L’avocat général, Albert Cantinol, s’est attaché jeudi, à convaincre les trois magistrats et les six jurés de la cour d’assises de Mamoudzou, de la nécessité de condamner fermement les sept accusés de l’assassinat du jeune S*, un adolescent de 13 ans et demi, le 24 janvier 2021, à Labattoir.
« N’ayez pas peur »
« N’ayez pas peur » a déclaré Albert Cantinol, dans un réquisitoire qu’il souhaitait « salutaire et de fermeté ». Le représentant du Ministère public a d’abord confié se sentir « accablé devant la légèreté de certains, qui s’arrogent le droit de prendre gratuitement la vie d’autrui ».
« Maman je vais réparer le toit »
Un dimanche matin abondamment pluvieux, l’adolescent de 13 ans et demi, était sorti de chez lui. « Maman je vais réparer le toit », avait-il dit dans un élan bienfaisant. Sa mère, ignorait ce jour-là qu’elle entendrait la voix de son fils pour la dernière fois, avant de découvrir son corps mutilé et découpé, dans un banga, devenu un « tombeau« , pour reprendre les mots de l’avocat de la partie civile.
« Le sang versé ne sèche jamais »
En trente-huit années de carrière, Albert Cantinol n’avait jamais vu cela. Abasourdi par l’horreur du crime, il s’adressa spécifiquement à celui qui s’était présenté comme le chef de la bande, Bob : « Vous osez dire qu’un individu ne peut pas mourir si son heure n’est pas arrivée. Selon vous, c’est l’instrument du destin. Vous dîtes que ces faits vous hantent, mais avez-vous une idée du temps qu’il vous faudra pour diriger cette culpabilité, en sachant que le sang versé ne sèche jamais. »
La sanction pénale la plus lourde pour deux majeurs
Considérant que l’intention homicide, la préméditation et la violence étaient réunies dans cet assassinat commis collectivement, l’avocat général a requis l’emprisonnement à perpétuité pour les dénommés Bob et Elvé, respectivement âgés de 21 et 23 ans au moment des faits, présentés par les autres accusés comme les meneurs du groupe. Le Ministère public a également requis trente ans de réclusion criminelle pour le doyen de la bande, Mafoi, et quinze ans d’emprisonnement pour les dénommés Bitman, Papi, Conor, Bilco, mineurs lorsque la bande des 45 BLOCK avait assassiné le jeune S*. À travers ces réquisitions, l’avocat général a souhaité que les sept accusés répondent « de toutes les violences commises et de toutes les conséquences, sans qu’il soit nécessaire de rechercher précisément quel geste, quel coup précis a été porté par tel ou tel membre du groupe, revendiqué ou non, tant il y a eu acharnement », puisque le jeune adolescent était « mort les yeux encore ouverts sur la vie qu’il méritait de vivre. »
L’amnésie indigeste d’un des accusés
Entendu en début de semaine, un des majeurs, Elvé, niera sa responsabilité dans les faits qui lui seront reprochés, allant jusqu’à dire, qu’il n’était pas présent le jour de cet assassinat, en insistant sur le fait qu’il aurait « tout oublié » à la mort de son oncle, le cultivateur de La Vigie, que la bande de La Vigie voulait venger ce 24 janvier 2021. Pour son avocat, Me. Konde bien que les experts aient déclaré que ses troubles psychiques n’avaient pas aboli son discernement lors du meurtre du jeune adolescent, le fait que son client ait été « habité par les djinns », comme il l’a décrit, ne doit pas être ignoré et l’emprisonnement ne pourrait être constitutif d’une solution constructive face aux troubles mentaux du soudeur, ayant fabriqué certaines des armes de la bande des 45 BLOCK. « Puisqu’il est malade, enfermons-le. Peut-être que Mayotte ira mieux. Je n’y crois pas du tout » a-t-il défendu.
Un silence de mort
Pendant tout ce procès, les accusés retiendront avec pudeur leur culpabilité, leur honte et leurs regrets. Pour Alexandre Volz, avocat de la partie civile, les sept accusés auraient poursuivi leur travail de « tortionnaires » en niant la vérité sur le déroulé de cette macabre matinée et en mentant lorsque certains d’entres eux diront que la victime aurait menacé et violenté la bande armée le jour des faits. « Ces tortionnaires que vous avez sur ce banc ont décidé de salir la mémoire de S*, en continuant ici à ne pas dire la vérité pour la famille (…) Un minimum de vérité que l’on n’aura jamais, un minimum de respect que l’on n’aura jamais (…) S* était seul face aux sauvages (…) Ils se sont assurés qu’ils seraient les seuls à sortir vivants de ce banga. »
« Oeil pour oeil, dent pour dent »
À Mayotte, les conflits entre bandes sont bien souvent animés par d’éternelles et interminables vengeances, selon l’adage « oeil pour oeil, dent pour dent » évoqué par l’avocat général. Pour Me Konde, cela ne fait aucun doute que le jeune S* ait été tué dans ce contexte de violences sans fin entre bandes rivales : « On peut dire à la maman de la victime que son fils a été sacrifié sur l’autel d’affrontements entre les bandes de Petite-Terre, que ce sacrifice n’était pas réfléchi, pas consenti et violent. »
Ce matin du 24 janvier, la bande de La Vigie était partie venger la mort de l’oncle de Elvé, à la recherche des dénommés Mexicain, Crochet et Niengwe, qu’ils ne trouveront jamais. Ils s’acharneront sur un adolescent innocent, qui passait par là par hasard. L’injustice de ce crime plongera la famille de la victime dans une peine inconsolable.
« On rachète la mort à la mort » a exprimé l’avocat général, soulevant ainsi la question d’un retour de bâton systématique employé par certains jeunes, en répondant par la mort, à une autre mort, pour faire autant mal que l’on a soi-même eu mal, pour équilibrer les peines, pour répandre le chagrin et faire porter à l’autre sa propre douleur que l’on ne parvient pas à soutenir. Mais pour l’avocat de la partie civile, l’heure est venue de « transformer cet appétit de haine en justice », pour punir et reconstruire, sur ce qu’il reste encore d’humanité.
Le délibéré sera rendu vendredi matin.
Mathilde Hangard