Après avoir frôlé la pénurie en 2011, en 2016, Frédéric Veau, nommé quelques mois auparavant préfet de Mayotte, nous glissait son inquiétude sur la fin de la saison sèche, et l’arrivée tardive des pluies. Les premiers tours d’eau voyaient le jour, ainsi que les rampes d’eau. En cause, le déficit d’investissements du syndicat des Eaux dans les capacités de production et de stockage, que regarde de prés depuis le Parquet national financier. On entend alors parler de foncier signé pour la 3ème retenue collinaire, de DUP en cours pour exproprier les propriétaires récalcitrants à la vente, de campagnes de forages.
Rebelote fin 2019, inquiétude sur la distribution d’eau potable du préfet Colombet qui inaugure les travaux de rehaussement de la retenue collinaire de Combani. Mêmes informations sur la 3ème retenue collinaire, sur une extension de l’usine de dessalement de Petite Terre « dans l’année », etc. Le Mistral est dépêché depuis La Réunion dans le cadre de la crise Covid et livrera quelques palettes d’eau.
Fin 2023, cette fois l’absence de pluviométrie suffisante s’ajoute au déficit d’investissement, et face au niveau bas des retenues dans lesquelles nous pompons en saison sèche, les regards se tournent vers l’Etat qui doit garantir l’accès à l’eau potable de ses habitants. Au regard du passif, pas étonnant que les informations livrées soient inaudibles. Et encore, nous ne sommes pas encore passés aux coupures de 48h effectives le lundi 4 septembre…
Il suffit d’apprendre que les 4 osmoseurs de petites capacités présents à Mayotte en avril au titre de la sécurité civile afin de filtrer l’eau de mer, sont repartis, et sont rappelés en urgence, pour saturer du manque d’anticipation.
Grand retour du gel hydroalcoolique
Quelques jours après l’annonce de l’élargissement des plages de coupures d’eau du préfet Suquet, l’ARS Mayotte donnait une conférence de presse ce lundi pour évoquer le contexte sanitaire actuel du territoire. Et après avoir réuni sa cellule de crise.
« Le 1er risque est microbiologique, entamait Olivier Brahic, directeur général de l’ARS Mayotte. Et je conçois que l’information de la potabilité de l’eau accolée à la recommandation de la faire bouillir 6 heures après une coupure nocturne, et 12 heures après une coupure de plus de 24 heures soit compliquée à accepter. Il faut comprendre que quand le réseau est en eau, l’ensemble des canalisations est en pression, donc aucun germe peut se déposer. Quand il y a coupure, il n’y a plus de pression, donc potentiellement les germes peuvent y entrer. C’est pendant cette période de purge lors de la remise en eau qu’il faut faire bouillir l’eau, sinon l’eau en elle-même est tout à fait potable. »
Il le répète à plusieurs reprises, les enjeux en terme de santé publique sont énormes : « Cette crise va être complexe, il y a un vrai enjeu de transparence. La SMAE contrôle chaque jour la qualité de l’eau, et nous, l’ARS, en 2ème niveau, que nous allons doubler dans les 4 mois à venir. Nous avons aussi mis en place un dispositif de veille sanitaire avec les associations de santé communautaires qui doivent remonter pour tout signal suspect sur le territoire. Lorsque c’est le cas, les laboratoires du CHM et privés effectuent des investigations biologiques pour identifier le germe. Les rivières et puits sont contrôlés, et je répète que leur eau n’est pas potable. » Et actuellement, pas de dégradation de la qualité de l’eau, répète-t-il, donc pas d’alerte en dehors d’une petite remontée de la vente de médicaments anti-diarrhéiques, « les pharmacies en vendent 3 à 4% de plus, ce n’est pas significatif, surtout que l’on tombe dans la période annuelle de l’épidémie de gastroentérite. Il va donc falloir investiguer pour différencier les causes. »
Il est donc recommandé de faire bouillir l’eau, mais aussi de ne pas stocker l’eau potable dans les jerrican plus de 48h, et enfin, de reprendre les habitudes des gestes barrière et de la désinfection des mains au gel hydroalcoolique les jours de coupure. « Cela réduit considérablement le risque de maladie hydrique, selon l’Organisation Mondiale de la Santé ». Des vaccinations contre la fièvre typhoïde ont été pratiquées dans deux communes à risque, Koungou et Dzoumogné.
Tirer la chasse au gaspi
Le problème de la capacité de stockage va néanmoins se poser lors du passage à 48h de coupure, « sans doute faudra-t-il rationaliser les sanitaires notamment dans les écoles, et ne pas tirer systématiquement la chasse d’eau », indique le préfet de l’Eau présent à la conférence.
Des recommandations pour faire face à une crise « complexe » donc, qui a pour ligne d’horizon le mois de novembre. Pourtant, il arrive que la saison des pluies ne commence que fin décembre. « D’ici là, des apports d’eau auront été mis en place. » C’est encore le préfet de l’Eau qui s’exprime ainsi et prend le relais. Gilles Cantal est venu épauler le préfet sur cette question. Issu de la Réserve préfectorale, il pilote et coordonne l’ensemble des acteurs et des actions sur les plans logistique et sanitaire. Et fait une annonce. Non pas de l’arrivée de tankers d’eau fantôme de la ministre Ericka Bareigts en son temps, mais de « 15 containers-cuves mobiles de 26m3 en provenance de La Réunion, accompagnés d’un camion citerne qui transportera l’eau potable pour prendre le relais dans les zones en déficit d’eau ou en fournir au SDIS en cas d’incendie. » Il est prévu de remplir ces containers ensuite grâce aux osmoseurs.
Autre annonce, un programme de 200 rampes d’eau sera déployé, dont 120 sont en rénovation par la SMAE. Pour enrayer les gaspillages qui avaient été dénoncés en 2020, un système d’ouverture avec clef détenue par le personnel de la SMAE épaulé par des agents de la municipalité, sera mis en place sur des plages horaires encadrées. « Des ambassadeurs de l’eau seront également présents pour sensibiliser. »
L’investissement de 8,5 millions d’euros annoncé par le ministre délégué aux Outre-mer Philippe Vigier dans une unité de dessalement devrita être effective « d’ici la fin de l’année ». La production actuelle se fait à partir des retenues collinaires, « nous ne touchons pas aux forages et aux eaux de surface au cas où on en arrive à la vidange des retenues », conclut Gilles Cantal.
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Anne Perzo-Lafond