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Le passage des députés à Mayotte, condition nécessaire, mais pas encore suffisante

C’est une démarche sans précédent qu’a initiée la ministre Marie Guévenoux qui a ouvert la voix à un tourisme politique pour une prise de conscience parisienne de la réalité compliquée de Mayotte. D’une seule voix, les députés assurent vouloir convaincre leurs pairs des difficultés rencontrées à Mayotte. Jusqu'à un vote pour la suppression du droit du sol ? Les voix vont se compter.

Dans le bain et jusqu’au cou ! Les trois députés qui n’ont pas tari de remerciements pour la ministre Marie Guévenoux de les avoir conviés à ce déplacement à Mayotte, ont essuyé le baptême du feu dès leur arrivée vendredi soir. D’autres personnalités étaient également présentes, comme le conseiller Outre-mer du Premier ministre, Frédéric Joram. A l’agenda, une opération de police à Kawéni. Mais la zone avait fait l’objet d’un contrôle quelques heures auparavant, ce qui a incité à la rébellion. De nombreux jeunes sont descendus sur la route à Kaweni, et non loin du siège des pompiers, ont mis en place des barrages qu’ils ont enflammés, et ont commencé à caillasser. Si la délégation ministérielle n’était pas au plus près des violences, elle était à quelques mètres et donc témoin de l’action des policiers et des tirs de grenades lacrymogène qui les auront de suite mis dans le contexte. On ne sait pas s’il ont pu comprendre pour autant qu’il s’agit là du quotidien des habitants qui n’ont plus de vie nocturne.

Nous avons interrogé le commissaire Derache sur cette opération. « Quelques heures auparavant, nous avons interpellé une quinzaine de personnes en situation irrégulière lors d’une opération de contrôle, mais ensuite, en soirée, ce fut compliqué d’identifier les meneurs des violences. Nous avons deux blessés à déplorer parmi les policiers, un qui a chuté lors d’une poursuite, et l’autre au visage par jet de caillou qui l’a atteint sous la lanière de son casque. »

Sur les murs de l’hôpital, les dernières affiches laissées par les Collectifs dénonçant la pression migratoire

Poursuivant dans le « para-normal » propre à Mayotte, les trois députés et la ministre, ainsi que le directeur Outre-mer du premier ministre ont visité la maternité du Centre hospitalier, sans les médias, au préalable, Jean-Matthieu Defour les avait averti, « les chambres sont saturées ». Un long moment au cours duquel ils ont manifestement pu prendre conscience de la situation de tension, puisque, à leur sortie, c’est Marie Guévenoux elle-même qui lâchait, « parfois les couloirs se transforment en chambre d’accouchement ».

Saupoudrage de renforts

L’hôpital est plus que sinistré. La prise en charge en urgence des cas de choléra ponctionne des hommes et femmes déjà en insuffisance numérique, « nous sommes à bout », nous lâchait l’un d’eux. Et l’envoi des 19 renforts de la Réserve sanitaire se heurte à la même logique que celle des forces de l’ordre : le nombre parait conséquent, mais une fois sur le territoire ils sont absorbés sur des besoins tellement énormes qu’il faudrait décupler l’effort. La moitié seulement des annexes de l’hôpital, les Centres médicaux de référence, est ouvert faute de personnel, et le choléra vient consommer de l’humain en ouverture de centre de dépistage et de vaccination. « On ne s’en sort pas ! », nous dit le même soignant. Annoncé à Mayotte pour les 9 et 10 mai, le ministre de la Santé Frédéric Valletoux va devoir faire des annonces fortes.

Visite d’une maternité du CHM saturée

Justement, l’unité médicalisée de prise en charge des cas de choléra du CHM et ses 15 lits, était au programme de la visite, avec un cas grave arrivé quelques heures auparavant, une femme qu’il a fallu réhydrater en urgence. Là, c’est le docteur Alimata Gravaillac, Cheffe de Pôle Urgences – SMUR – Evacuations sanitaires – Caisson hyperbare, qui dressait un état des lieux, aidée par les questions de la députée Estelle Youssouffa. « Le service fonctionne actuellement avec 5,3 équivalents temps plein, quand il en faudrait 44 ». Nous avions dénoncé la situation aux urgences, avec de nombreux soignants en CET*. D’autre part, le recrutement est compliqué, rapporte toujours la cheffe des Urgences qui évoque l’insécurité, « certains professionnels viennent et repartent aussitôt, en me disant ‘je préfère partir en mission en Cisjordanie qui est au moins reconnue comme zone de guerre’ », et non avec un statut d’urgentiste de base comme à Mayotte, pourtant zone de danger avec les caillassages de SAMU et de véhicules de pompiers. « On risque notre vie », avaient dénoncé des soignants lors du mouvement de grève en décembre 2023, rajoutant que « le personnel n’a plus d’oxygène ». Depuis la situation a empiré.

« Mayotte, concentré de toutes les crises »

Un contexte que les députés assurent avoir perçu. « Je suis heureux de cette immersion de deux jours avec la ministre qui nous permet de prendre possession des sujets avant qu’on en parle de façon plus massive dans quelques semaines à l’Assemblée nationale lors du vote du projet de loi Mayotte », assurait Sylvain Maillard, député Renaissance, donc de la majorité présidentielle. Est visé le vote de la loi constitutionnelle avec suppression du droit du sol, qui a incité Marie Guévenoux à organiser cette visite parlementaire.

Christophe Naegelen a prononcé des paroles volontaristes (à écouter ci-contre)

A ses côtés, ce sont également des propos volontaristes que tenait le député LIOT, Christophe Naegelen, qui siège donc sur les mêmes bancs que la députée Estelle Youssouffa. Ecoutez ci-dessous sa réaction après sa visite du CHM.

Le plus difficile pour ces députés, dont certains sont les représentants de chef de groupe,  va être de faire comprendre que ces problématiques de caillassage, d’hôpital saturé, de tirs de grenade, si elles existent de manière éparse sur le territoire en métropole, à Mayotte, elles sont toutes rassemblées et concentrées sur le territoire, avec en plus, la crise hydrique et la saturation démographique des services publics. « Mayotte, c’est le concentré de toutes les crises. Nous allons remonter beaucoup de choses à nos collègues », résumait la députée du groupe démocrate (MoDem) Blandine Brocard,

Alors, s’il faut se réjouir de cette prise de conscience qui ira on l’espère, au-delà du décollage de l’avion en gardant à l’esprit ce que vivent ceux qui restent sur place et se battent, on ne peut que regretter que d’autres groupes ne se soient pas joints à eux. Où sont les LR, les LFI, etc. ?

Car comme nous le résume en version « Ra Hachiri** » Estelle Youssouffa : « Avoir ces parlementaires avec nous, c’est très important. Mais le président de la commission des lois Sacha Houlié était lui aussi venu à Mayotte et n’est pour autant pas favorable à la suppression du droit du sol alors qu’il est de la majorité présidentielle. Ça sème le doute dans un territoire qui n’en n’a pas besoin. Nous sommes donc tous un peu anxieux d’observer la stratégie du gouvernement. Avec la loi historique qui est en préparation, tout ce qui vient gripper la machine, c’est compliqué à gérer. »

Anne Perzo-Lafond

*Le Compte épargne temps permet d’accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d’une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé

** Restons méfiants, devise de Mayotte

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