L’état-civil de Mamoudzou est plein à craquer ce vendredi 3 avril au matin. Mais cette fois-ci, ce n’était pas par des personnes venues régler leurs affaires administratives, mais par le cortège d’officiels et de journalistes suivant Marie Guévenoux, ainsi que les trois parlementaires qui l’accompagnaient, dans ce qui s’apparentait à une véritable « visite guidée » ». La directrice des services à la population a en effet montré dans le détail à la ministre et aux parlementaires les différents bureaux où sont traitées les questions relatives à l’état-civil, tout en détaillant les nombreux problèmes auxquels sont confrontés ses agents au quotidien. « Ici à Mamoudzou nous enregistrons en moyenne 30 déclarations de naissance par jour pour une population de 85 000 habitants. Pour vous donner un élément de comparaison, dans une commune au nombre d’habitants à peu près similaire de La Réunion, c’est seulement 5 », affirme-t-elle. Elle aborde par ailleurs le problème des faux papiers, qui pullulent désormais et sont autant de frein au service. En effet, à la d’ores et déjà bien connue « reconnaissance frauduleuse de paternité, vient s’ajouter désormais « la fraude à la maternité » qui oblige les agents à redoubler de vigilance.
Présente à cette visite, la députée Estelle Youssoufa « enfonce le clou » : « Ces reconnaissances frauduleuses de paternité ou de maternité ouvrent des droits citoyens notamment le droit à l’héritage, ce qui cause beaucoup de problèmes au sein de la société mahoraise », affirme-telle. « Ce qu’on constate n’est pas spécifique à Mayotte, mais ici c’est fait à une échelle délirante, industrielle ! Et la suppression partielle du droit du sol en 2018 n’a fait que décupler la créativité des fraudeurs ! », ajoute-elle. Un agent de la PAF explique quant à lui que « le nombre de PACS a explosé depuis 2018, en particulier avec un partenaire étranger pour pouvoir bénéficier de la continuité territoriale avec la métropole ou La Réunion ».
La directrice générale des service précise en outre que les faux papiers venus des pays d’Afrique continentale sont difficilement identifiables. « Nos agents ne sont pas formés à identifier ce genre de faux papiers, il faudrait qu’ils soient accompagnés pour cela », revendique-t-elle devant la ministre en ajoutant « que davantage de relations avec les ambassades de ces pays est devenu indispensable » Marie Guévenoux en profite pour annoncer qu’elle se rendra à la fin du mois de juin dans les ambassades des pays de l’Afrique des grands lacs (Congo et Burundi essentiellement) afin de faire avancer la coopération.
La solution ? La suppression du droit du sol à Mayotte !
Cette visite avait clairement pour objet de convaincre les 3 députés qui accompagnaient la ministre (Sylvain Maillard, Renaissance, Patricia Brocard, Démocrates, et Christophe Naegelen, LIOT) de la nécessité de la suppression du droit du sol à Mayotte. Ces derniers, prudents, ont préféré ne pas encore se prononcer avant leur retour à Paris afin de « digérer » les informations récoltées dans le 101ème département. Le maire de Mamoudzou a appuyé l’argumentaire de la ministre en évoquant le fait que le délai pour détecter les fraudes n’était que de un mois, ce qui, pour lui était « largement insuffisant au vu de la somme de travail qu’il y a à l’état-civil ».
Pour la ministre, la suppression du droit du sol à Mayotte contribuerait nettement à diminuer son attractivité. « Sur les 15 000 titres de séjour délivrés annuellement à Mayotte, 85% sont liés à la naissance d’un enfant reconnu comme français puisque né sur le territoire », affirme Marie Guévenoux. « 42% des titres de séjour sont délivrés à des parents d’enfant français contre 4% dans l’hexagone », ajoute-elle en expliquant aux parlementaires que « cela génère une suractivité des services du CHM qui se répercute sur l’état-civil » puisque « 75% des enfants reconnus comme français aujourd’hui à Mayotte sont nés d’une mère étrangère ».
En revanche, la question de la suppression du titre de séjour territorialisé, revendication n°1 des Forces Vives au cours du mouvement social, reste beaucoup plus floue. On sent une véritable volonté de noyer cette abrogation au sein de celle du droit du sol. Tout au plus Marie Guévenoux a-t-elle lâché que « l’abrogation du droit du sol ainsi qu’une loi-cadre spécifique au territoire s’accompagnera d’un ensemble de mesures complémentaires qui permettront de réduire les titres de séjour de 85% ». Une annonce sibylline à propos de laquelle nous n’avons pu demander aucune sorte de précision puisque la presse n’avait le droit qu’à une seule question par séquence (pour environ 5 médias).
Jugeant que le gouvernement tente de « freiner des quatre fers » pour abroger le caractère territorialisé du titre de séjour mahorais, l’élue du conseil départemental Hélène Pollozec s’estime néanmoins satisfaite de cette volonté d’abroger le droit du sol. « Toute mesure ayant pour but de réduire l’attractivité de notre île par rapport aux pays voisins est bonne à prendre », déclare-t-elle, conciliante, toute en affirmant qu’elle déplorait « la récupération par la droite » de cette question. « C’est une mesure nécessaire pour Mayotte et seulement pour Mayotte au vu de la réalité particulière que nous vivons sur notre île », affirme-t-elle. A sa connaissance, aucun élu du territoire n’est contre, même si beaucoup aurait souhaité une abrogation du titre de séjour territorialisé dans un premier temps afin d’éviter la polémique nationale que l’annonce de cette mesure a déclenché dans l’hexagone.
Nora Godeau