Alors que tout le monde se lamente sur le niveau ridicule des retraites à Mayotte qui atteignent en moyenne 276 euros par mois, il est une catégorie qu’on pourrait qualifier d’invisible aux yeux de la Sécu puisqu’aucune retraite ne leur est versée, celles des travailleurs indépendants.
Invisible, parce que leurs cotisations sociales ne sont plus prélevées depuis 2012.
La Caisse de Sécurité sociale de Mayotte (CSSM) a communiqué à ce sujet la semaine dernière, nous avons alors cherché à savoir ce qui avait bien pu plonger ces catégories dans le néant, et pour certains, dans la précarité.
Aussi dingue que cela puisse paraitre, le décret accompagnant l’ordonnance de 2011 n’a jamais été pris.
Les travailleurs indépendants de l’île ont une mémoire administrative qui s’arrête à 2012. Depuis, et jusqu’à cette année 2024, c’est le trou d’air. Nous avons contacté Widadi Houmadi, Responsable du Pôle recouvrement des cotisations à la Sécurité sociale de Mayotte, qui reconstitue pour nous le morceau manquant du puzzle.
« Jusqu’à fin 2011, la CSSM recouvrait uniquement les cotisations maladie et allocations familiales pour les travailleurs indépendants, mais jamais la retraite. L’année 2011 de la départementalisation, les pouvoirs publics ont intégré par ordonnance les travailleurs indépendants dans le régime de base de la retraite, mais aucun décret n’est sorti pour fixer les taux de prélèvement des cotisations. Nous, la CSSM, nous ne pouvions donc pas recouvrer. »
Les dirigeants de la Sécu locale se disent alors que c’est une histoire de quelques mois, « d’ailleurs beaucoup d’indépendants continuaient à nous verser leurs mensualités en attendant que tout soit réglé ». Mais cela finalement va durer huit ans.
Le sort s’acharne
En 2019, l’accouchement des taux se fait par la publication du décret qui donne leur perspective de convergence jusqu’en 2036, mais là encore, rien ne bouge. « Le paramétrage n’a pas été fait, il y a eu des problèmes informatiques », explique notre responsable du recouvrement, d’un air gêné. Car ces problèmes ont fait trainer la mise en place du recouvrement jusqu’à cette année… Nous avons donc cherché à en savoir davantage sur ces bugs d’une ampleur bien supérieure au flop de celui de l’an 2000, « c’est le même système qu’au national au niveau de l’URSAFF donc les compétences étaient disponibles, mais certaines spécificités locales avaient du mal à être intégrées. »
Il nous l’assure, personne n’est resté les bras ballants, et des voix se sont faites entendre. « Les organismes patronaux comme le Medef local n’ont pas arrêté de le réclamer, la direction de la CSSM aussi. C’est pourquoi nous avons mis en place le plus rapidement possible le statut d’auto-entrepreneur en 2020 ». Un statut qui existe depuis 2008 en métropole et que tout le monde appelait de ses vœux ici, qui permet d’avoir une couverture globale.
Cela signifie que les travailleurs indépendants de l’île ont survécu douze ans sans couverture sociale ? « Non, nous sommes à Mayotte dans un régime de résident pour ce qui est de la maladie et de la Sécurité sociale. Du moment qu’ils sont résidents ici, ils percevaient des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie par exemple. »
Le minimum vieillesse sauve la mise
Le problème se pose donc uniquement sur la capitalisation des droits à la retraite, car ils n’ont pas cotisé pendant 12 ans. Alors que les chefs d’entreprise obtiennent des aides pour perte de revenus lors des crises sociales, ne pourrait-on pas envisager un système de solidarité nationale pour ces travailleurs indépendants qui ne sont pas responsables de la situation ? Si Widadi Houmadi partage cette opinion sur le préjudice pour les indépendants, il n’a pas la main sur ce sujet politique. Et ne peut que soumettre la seule proposition valable pour l’instant, « le rachat des droits à la retraite pour les années 2012 à 2024 ».
Ce qui signifie des recettes amputées, et un manque à gagner certain pour une partie des 3.000 travailleurs indépendants du territoire. « Ça va être compliqué financièrement car pour la majorité, on parle de petits commerçants ou de petits artisans. Les organisations patronales ont revendiqué la possibilité d’un accompagnement. »
Car l’étiquette « travailleurs indépendants » abrite à la fois des menuisiers, des coiffeurs, des commerces de détail, des pêcheurs, des artistes, des professionnels de santé, des architectes, des comptables. Et chacun avec des niveaux de chiffres d’affaires différents.
Nous l’avons interrogé sur la situation de ceux qui ont pris leur retraite entretemps, « dans ce cas, ils peuvent prétendre au minimum vieillesse ». Rappelons que grâce à l’action de nos parlementaires mahorais avec en pole position Mansour Kamardine, il a été relevé de 30% l’année dernière, le portant à 680 euros. Heureusement qu’une telle porte de sortie leur est permise.
Donc aujourd’hui, les indépendants doivent porter leurs revenus sur la déclaration d’impôts, ils ont encore jusqu’au 6 juin. « Pour toute question, ils peuvent bien sût consulter le site urssaf.fr, mais ils peuvent aussi venir sur place à la CSSM en prenant rendez-vous sur le site, voire même sans rendez-vous. Et fin 2024, nous communiquerons les montants de cotisation prévisionnelles à payer en 2025. »
Pour la période « blanche », un seul espoir partagé par tous, qu’un accompagnement soit décidé pour ceux qui ont été privés de pouvoir cotiser pour leur retraite pendant 12 ans, et pour l’avenir, que les négociations en cours au projet de loi Mayotte aboutissent vers une solution plus favorable qu’une convergence en 2036.
Anne Perzo-Lafond