Samedi dernier, le 2 septembre, pendant que le festival Sanaa bat son plein pour sa dernière soirée prés de la barge, à quelques kilomètres de là des émeutes ont lieu du côté de Doujani. De nouveau des bandes s’affrontent et des jeunes de Mtsapéré marchent vers le rond-point. Certainement pas avec des attitudes pacifiques puisque les forces de l’ordre les repoussent à l’aide de grenades lacrymogènes et qu’un engin de chantier de Caribus est incendié. Si le rond-point est finalement tenu, plus loin, à Passamainty, des barrages sont érigés sur la route. Des véhicules arrivent au niveau du Douka be, dont M.G. à moto. Présents non loin de là, des policiers entendent une rafale de tirs, « une dizaine de détonations », indique leur rapport. « Quasiment au même moment, indique la procureur, deux jeunes leur sont amenés, présentant des blessures, l’un à la fesse, l’autre à deux doigts de la main gauche. « On nous a tiré dessus ! », lâchent-ils.
Le RAID qui était déployé à proximité indique aussitôt ne pas en être les auteurs. Une procédure en flagrance est ouverte. Les policiers se rendent au CHM où sont soignées les deux victimes. Elles décrivent un homme blanc, plutôt corpulent, comme étant l’auteur des coups de feu. Une balle est retirée de la fesse de l’un des deux, A.I. Une réquisition est adressée au club de tireurs de Petite Terre, mais M.G. va se présenter au commissariat le mardi suivant. « Car j’ai lu dans la presse qu’il y avait deux blessés », indique-t-il à la barre.
Il revient sur la soirée. Parti manger un morceau à Tsoundzou et boire une bière, en rentrant en moto, il reçoit une pierre sur le casque. « Je vois alors plusieurs personnes face à moi, j’ai eu peur pour ma vie, j’ai tiré en l’air, ce qui n’a pas eu d’effet, j’ai alors tiré à terre », tout ça depuis sa moto de 200kg. Il a une autorisation de détention, pas de port d’arme. « Vous êtes allé la chercher dans sa mallette ? », s’enquiert la présidente de l’audience Virginie Benech. « Non, je l’avais glissé à l’arrière de mon jean. Comme à Mayotte le climat est anxiogène, j’ai toujours une arme de défense sur moi, mais elle était enrayée, j’ai donc pris mon pistolet. » Un profil du justicier se dessine.
« Individu dangereux, armé et violent »
L’homme est un ancien gendarme du PSIG, le Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), puis a fait partie d’un escadron autoroutier, avant de démissionner pour blessure hors service. « Vous brandissez une arme de catégorie B comme un cowboy, mais Mayotte ce n’est pas le Farwest ! », relève la procureur Louisa Ait-Hamou, dans ses réquisitions. Ce « climat anxiogène », c’est en toile de fond le débat qui va s’instaurer comme un fil rouge entre présidente d’audience, avocat et parquet.
L’arme de catégorie B, un 9 mm semi-automatique à 17 coups, il la brandit ce soir là, car « je craignais pour ma vie ». C’est l’énoncé du profil des deux jeunes qui va en donner une idée. Celui qui est blessé à la fesse est mineur, ses parents sont dans la salle. A.I. est connu des services de police, avec mention sur son casier judiciaire d’une agression à l’arme blanche en 2023. Il explique s’être rendu à un manzaraka, un grand mariage, à Doujani, mais a été blessé à Passamainty et a donc été présenté aussitôt aux gendarmes. Il est toujours hospitalisé, « les médecins craignent une paralysie », fera valoir son père qui indique vouloir se porter partie civile et demander des dommages et intérêts. Âgé de 19 ans, le second a déjà un pédigrée catastrophique : condamné pour vol avec arme, entrave à la circulation, destruction de véhicule, violences aggravées avec un visage dissimulé, etc. Sur sa fiche est noté « individu dangereux, armé et violent ». Apprenant qu’il allait être entendu par les gendarmes, il a fui de l’hôpital malgré ses 45 jours d’ITT.
Qui s’est déjà retrouvé sur un barrage entouré de voyous armés de machettesexplosant leurs vitres, comprend ce que M.G. a vécu. En 2022, de nombreux automobilistes et deux roues ont été agressés à la machette. Et pour relativiser le conseil de la procureur, « il faut s’en remettre aux gendarmes et aux policiers », ils ne peuvent être partout. Pour avoir été au volant d’une voiture caillassée par des jeunes cagoulés et armés de chombo sur un barrage enflammé en pleine opération Wuambushu, et alors qu’il venait de croiser un camion de gendarmes dans l’autre sens, un automobiliste nous avait expliqué s’être retrouvé livré à lui-même, quand un autre sur le même barrage avait eu un doigt coupé par une machette.
Illégitime défense
Pour autant, l’anarchie n’est pas loin comme lui faisait remarquer la présidente d’audience, « et si tout le monde faisait comme vous ? » C’est en effet une épée de Damoclès au-dessus du quotidien mahorais. Nombreux sont ceux qui après une agression réfléchissent à s’armer, mais ne franchissent heureusement pas le cap.
Relevant la phrase de la présidente à l’adresse du prévenu, « Il faut se rendre à l’évidence, si vous voulez vous balader à moto, c’est en métropole », alors que c’est le moyen de déplacement de beaucoup en raison des embouteillages, l’avocat et bâtonnier Me Yanis Souhaili, rétorquait : « Quel message vous envoyez aux habitants de Mayotte ? A 20h on ne sort plus car les coupeurs de route font la loi ?! Il n’est pas interdit de se déplacer en voiture ou à moto le soir à Mayotte que je sache ! Personnellement justement, je ne sors plus, je n’ai pas pu aller au festival Sanaa où j’étais invité, et ce soir là, je reçois des sms d’amis qui me disent que c’est le chaos à Mamoudzou. »
Il relevait que M.G. n’était pas poursuivi par le parquet pour port d’armes, mais pour violence avec arme, après que le motif « de tentative d’assassinat » ait été retenu puis retiré. Le prévenu sait qu’il joue gros, et laisse un moment éclater son émotion en assurant ne plus recommencer.
C’est ensuite sur la légitime défense que se jouaient les arguments des parties. Il n’y en a pas pour la procureur : « D’une part, il n’y a pas simultanéité de la défense, et il y a disproportion entre le moyen de défense employé et la gravité de l’atteinte et vous ne nous apportez pas la preuve qu’ils possédaient des machettes, vous avez varié dans vos dépositions », requérait-elle en demandant à la collégialité du tribunal « d’adresser un message à une personne qui connait le danger des armes », en le condamnant à 30 mois de prison dont 18 mois de sursis probatoire, mais sans mandat de dépôt.
Manzaraka fantôme en nocturne
L’avocat du prévenu démontera le témoignage de la victime mineure qui assurait être sur place pour un manzaraka, « il dit être à l’intérieur de Doujani, or il est blessé à Passamainty et arrive à décrire M.G. c’est donc qu’il était sur place avec les 15 autres. D’autre part, je n’ai jamais vu un manzaraka finir à 23h ». Quant à l’individu dangereux et armé recherché par la police, « la vie de mon client était en effet en danger ». Tout en rappelant que les agresseurs de M.G. venaient d’incendier un engin de chantier, Me Souhaili énonçait une jurisprudence de légitime défense sur une personne ayant tiré un coup de feu en l’air, puis un vers les pieds, qui a été jugée « ne pas avoir eu une défense disproportionnée à l’attaque. »
Il ne sera pas entendu et le tribunal suivra intégralement les réquisitions de la procureur, en « écartant la légitime défense », et étant donné qu’il s’agit « d’une arme létale ». M.G. est donc condamné à 30 mois de prison, dont 18 mois de sursis probatoire, avec une détention à domicile sous bracelet électronique. « La peine est donc aménagée en fonction de votre activité professionnelle de salariée dans le bâtiment », commentait la juge. Toutes ses armes et munitions retrouvées à son domicile sont confisquées, il a interdiction de port d’arme pendant 15 ans. Il devra dédommager la victime – le tribunal ne parle pas de deux victimes, uniquement du mineur – et ne pourra pas entrer en contact avec lui. Le prévenu ne part donc pas en prison où il a passé la nuit, et a dix jours pour faire appel.
Un jugement sans doute conforme à la transgression du port et de l’usage d’une arme, mais dont les arguments ont laissé transparaitre une Mayotte à deux niveaux : ceux qui y vivent de jour comme de nuit, car comme nous l’avons toujours écrit, il faut occuper le bitume le soir et ne pas le laisser aux voyous, et ceux qui vivent sous cloche par peur d’une agression. Dans ce cas, plus besoin de forces de l’ordre, chacun restera chez soi. On nous avait vendu Wuambushu comme la garantie d’un retour à la vie d’avant ?
Anne Perzo-Lafond