JDM : Bien que vous ayez grandi en territoire franco-métropolitain, l’approche insulaire, vous connaissez également de par vos origines et fonctions martiniquaises. En quelles complexités Mayotte se rapproche-t-elle des autres territoires ultramarins justement ?
Max Orville : Mayotte n’a de départementalisation que le nom. L’égalité réelle, facteur de développement économique et social, doit être obtenue. La départementalisation qui fut également un processus long pour la Martinique a réussi au territoire. Nous avons bénéficié des valeurs et des crédits de la République, nous laissant ainsi une juste place parmi les Français. Ce processus est en cours à Mayotte et je souhaite qu’il soit achevé le plus rapidement possible. Cela permettait de faire des Mahorais des citoyens à part entière, bénéficiant des mêmes droits et des mêmes devoirs. Ça serait déjà une grande victoire.
Concernant les difficultés, nous partageons bien entendu l’éloignement vis à vis de l’Hexagone et de l’Europe, ainsi qu’une faible superficie (à l’exception de la Guyane). Ces difficultés se concrétisent par un fort taux de chômage et des besoins en matière de développement économique. En qualité de député européen, j’œuvre justement pour lutter contre ces maux, tout en mettant en avant nos richesses; au Parlement Européen comme à Paris. Et Mayotte, tout comme la Martinique, sont des trésors de biodiversité.
JDM : Vous êtes arrivé en une amorce de week-end où les événements ont tristement été virulents comme à l’accoutumée malheureusement. La France hexagonale s’étonne et s’émeut de ses dégradations actuelles mais il est cas quasi quotidien ici. Encore des agressions directes et physiques en tout genre et même des barrages sauvages montés par des jeunes coupeurs de routes qui ont notamment entrainés l’hospitalisation d’une élue départementale. Comment, selon vous, peut-on enrayer ce phénomène parfois proche du sans foi ni loi ?
Max Orville : Je l’ai dit samedi matin lors d’un meeting, je le répète ici, je soutiens totalement l’opération Wuambushu. C’est la volonté des Mahoraises et des Mahorais de pouvoir jouir librement de leurs droits les plus élémentaires et comme tout Français, de vivre en sécurité sans que l’on vienne usurper leurs biens. Il faut donc restaurer à Mayotte l’ordre républicain et cette opération y contribue largement. Mais cela ne suffira pas, Wuambushu doit s’accompagner d’une politique de développement économique, social et culturel. Je milite ainsi pour qu’à Mayotte ce ne soit pas la loi du plus fort qui gouverne mais la loi du plus juste.
JDM : Comment Mayotte peut-elle simultanément faire face à autant de défis ? (Migratoire, alignement national, rattrapage de retard logistico-administratif et institutionnel, éducation, sécheresse, autonomie alimentaire, surpopulation, constructions de logements…). En comparaison, notre territoire ressemble grandement à celui de la Guyane en termes d’enjeux et challenges hors, nous n’avons pas la même superficie ni le même enclavement.
Vous avez raison. Ces quatre jours à la rencontre des Mahoraises et des Mahorais m’ont fait réaliser une chose, plus qu’ailleurs dans les Outre-mer, c’est un parcours de titan qui attend Mayotte. Je le disais en amont, l’opération Wuambushu doit s’accompagner d’une véritable politique de développement. Mais je crois aussi qu’on ne pourra pas parler de développement à Mayotte tant qu’il n’y aura pas d’eau. J’ai été profondément frappé par ces tours d’eau bien connus des Mahorais. Comment peut-on tolérer en France de telles pénuries d’eau. C’est inimaginable !
Je milite pour que les fonds européens, en particulier ceux qu’ils restent à dépenser dans le programme 2014-2020, soient redirigés vers des investissements pour l’eau. Amélioration du réseau, financement des nouvelles capacités de production, que ça soit la nouvelle retenue collinaire, l’usine de dessalement de Grande-Terre ou encore le développement du réseau d’assainissement, les chantiers sont nombreux. Faisons les financer par la solidarité européenne qui est massive à Mayotte.
JDM : Selon vous, un peu comme à l’image des Etats-Unis finalement, est-ce qu’il ne serait pas judicieux d’adapter une politique en fonction des territoires ? La Charente-Maritime n’aura jamais les mêmes besoins et enjeux que Mayotte, au même titre que la Martinique avec Saint-Pierre-et-Miquelon…
Max Orville : Je crois en effet nécessaire l’adaptation des normes dans nos territoires. Je milite à Bruxelles pour que soit précisé l’article 349 des traités européens — qui définit les régions ultrapériphériques — et présente les possibilités d’adaptations aux directives européennes.
Je rencontre pour cela l’ensemble des parlementaires des Outre-mer et je souhaite faire adopter une résolution à ce sujet au Parlement Européen. Il est pour moi fondamental que nos territoires prennent toute leur place au sein de l’Union européenne, et donc du droit européen, mais qu’ils puissent également, chaque fois que nécessaire, bénéficier de conditions d’adaptation aux réalités de nos régions.
JDM : L’aspect social et éducationnel est quelque chose qui fait grandement écho à votre parcours ainsi que vos aspirations mais en toute objectivité, le social n’aurait-il pas ses limites ? D’autant plus si la proche et géographique périphérie est dans le besoin ? (phénomène d’appel d’air).
Max Orville : Je ne le crois pas. J’ai visité trois écoles à Doujani où j’ai vu des innovations pédagogiques remarquables. J’ai vu des enseignants accomplir des miracles dans des conditions de travail qui feraient pâlir leurs collègues de l’Hexagone. J’ai pu féliciter les mères de famille de l’école des parents, qui montrent toute leur motivation, d’une part, pour la réussite de leurs enfants et, d’autre part, pour faciliter leur intégration dans la société mahoraise et républicaine. Le message est très clair, lorsqu’élèves, parents et enseignants cheminent ensemble, dans la même direction, l’éducation devient un véritable moyen d’émancipation.
JDM : Sur quel(s) point(s) la France et même l’Europe doivent être fermes pour le devenir pérenne de Mayotte ?
Max Orville : Mayotte est française, il faut achever le plus rapidement possible la départementalisation. Mayotte doit pour cela disposer des mêmes droits que les 100 autres départements français. Cela renforcera également sa position comme région ultrapériphérique de l’Union européenne.
JDM : Quelles concrètes idées et/ou actions ont été échangées/décidées lors de votre venue avec les acteurs locaux mahorais ?
Max Orville : On m’a présenté de nombreux projets très concrets qui font appels aux fonds européens. Je pense au renforcement de la continuité territoriale avec la nouvelle barge. Je soutiens à cet égard le projet de nouvelle liaison maritime de Bandrélé. Ce projet porté par Monsieur le Maire et Président de la communauté de communes du Sud permettrait de désengorger l’axe routier qui est saturé et d’assurer une meilleure liaison notamment aux 700 élèves qui se rendent chaque jour dans le nord.
Je pense aussi à la commercialisation de l’ylang-ylang qui doit de nouveau prendre toute sa place dans l’économie mahoraise. C’est un produit qui a marqué et qui fait partie intégrante de votre patrimoine. Mobilisons les fonds européens mais aussi toute l’inventivité des agriculteurs Mahorais pour faire rayonner cette perle de Mayotte.
JDM : En quoi votre venue, qui est une première, était-elle nécessaire ? Y’aura-t-il une suite, un chapitre 2 ?
Max Orville : Elle était nécessaire pour renforcer la fédération très dynamique du Mouvement démocrate Mayotte. Mais aussi parce que rien ne remplace l’expérience et l’échange direct; je souhaitais me rendre sur place pour encore mieux porter la voix des Mahorais au Parlement.
Il me faut maintenant transformer en actes, et notamment en décisions européennes, les propositions et projets qui m’ont été soumis.
Je reviendrai dans l’année à venir pour rendre compte de mon action au Parlement Européen et auprès du Gouvernement.
JDM : Un dernier mot ?
Max Orville : Dans les Outre-mer et à Mayotte en particulier, il n’y a pas de retard à rattraper, il y a une avance à prendre.
MLG