Auteur d’une agression sexuelle, le foundi de l’école coranique part en prison

« Pour lui c’était rien, mais pour moi c’était beaucoup », lâche à la barre une jeune femme victime de l'agression sexuelle de son oncle, par ailleurs enseignant dans une école coranique.

Tout dans la posture de Karima* assise dans la salle d’audience, traduit le traumatisme de ce qui s’est produit cette journée de 2022. Celui qui est aussi son oncle enseigne dans une école coranique de Tsoundzou 1, et lui demande de venir plus souvent pour lire le Coran. Majeure, Karima s’exécute, mais il la fait assoir sur ses genoux, lui vole un baiser, l’allonge et se couche sur elle, la main baladeuse. Elle proteste, lui dit qu’elle va crier s’il n’arrête pas. Pour toute réponse, il sort un billet de 10 euros. Le voyant en érection, elle prend peur, parvient à le repousser « de toute ses forces », rapporte la juge, et court chez elle où elle s’effondre en larme. Lorsque la maman de Karima l’appelle pour avoir des explications, il commence par nier, puis explique qu’il voulait vérifier si elle était encore vierge.

Karima veut aussitôt déposer plainte, mais elle ne se sent « pas soutenue » par sa mère explique-t-elle à la barre, « elle pensait que ça pouvait nuire à ma réputation. J’ai eu peur que les gens parlent, et là, j’aurais eu besoin de ma famille ». Ce n’est que le 18 mars dernier qu’elle se décidera à déposer plainte, « je n’ai rien dit à personne, c’est après que j’ai informé ma mère en lui disant qu’elle allait sûrement me gronder. Mais elle m’a rassuré. Quant à mon grand-frère, si j’ai tenu le coup, c’est grâce à lui ». Deux ans pendant lesquels elle rumine, explique-t-elle en réponse aux questions des juges.

« Vous avez des difficultés ? Vous pensez souvent à cette agression ? » – « Oui, je n’arrive plus à le regarder dans les yeux quand il vient voir la famille. Et j’ai repensé à ses déclarations, s’il voulait savoir si j’étais vierge, pourquoi ne me l’a-t-il pas demandé d’abord ? La première fois que ma mère l’a appelé, il a répondu ‘elle fait la gamine’. S’il avait vraiment eu pitié de moi, il n’aurait pas essayé de me donner 10 euros, il aurait arrêté. » Depuis l’évènement, elle ne lui a plus reparlé, indique-t-elle.

« J’aurais couché avec elle »

Salle d’audience du Tribunal judiciaire

C’est un homme de taille moyenne qui s’avance à la barre. Nacer*, de nationalité comorienne, reconnait les faits. Face à la juge qui l’interroge sur la gravité de l’acte, « vous comprenez que c’est une agression sexuelle ? », il acquiesce. « Pourquoi avez-vous fait cela ? » – « Je la voyais sortir avec des garçons, je pensais qu’on pouvait avoir une relation sexuelle » – « Qu’est ce qui se serait passé si elle ne vous avait pas repoussé ? » – « J’aurais couché avec elle. » – « Vous vous rendez compte qu’en plus vous êtes fundi, et que c’est pour cela entre autres que la famille n’a pas voulu déposer plainte ? » – « J’ai regretté et j’ai présenté mes excuses. Je ne m’attendais pas à me retrouver devant vous, d’ailleurs je me sens mal, je sens que je dois aller à l’hôpital. » La substitut du procureur manque de s’étrangler alors qu’elle interroge le prévenu, « vous dites vouloir tester sa virginité et vous alliez avoir une relation sexuelle avec elle ! » – « Non, si j’avais voulu, j’aurais pu lui fermer la bouche » – « Mais vous étiez en érection, donc vous en aviez envie ! »

Censées le défendre, les réponses aux questions de son avocat, Me Ibrahim, seront contreproductives, « je ne suis pas allé jusqu’au bout car elle m’a dit qu’elle ne voulait pas être déshonorée. Quand il y a des filles qui me plaisent, je vais d’abord voir leurs familles ».

Lorsqu’il demande à la présidente de l’audience s’il peut se retourner et parler à la jeune fille, « je suis son oncle, elle ne devrait pas réagir comme ça, je souhaite qu’elle continue à avoir confiance », c’est un refus qui lui est opposé, surtout de Karima secoue la tête par la négative.

« Elle a brûlé son boubou »

Appelée à la barre, elle lâche sa souffrance : « Je veux dire que ce qu’il m’a fait, pour lui c’était rien, mais pour moi, c’était beaucoup. Avant, je le considérais comme une personne exemplaire. »

La représentante du parquet revient sur les deux ans de traumatisme ressassés par la victime, « elle a brûlé le boubou qu’elle portait ce jour-là, depuis deux ans elle cache qu’elle est une victime ». Analysant le comportement du tonton, Cassandre Morvan fustige : « Il veut réhabiliter son image, il se pose en victime. Or, il avait autorité sur cette jeune femme, et pour éviter une réitération, je demande 18 mois de prison avec sursis assortis d’une interdiction d’exercer auprès d’une mineure et tout contact avec la victime. »

Pour Me Abdel-Lattuf Ibrahim, son client a pris conscience de la gravité de son acte, « il a présenté ses excuses, il lui a fallu du chemin, mais il a compris. »

Le tribunal sera plus sévère que le réquisitoire, puisque Nacer était condamné à 18 mois de prison dont 12 mois de sursis probatoire, et avec mandat de dépôt. C’est-à-dire qu’il était aussitôt incarcéré pour 6 mois, avec obligation pendant son sursis de dédommager la victime de 3.000 euros de préjudice moral. Il a interdiction d’entrer en contact avec elle, même par sms, et donc de se rendre à son domicile.

A.P-L.

*Prénoms d’emprunt

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