Prôner la fierté d’une langue régionale est-il antinomique avec le fait de pleinement en intégrer et maitriser une autre qui se veut ’’l’officielle’’ référencée ? Comment pouvoir prétendre, d’un côté, tenter l’alignement national et lutter contre l’illettrisme par exemple, tout en revendiquant fièrement, d’un autre, ses maternelles racines plus ou moins lexicologiques ? Grand débat introductif et volontairement titilleur mais soyons clairs, il n’y a de polémique que pour celui qui souhaite insidieusement la soulever. En effet, dans une sociologique approche des plus volontairement simplifiées, il est important de comprendre que tout être-humain, dans son propre parcours d’ingestion intellectuelle et psychologique, le fera toujours au moyen du premier filtre qu’est sa langue maternelle.
Une langue plus ou moins enrichie dans son vocabulaire mais surtout qui se veut malheureusement de plus en plus usitée, principalement dans un populaire oral, au détriment d’un volet textuello-littéraire, plus soutenu, s’écartant peu à peu. Et comme l’inéluctable effet domino ne peut soustraire un élément à l’autre, il est important de ne pas mettre de côté son histoire, ses racines; en somme, ses propres fondations, si l’on aspire justement à élargir la pertinence de son code de langage en un autre idiome. Pour résumer, plus mon vocabulaire sera riche, plus il me sera aisé de le transposer lors de l’apprentissage d’un autre. Et c’est justement aussi dans cette dynamique qu’a été pensé et créé ce concours Tamasha lancé conjointement, le 29 juillet dernier, par le Conseil de la culture, de L’éducation et de l’environnement de Mayotte (CCEEM) et l’association Shimé.
Parlons plurilinguisme et Loi Molac
Adoptée le 8 avril 2021 et, bien que rabotée — notamment sur le paragraphe de l’enseignement immersif — cette loi n°2548 a donc été publiée au Journal officiel le 23 mai suivant. Une loi visant à protéger et (re)valoriser les langues régionales françaises, pour le Patrimoine mais également dans les services et l’enseignement publics et ce, en Hexagone et dans les Outre-mer.
Et pour le coup, notre petit caillou incarne pleinement la validation de cette approche sachant les complexités rencontrées dans les diverses institutions publiques concernées : « Il nous a été demandé à Mayotte de faire des efforts pour accéder à la langue française; malgré cela, les efforts en question demeurent insuffisants » nous confie Rastami Spélo, vice-président du CCEEM et président de Shimé avant de poursuivre : « Fort heureusement, les pédagogues l’ont bien compris et c’est aussi pour cela que nous devons apporter notre pierre à l’édifice éducationnel. Celui qui se sent suffisamment à l’aise et maîtrise sa propre langue à l’oral ET à l’écrit, a bien plus de facilités d’accès pour les autres langues mais aussi dans les diverses matières scolaires de manière générale. Ce travail de fond, il se doit d’être au moyen de la participation de tous et ce, de manière intergénérationnelle. Je me répète, c’est seulement en maîtrisant bien ma langue maternelle que je pourrai appendre et maitriser le Français et le transfert de compétences n’en sera que plus efficient ». Un shimaoré riche de son historique construction mais aussi de sa grammaire métalinguistique qu’il faut revaloriser et surtout, ne pas perdre selon les désirs du précité pour justement enrichir la France et la dynamiser dans cette région du Monde car par l’intellectualité expressive, expansion il pourra y avoir.
Un concours né d’une idée de nos cousins réunionnais
Souhaitant également valoriser la riche singularité de leur créole, un tout premier événement de ce type a donc eu lieu en avril dernier ; le KoZarlor. La nuance par rapport à notre concours d’éloquence mahoraise résidant dans le fait qu’il était uniquement question de lycéens là où chez nous, Tamasha s’adresse exclusivement aux adultes. Des adultes pouvant concourir soit en Shimaoré, soit en Kibushi, sur des thématiques majeures imposées, liées à la Culture, l’Éducation ou encore l’Environnement. Durant 3 minutes top chrono, un jury composé de 10 membres, aguerris noblement en la linguistique matière, va apprécier divers critères, tant sur le fond que la forme, relatifs à la qualité de la prestation, de l’argumentaire, à l’aisance, la pertinence, en encore l’originalité. C’est au final une note globale sur 50 qui sera attribuée. « N’ayez jamais honte de parler votre langue maternelle », introduit avant le début de l’épreuve, Dominique Marot, vice-président économie bleu, pêche et agriculture et juré d’honneur, ce jour, en cette pré-sélection sur le territoire Cadema.
« La langue de Molière n’est pas celle que j’ai apprise en premier mais rappelez-vous qu’un arbre sans racine, c’est un arbre qui meurt et comme le soulignait Nelson Mandela, ’’si vous parlez à un homme dans une langue qu’il comprend, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son coeur’’ alors soyez fiers ».
Le grand plongeon…
C’est donc un à un que les candidats se sont succédés sur la haute estrade de la Maison pour tous de Dembéni. Parmi ces 8 courageux, la majorité venait de l’association de quartier AMAI* s’occupant de mineurs et jeunes adultes, notamment sur le plan éducatif, socio-professionnel et culturel, comme il fut cas pour Naïm, 26 ans, plombier qui a ouvert les festivités en Shimaoré :
« Je ne me suis pas forcément préparé en amont, j’ai totalement improvisé mais le fait de pouvoir m’exprimer dans ma propre langue fait que j’ai voulu aborder les sujets de la violence, de la politique de la rue et de la politique tout court. Je n’ai pu poursuivre ma scolarité pour cause de régulation administrative. J’aurais aimé faire des études et faire de grandes choses mais ça n’a pas été possible. Pour autant, je ne cautionne pas cette violence gratuite. Aujourd’hui, monter sur scène était une manière de transmettre ma vision et j’ose croire avoir été entendu quelque part ».
Pour d’autres, le stress était un peu plus palpable, voire bloquant, notamment pour Amina, 25 ans, unique femme dans ce concours et directrice d’une association de théâtre intitulée Tropical Mayotte : « J’ai le sentiment de n’avoir pu exprimer réellement toute ma pensée. J’ai abordé en Shimaoré la thématique de l’éducation, notamment dans l’aspect culturel et le poids de la famille qui parfois ne voit pas l’intérêt de laisser aller son enfant à l’école, préférant le garder à la maison pour aider aux diverses taches ».
Pour les prétendants en Kibushi, ils étaient seulement 2 et le lauréat fut Shifay A, électricien de 41 ans et père de 6 enfants : « J’ai souhaité profiter de m’adresser à un jury aussi composé d’élus pour faire part de ma constatation personnelle sur comment les choses évoluent et sur, finalement, l’éducation traditionnelle qui a complètement et tristement disparu. J’ai profité qu’il y ait moins de candidats en cette langue pour stratégiquement introduire mes idées en Kibushi ».
Regard croisé interessant et intergénérationnel avec l’autre lauréat, cette fois-ci en Shimoaré, qui est Irifai A., 23 ans, future recrue au sein du BSMA et souhaitant évoluer par la suite dans le BTP : « J’ai préféré garder les grandes lignes en tête car je me suis dit que si je lisais, je ne pourrais pas regarder le jury ce qui n’est pas bon. Je voulais parler de l’Environnement, de la nécessité des prises de conscience et l’importance de valoriser notre île qui à un patrimoine extraordinaire, même plus attractif que la Réunion ou d’autres coins touristiques de la zone. Mayotte est un bijou incroyable qu’il faut préserver… ».
Des visions et prises de position plutôt pertinentes, voire étonnamment désarmantes comme nous l’a souligné Macheni Hassani, adjointe chargée de la Culture à la mairie de Dembéni et membre de ce jury : « J’avoue humblement que l’on découvre des jeunes sous un autre angle pour lesquels, initialement on pourrait porter des jugements. Même si elle n’était pas spécialement préparée, leur participation est non seulement courageuse mais leur prestation interpelle tout comme leurs idées et je peux vous assurer que cela nous remet en question ».
Une approche finalement simple en la matière permettant de valoriser en bien des points ce qui fait aussi partie du patrimoine culturel mahorais en une dynamique active, sur des sujets d’actualité comme le rappelle Cris Kordjee, chargée de mission au sein du CCEEM et spectatrice ce jour : « Associer la langue maternelle à la courtoisie, tout en traitant des sujets importants et prioritaires, est quelque chose de très enrichissant pour les ressources culturelles mahoraises qui ne peuvent se limiter qu’à de l’amusement. Le patrimoine de Mayotte doit aussi briller de par son intellectualité, c’est extrêmement positif ». Un positivisme qui verra sa 3ème et prochaine étape en territoire interco de la zone Grand Nord, le 12 août à M’tsamboro et une finale départementale le 28 octobre 2023 qu’il faudra, cette fois-ci, bien préparer si l’on souhaite remporter l’un de ces 2 extraordinaires prix finaux qui sont un voyage en Madagascar ou en Tanzanie (rien que ça !)…
En attendant, orateurs spontanés du coeur, amateurs ou aguerris, ou bien même fervents défenseurs du verbe et de la plume en Shimaoré ou Kibushi, à vous de jouer et rendez-vous lors des prochaines pré-sélections en votre territoire de résidence
MLG
*AMAI est une association née en et jumelée avec le Puy-de-Dôme, créée initialement en 2016 et implantée récemment à Mayotte, sur la commune de Dembéni. Cette structure s’inscrit dans la dynamique d’une perspective d’accompagnement pluridisciplinaire à destination d’un public mixte, mineur et majeur, pour un meilleur tremplin dans une perspective d’insertion socio-professionnelle.