Une fois n’est pas coutume l’ensemble des prévenus étaient présents à l’audience pour comparaître et chacun avait pris soin d’être assisté d’un avocat. Et pour cause puisqu’il leur a été demandé ni plus ni moins de garder le silence devant les questions de la présidente du tribunal. « Je garde le silence », ont-ils répondu un à un. Face à cette fronde de la parole, la présidente n’a eu d’autre choix que de reprendre les éléments du dossier (ndlr : plusieurs centaines de pages) de façon méticuleuse et de relire l’ensemble des PV d’auditions des différents prévenus, ainsi que de la partie civile. Le bâtonnier, maître Yanis Souhaïli, s’était exprimé au préalable en son nom et en celui de ses confrères présents à l’audience pour demander au tribunal la nullité de ce procès. « Les faits reprochés se sont produits en 2014, 2015 et 2016. Le procureur de l’époque a demandé qu’une enquête soit faite au sein de l’Ireps en 2018. Et ce n’est qu’en 2022 que les mises en cause ont été entendus sous le régime de l’audition libre. De plus ce sont exactement les mêmes questions qui ont été posées à tous les prévenus.
Par ailleurs dans le dossier transmis aux avocats ne figure pas les statuts de l’Ireps. Il n’y a rien, pas de précision ou de détails sur les détournements, pas de dates précises, pas d’information, aucun élément du ministère public permettant d’étayer les détournements. Comment l’argent détourné a été utilisé ? Il y a de grosses lacunes dans cette enquête… A mon sens les droits de la Défense ont été bafoués, il n’y a pas eu d’audition équitable et de défense dans le cadre de la procédure. Je demande donc l’annulation de l’enquête préliminaire et la nullité de la citation ». Ce à quoi le ministère public par la voix de la substitue du Procureur, a répondu que « Le principe d’un procès équitable a été respecté » et que cette demande de nullité n’a pas lieu d’être, s’appuyant sur une jurisprudence de la cour de Cassation… « Ce procès a été renvoyé une première fois le 30 mai dernier… les prévenus ont eu le temps (depuis plusieurs mois) d’être informés des accusations contre eux afin de préparer leur défense ! »
Des dépenses au frais de la princesse ?
Que reprochent-on exactement aux accusés ? L’Ireps est une association qui vit uniquement de subventions publiques et est le principal opérateur pour la santé et la prévention sur le territoire. Or, lors du renouvellement des subventions dans le cadre du plan pluriannuel, l’ARS de Mayotte avait demandé un audit afin d’analyser le budget et les finances de l’association. Le rapport de cette inspection a mis en lumière de « nombreuses anomalies financières, des défauts comptables, des incertitudes ou encore l’utilisation contestable de fonds ».
Suite à cet audit, la préfecture et l’ARS de Mayotte avaient demandé une enquête et là on apprend avec stupéfaction qu’aucun PV d’Assemblée Générale ou de Conseil d’Administration n’a été retrouvé, encore moins de document établissant qui sont les membres de l’association et qui fait quoi, l’absence de conformité de la composition du bureau, l’absence de statuts, de bilan, de compte de résultat ou la publication annuel des comptes, pas de registre du personnel, sans compter sur l’embauche de la famille d’un membre du bureau alors caissière dans un Sodicash qui a été recrutée en tant que chargée de communication, poste en inadéquation avec son expérience professionnelle et ses compétences. Ou encore des prêts que s’est accordé le président sur les fonds de l’association, des chèques en blanc pour l’achat de billets d’avion, de courses, des caméra Go Pro et des jumelles de vue, des journées de formation en métropole remboursées au septuple…, des factures parfois payées deux fois, le remboursement de frais à de salariés sur simple demande sans justificatifs, bref la liste est encore longue…
Ce sont ainsi au total 1.470.000 euros qui auraient été détournés en trois ans, de 2014 à 2016, au préjudice de l’Ireps dont la liquidation judiciaire est encore en cours. Le tribunal rendra son délibéré le 12 décembre prochain.
B.J.