C’est sous un barnum à l’abri des rayons du soleil que Jean-Baptiste Lauwereys, architecte-archéologue, Benjamin Bapst, Marie-Hélène Jamois et Justine Saadi, archéologues à l’Inrap ont accueilli les visiteurs samedi dans la matinée. Plusieurs visites étaient programmées avec à chaque fois une dizaine de curieux ou de passionnés d’histoire et d’archéologie soucieux de connaitre les origines de la construction de la mosquée de Tsingoni. En effet, la mairie a pour projet de rénover cet édifice mais avant cela il faut faire ce que l’on appelle de la fouille archéologique préventive étant donné que ce lieu de culte a été inscrit, en 2015, sur la liste des bâtiments historiques classés.
« En tant qu’archéologues, notre travail consiste à étudier le bâti mais aussi les différentes couches de sédiments afin de récolter un maximum d’informations et de données sur la construction de cet édifice avant sa réhabilitation », explique Jean-Baptiste. Pour cela les archéologues ont décapé les murs de la mosquée afin d’étudier les pierres, les enduits utilisés et ainsi « lire les différentes phases de construction d’aménagement de la mosquée. Nous avons également creusé dans le sol afin de faire une évaluation du potentiel archéologique. C’est un travail nécessaire pour avoir un maximum d’informations et comprendre les différentes phases d’occupation et d’évolution », ajoute-t-il.
La mosquée de Tsingoni serait la plus ancienne mosquée de France et daterait probablement du 16e siècle. « Pour nos fouilles nous sommes soumis à un cahier des charges précis et à une problématique qui dirige nos recherches, explique Marie-Hélène. Cela dit on s’attend à tout lorsque l’on fait des fouilles ! Notre travail a consisté à faire une étude complète du bâti pour essayer de voir si quelque chose était antérieur au 16e siècle… ».
Ainsi durant deux mois les archéologues ont « décrouté » les murs pour comprendre l’architecture de la mosquée. « Nous avons étudié les matériaux utilisés comme le corail, la roche volcanique ou encore le mortier… afin de pouvoir établir une chronologie. Les quelques fragments d’os, de céramiques ou de charbon de bois que nous avons trouvés ont été envoyés en laboratoire afin qu’ils soient analysés au carbone 14 (*) ce qui permettra de les dater plus précisément », indique Jean-Baptiste.
Un morceau de Coran retrouvé dans une niche d’un mur
Pour la responsable du chantier et des opérations, Justine Saadi, le fait d’effectuer des fouilles archéologiques préventives permet de « remonter au début pour comprendre la construction de l’édifice », et elle ne cache pas son émotion quand l’équipe a trouvé un fragment du Coran niché dans un mur. « C’est inédit, c’est une découverte magnifique ! S’exclame-t-elle. C’est à la fois très émouvant et très touchant. Nous avons fait remonter l’information auprès du ministère qui a trouvé cette découverte très intéressante notamment sur l’origine du papier utilisé. Le fragment est parti en laboratoire afin de pouvoir le dater précisément, mais avant cela nous l’avons présenté à la communauté de Tsingoni », raconte-t-elle.
Pour cette archéologue originaire de la région lyonnaise, qui exerce ce métier depuis une dizaine d’années, et qui a notamment travaillé sur la cité antique de Valence, « l’archéologie permet de découvrir et de comprendre le passé pour le transmettre aux générations actuelles et futures », précise-t-elle. Même si sa période de prédilection est plus le Moyen-Âge et plus précisément le Moyen-Âge central (10e au 13e siècle) avec ses édifices religieux comme les églises, quand on lui a proposé ce chantier à Mayotte elle a tout de suite accepté. « L’Inrap a répondu à un appel d’offre pour la mosquée de Tsingoni… On m’a proposé ce chantier que j’ai accepté. La mosquée date, a priori, de l’époque moderne mais en tant qu’archéologue médiéviste je peux quand même étudier et mener des fouilles sur des bâtiments des époques modernes et contemporaines. C’est ma première fouille pour une mosquée, qui plus est en activité puisque les fidèles y vont tous les jours. C’est agréable de travailler sur un patrimoine encore vivant. C’est un chantier ouvert où l’on échange avec les fidèles et la population ».
A cet égard, Justine ne tarit pas d’éloges, « L’accueil des locaux est vraiment exceptionnel, il y a de l’entraide, du soutien, la population montre vraiment de l’intérêt pour ce patrimoine ». Aussi, son départ le 15 septembre prochain de l’île au lagon la rend plutôt triste. « Nous devions partir le 5 septembre mais nous avons obtenu une rallonge de 10 jours pour mener à bien ce projet. C’est ma première fois dans les Outre-mer… et j’adore Mayotte ! ». C’est donc avec un petit pincement au cœur qu’elle et les membres de son équipe vont quitter prochainement le 101e département français, à l’image de Benjamin qui partira, lui, vendredi.
« Je suis plutôt un spécialiste de la préhistoire et notamment du néolithique et de la pierre taillée. En tant qu’archéologue on est amené à faire des fouilles sur d’autres périodes que notre spécialité… Aussi, j’étais sur ce chantier en tant que technicien, c’était la première fois que je faisais des fouilles sur le bâti. Je m’intéresse à tout, j’aime m’ouvrir à d’autres choses et d’autre périodes historiques. Je garderai un très bon souvenir de Mayotte, j’ai notamment beaucoup apprécié l’accueil, c’était génial », confie-t-il.
Justine et son équipe quitteront donc l’île le 15 septembre prochain au plus tard en ayant accompli un travail archéologique d’ampleur puisque leurs recherches vont permettre de déterminer précisément l’époque de la construction de la mosquée de Tsingoni et savoir s’il existait ou non des traces du bâti avant le 16e siècle.
B.J.
* La datation par le carbone 14 est une méthode de datation radiométrique fondée sur la mesure de l’activité radiologique du carbone 14 (14C) contenu dans la matière organique dont on souhaite connaître l’âge absolu. Cette méthode permet de connaitre le temps écoulé depuis la mort de l’organisme (animal ou végétal) qui le constitue.