Madou et Alger, les deux sadois étaient reconnus coupables, le 17 février dernier, d’avoir commandité l’attaque de la brigade de gendarmerie de Sada de la nuit du 28 au 29 janvier, comparaissaient ce vendredi 7 juin devant la chambre d’appel détachée. Ils clament en effet tout deux toujours leur innocence devant les faits qui leur sont reprochés, à savoir d’avoir incité les jeunes délinquants à attaquer la brigade de gendarmerie de Sada contre une somme d’argent, dans le contexte des barrages qui ont paralysé l’île en ce début d’année. Alger nie entièrement les faits. Madou ne les reconnait que partiellement. « Quand j’ai appris que le préfet avait décidé de faire lever les barrages par la force, j’ai été pris d’un coup de colère suite auquel j’ai effectivement demandé aux jeunes de nous aider à renforcer le barrage de Chisa. En aucun cas je ne leur ai demandé d’aller attaquer la gendarmerie de Sada et je ne leur ai versé aucune somme d’argent », a-t-il affirmé devant la Chambre.
Les faits complexes et impliquant un grand nombre de personnes qui se sont déroulés ce 28 janvier dernier ont été consciencieusement disséqués par les deux avocats de la défense, Me Ibrahim et Me Tessoka. Ce dernier, qui représentait Alger, a d’ailleurs déploré qu’« un amalgame soit fait entre les deux prévenus dont les actes ont pourtant été très différents au cours de cette soirée ». Le 28 janvier était l’un des jours de blocage de l’île par les Forces Vives, dont faisait partie Madou et Alger, tout deux bien insérés dans la société puisque le premier était CPE dans un collège et, le second, conducteur de poids lourds pour le Sidevam. Ils faisaient partie des barragistes tenant le barrage dit de « Chisa », placé sur l’unique route reliant la ville de Chiconi à celle de Sada. Devant l’annonce faite par le préfet de faire lever les barrages par la force, une vive colère s’était emparée des barragistes. Au point de demander aux jeunes de s’en prendre aux gendarmes ?
Oui selon Me Albert Cantinol, l’avocat général, qui a rappelé que, lors d’une audition, Madou a reconnu avoir été « fatigué et énervé ce jour-là » et « avoir demandé aux jeunes d’accueillir les gendarmes et se tenir prêt s’ils venaient embêter les barragistes ». « Certes il n’a pas demandé directement l’attaque de la gendarmerie, mais quand on lance une meute on doit bien se douter de ce qui est susceptible d’arriver », estime-t-il. Alger nie quant à lui entièrement les fait. Il a dénoncé lors de l’audience « une volonté de vengeance contre lui de la part des délinquants car il assure la sécurité à Sada ». L’avocat général a pointé du doigt le fait que cette explication n’est arrivée que tardivement lors des auditions ce qui, pour lui, laisse planer le doute d’autant plus que « les délinquants n’avaient aucun intérêt à désigner des commanditaires puisqu’aucune remise de peine ne leur a été proposée ». Il a donc demandé à ce que la peine initiale de 4 ans de prison soit maintenue.
Une peine « trop sévère, qui ne repose sur aucune preuve tangible » selon la défense
Les deux avocats de la défense ont chacun défendu leur client en fonction de leurs aveux ou absence d’aveux respectifs, mais s’accordent tous les deux sur un point : pour eux, les accusations ne reposent que sur les témoignages des délinquants arrêtés pour l’attaque de la brigade de gendarmerie. Ils ont donc entrepris de les démonter systématiquement. Reprenant chacun d’entre eux dans l’ordre chronologique des auditions, Me Tessoka a démontré devant la Cour les contradictions manifestes dans les déclarations des premières auditions, ne permettant pas d’incriminer Alger. « Seul le chef de la bande, un dénommé Jocker, a parlé clairement de lui. Ensuite tout le monde a été envoyé à Majicavo où ils ont pu se concerter. Ce n’est qu’après cette période de prison que leurs déclarations ont concordé », a-t-il démontré devant la Cour, preuves à l’appui. L’avocat de la défense s’est également étendu longuement sur les activités citoyennes d’Alger à Sada et sa lutte contre la délinquance, engendrant selon lui automatiquement un sentiment de rancune. « Les délinquants ont changé plusieurs fois de version et il a été établi qu’ils ont menti sur de nombreux points. Comment croire quelqu’un qui ment tout le temps ? C’est ça les fameux témoins sur la foi desquels la justice a décidé d’envoyer mon client 4 ans en prison ?! », s’est-il exclamé avec vigueur.
Il a également pointé du doigt le fait qu’au sein de ces témoignages, 2 autres personnes avaient été incriminées. « Heureusement pour eux, ils avaient de solides alibis, vidéos à l’appui, sinon ils seraient également derrière les barreaux à l’heure actuelle », a dénoncé l’avocat. « Alger a fait appel car il croit encore à la justice et sait qu’on ne peut pas condamner quelqu’un simplement sur la foi de déclarations contradictoires et non circonstanciées. L’honneur de la justice voudrait qu’elle reconnaisse qu’elle s’est trompée, car il n’y a rien dans ce dossier ! », a-t-il conclu.
Une « enquête bâclée » selon Me Ibrahim
Me Ibrahim a pour sa part défendu Madou en démontrant que l’enquête avait été bâclée. « On a délaissé un certain nombre d’éléments dans ce dossier. Il n’y a jamais eu de confrontation et mon client n’a été condamné que sur la base des déclarations de 4 délinquants notoires. Il n’y a pas eu non plus de saisine d’un juge d’instruction », a-t-il déploré. « Mon client reconnaît avoir fait partie des gens qui ont demandé aux jeunes de les aider à maintenir le barrage contre les forces de l’ordre, notamment à l’aide d’un container placé sur la route, mais il n’était pas le seul. Et à aucun moment il ne leur a demandé d’attaquer la gendarmerie. A noter que c’est la deuxième fois que cette brigade est attaquée, les délinquants n’ont pas besoin d’être harangués pour le faire », a-t-il plaidé. Comme son confrère, il a fait remarquer que « c’est seulement au bout de deux ou trois auditions que les délinquants ont désigné Madou comme l’un des instigateurs de l’attaque ».
L’avocat de la défense a dénoncé par ailleurs la « sévérité extrême de la peine pour quelqu’un qui a un casier judiciaire vierge ». Evoquant une autre affaire, il a rappelé que le délinquant ayant attaqué une voiture de gendarmes avec un cocktail molotov n’avait écopé quant à lui que de 18 mois de prison avec sursis. « Il ne se passe pas une semaine à Mayotte sans qu’on ne juge des faits similaires et jamais aucun prévenu n’avait écopé jusqu’à présent d’une peine aussi sévère. Les gens ont besoin de comprendre », a-t-il lancé, faisant référence à la quinzaine de personnes venus soutenir Alger et Madou lors de ce procès en appel, dont Safina Soula, la présidente du Collectif des Citoyens 2018. « Cet homme a dérapé ce jour-là, certes, mais ce n’était jamais arrivé auparavant et ce dérapage ne reflète nullement l’entièreté de sa personnalité », a conclu Me Ibrahim en proposant que lui soit appliqué une peine aménagée avec un bracelet électronique, ce qui lui permettrait de « s’occuper de sa femme actuellement enceinte ».
Quid des armes retrouvées dans la voiture de Madou ?
Quant aux armes retrouvées dans la voiture de Madou, son avocat les justifie par « la peur des agressions que ressentent tous les habitants de Mayotte quand ils doivent rentrer tard le soir ». Il explique aussi que, sur les 5 armes retrouvées, une seule était en réalité en état de marche et il révèle qu’un grand nombre de personnes sont actuellement armées à Mayotte en raison du contexte d’insécurité qui plane sur l’île. Cette partie de sa plaidoirie a fait bondir la juge : « Je n’accepte pas qu’on dise qu’il est normal de posséder des armes à Mayotte », s’est-elle exclamée. Ne se laissant pas intimider, Me Ibrahim a rétorqué : « Il ne s’agit pas d’une incitation à posséder des armes, je vous explique juste pourquoi beaucoup de Mahorais en possèdent à l’heure actuelle ».
La défense, qui s’est donnée beaucoup de peine lors de ce procès en appel, aura-t-elle finalement gain de cause ? Nous ne le saurons que le 4 juillet prochain lors de la lecture du délibéré.
N.G