Pour Jean-Louis Garcia, « la société pourrait être une société d’exclusion et nous voulons construire une société d’inclusion avec chacune et chacun dans la société. »

À Mayotte, donner des chiffres sur le nombre de personnes en situation de handicap relève déjà d’une tâche peu aisée. D’après une étude de l’Insee parue en 2021, 22.000 personnes en situation de handicap avaient été recensées sur le territoire. Pourtant, la Directrice de la Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (MDPH) de Mayotte, Ségolène Meunier, estime que ce nombre serait en réalité deux fois plus élevé : « On serait plutôt proche de 40.000 personnes en situation de handicap à Mayotte. » Cette sous-estimation viendrait d’abord du fait que les personnes concernées n’auraient pas toujours conscience de leur handicap et ne se déclareraient pas systématiquement : « Souvent les gens ne se déclarent pas car ils n’ont pas conscience de leur handicap (…) Mais aussi, il y a beaucoup de handicaps invisibles. On pense toujours au handicap avec un fauteuil roulant mais ce n’est pas que ça (…) », a expliqué la représentante de la MDPH locale. Une honte voire une peur d’être traité de façon inégalitaire dissuaderait également les personnes en situation de handicap de se recenser comme tel : « Beaucoup de gens refusent de faire la demande RQTH* par peur d’être stigmatisés, par peur que cela agisse en leur défaveur dans le milieu professionnel. » Pour preuve, actuellement, auprès de la MDPH de Mayotte, seulement 9.000 personnes en situation de handicap et près de 5.000 aidants ont été recensés.  

Plutôt payer qu’accompagner 

Inscrit dans le code du travail, tout employeur public qui emploie au moins 20 agents à temps plein ou équivalent, doit compter parmi ces salariés, au moins 6 % de personnes en situation de handicap sur son effectif total d’agents. Pourtant, de nombreuses entreprises préfèrent encore verser une contribution financière à l’Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées (l’AGEFIPH) pour compenser le fait de ne pas embaucher de travailleurs handicapés. 

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L’association Kaja Kaona a pour mission de lutter contre l’inactivité et l’isolement social des jeunes, en favorisant leur insertion par la valorisation et la consolidation de leurs compétences

En plus de vivre avec leur handicap, les personnes en situation de handicap, peineraient encore à trouver du travail, en se heurtant aux réticences à l’embauche de la part des entreprises, en raison d’idées reçues encore trop présentes, comme par exemple, l’idée que l’entreprise serait inadaptée au handicap, que le salarié mettrait plus de temps à réaliser une tâche qu’un autre ou encore que le futur salarié serait incompétent ou que ses compétences seraient limitées par rapport à un autre salarié, pouvant influencer sur la productivité de la structure. À ces propos, le Président de l’APAJH fait un constat : « Les entreprises ne connaissent pas le handicap et on a dans la population une image négative de la personne handicapée, qui considère souvent que c’est une personne qui ne saura pas faire. Notre boulot c’est de montrer qu’ils ont des talents et qu’ils peuvent être très moteurs dans une entreprise quelle qu’elle soit. » 

Parmi les personnes en situation de handicap, les femmes seraient particulièrement vulnérables : « Les femmes en situation de handicap sont plus au chômage que les hommes. Les femmes dans notre société sont victimes de tous les mauvais côtés de la société. Elles sont plus battues, plus violentées, plus abîmées. Lorsqu’elles ont un handicap, elles sont encore moins considérées (…) Traiter la place de l’homme et de la femme de manière égale dans la société c’est dans la République que cela se passe, et c’est notre combat. »

« Les personnes en situation de handicap sont les meilleures dans les entreprises » 

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(de gauche à droite) Jean-Louis Garcia, président de l’APAJH, et Kadafi Attoumani, directeur territorial de la croix-rouge française à Mayotte, signant une convention pour accompagner les personnes en situation de handicap

Par manque de considération, par paresse ou par peur de faire diminuer la productivité, les entreprises sont alors réticentes à l’embauche de personne en situation de handicap, pourtant, « une personne en situation de handicap peut changer le climat de l’entreprise », estime le président de l’APAJH. À une époque marquée par un fort consumérisme, où les travailleurs changent plus qu’avant de métier, restent moins longtemps sur le même poste et se lassent plus généralement des choses, un travailleur en situation de handicap aurait une motivation sans égal par rapport à d’autres travailleurs : « Souvent quand ils arrivent, comme ils ont tellement galéré pour trouver un travail, ils s’y mettent d’arrache-pied. Par orgueil et par fierté, je le dis, les personnes en situation de handicap sont les meilleures dans les entreprises. Elles s’accrochent, elles se battent plus que les autres. Alors oui, il faut les intégrer à des cursus de formation, aller sur ce qui les intéressent, et regarder ce dont ont besoin les entreprises, et ça marche, ça fonctionne, on a des exemples partout de réussite. » 

Parmi ces réussites, Jean-Louis Garcia se souvint d’une dame venue lui dire spontanément que grâce à son travail elle était devenue « quelqu’un d’important ». Un homme atteint d’un handicap moteur lui avait également confié avoir été « soulagé » de trouver un travail, pour percevoir un salaire, et s’épanouir dans sa vie personnelle : « J’ai un salaire, j’ai pu aller au bout de ma vie amoureuse, je me suis marié, j’ai eu des enfants. » Aussi, une personne en charge de l’accueil et de l’orientation des personnes au Handivillage nous a dit : « Je suis contente de dire aux gens où aller, j’aime bien les gens, faire de l’accueil c’est quelque chose qui me plait beaucoup. »

Plus aucune raison de dire non à un travailleur en situation de handicap 

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Pour Ambdilwahedou Soumaila : « Favoriser le droit et l’insertion des travailleurs handicapés contribue à changer les mentalités et à montrer que la diversité est une richesse pour notre société. »

En travaillant avec une entreprise adaptée, une structure pourrait ainsi s’inscritre dans une économie sociale et solidaire vertueuse. En effet, les chefs d’entreprise qui travailleraient avec une entreprise adaptée pourraient développer des partenariats durables avec des sous-traitants et ainsi faire évoluer leurs prestations vers des projets plus novateurs. Pour embaucher une personne en situation de handicap, les entreprises ont à leur disposition de nombreuses aides, telles que l’aide à l’emploi des travailleurs handicapés (AETH), l’aide à l’accueil, à l’intégration et à l’évolution professionnelle, mais aussi l’aide à l’adaptation des situations de travail. En plus de ces soutiens financiers, de nombreux partenaires et organismes existent spécifiquement pour accompagner de façon personnalisée les entreprises dans l’intégration du handicap au sein du monde de l’entreprise, comme c’est le cas de l’Agefiph. Par ailleurs, embaucher des travailleurs en situation de handicap et travailler avec des entreprises adaptées permettrait à une structure de réduire sa contribution de moitié à l’Agefiph et au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp). 

Lors de son discours d’ouverture, le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila, a déclaré avoir créé « un poste de référence handicap » et « dix postes pour stagiaires en alternance destinés à des personnes en situation de handicap. »  Aussi, dans quelques semaines, un dispositif de formations s’ouvrira pour de sjeunes bacheliers mahorais, en alternance, « pour les former aux métiers de moniteurs ou éducateurs car nous avons de nombreux postes vacants et nous avons des talents sur ce territoire pour occuper ces postes (…) Si ça marche pour ces 20 personnes, on ira plus loin après », a commenté le président de l’APAJH. 

Si pour Jean-Louis Garcia, avec sa casquette de président associatif, « on peut toujours mieux faire et on doit toujours mieux faire », notamment au niveau des infrastructures routières, à Mayotte, qui ne permettent pas assez que les personnes en fauteuil roulant puissent se déplacer librement et en sécurité sur le territoire, à travers cet événement et l’insertion professionnel des personnes en situation de handicap, « l’objectif c’est de miser sur l’humain, à échelle locale, les personnes elles sont ici, et ça, ce n’est pas délocalisable  ». 

* RQTH : reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

Mathilde Hangard

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