« Il est là, il est là pour de vrai », s’écriait l’une, « C’est le parrain de Wuambushu ! », lâchait l’autre, en l’entourant d’une écharpe aux couleurs d’ylang uniforme sur l’esplanade. Sur fond de chants rythmés par le jumbe, les ministres Darmanin et Carenco grimpaient sur l’estrade, entourés par plusieurs élus locaux, à dominante LREM et LR.
On a connu foule plus dense lorsqu’il avait fallu défendre Wuambushu, mais des dissensions entre les deux Collectifs, émanation pour l’un de la députée Estelle Youssouffa, pour l’autre de Safina Soula, a eu raison de l’unité.
Des discordes qui auront marqué toute la matinée, notamment lors des prises de parole orchestrées par la députée. Tous n’ont pas eu droit au micro. Une politisation de la visite qui dessert la cause.
Gérald Darmanin et Jean-François Carenco auront ainsi pu successivement entendre le maire de la commune accueillant l’événement, Ambdilwahedou Soumaila, remercier l’oreille ministérielle attentive, « lorsque nous, élus de Mayotte, nous sommes venus à Paris pour demander un choc de solidarité avec la métropole, surtout sur le plan sécuritaire, vous l’avez concrétisé ». Mais aussi Saïd Omar Oili, loin de sa Petite Terre, mais candidat aux sénatoriales, qui citait Danton en 1792, « Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée », dont on ne sait si elle était adressé à Gérald Darmanin, ou un auto-encouragement ! Enfin, le président Ben Issa Ousseni, qui usait d’une métaphore destinée à la métropole, « ceux qui disent que Mayotte n’aiment pas les étrangers, c’est faux, mais nous voulons juste qu’ils disent ‘hodi ?’ (il y a quelqu’un ?) et attendent la réponse ‘karibu’ (bienvenu), avant d’entrer.
C’est la députée Estelle Youssouffa qui concluait, « nous voulons plus de Wuambushu, ainsi que la piste longue et de l’eau, nous voulons plus de France ! ».
« Nous allons poursuivre Wuambushu »
Cette séquence n’ayant pas été intégrée dans le programme officiel, c’est un court discours que livrait Gérald Darmanin, introduit par un message d’Emmanuel Macron, « le président de la République remercie les forces de l’ordre et les forces armées pour le travail mené sur le territoire. Et dit qu’on vous aime ! » Chants de joie et Marseillasie dans l’assistance. Remerciement également au préfet Thierry Suquet, « qui fait un travail formidable, d’ailleurs il va rester 15 ans de plus à son poste ! ».
Première annonce, déjà acquise parmi la foule, « je suis ici pour vous dire que nous allons continuer l’opération avec les forces de police et de gendarmerie pour faire de Mayotte la plus belle île de France. Et je commence à connaître, ça fait la 7ème fois que je viens ici ! »
Mais parce que la sécurité est « un moyen et pas un but », d’autres problématiques seront attaquées, comme la crise de l’eau, « pour que personne ne s’enrichisse sur votre dos, les prix de l’eau seront bloqués le 1er juillet 2023 », une décision du président de la République. Espérons que d’ici deux semaines, les prix ne s’alignent pas à la hausse…
Si ce début de journée était faste, des attentes persistent en matière sécuritaire. Le conseiller départemental de Pamandzi Daniel Zaïdani nous en faisait remonter une partie : « On sait que des forces de l’ordre sont parties, ont-elles été remplacées ? Car Wuambushu sans effectif ce n’est plus Wuambushu. En terme de reconduites à la frontière, il préconise de répertorier l’ensemble des terrains du conseil départemental, premier propriétaire foncier de l’île, et d’en transmettre la liste à chaque mairie concernée, « les polices municipales pourraient alors vérifier le caractère régulier des occupants ». Dans la même logique, le représentant du RN sur le territoire demande aux maires « d’associer leurs conseils municipaux lors de l’établissement des périmètres de destructions remis au préfet. »
Abrogation du titre de séjour « made in Mayotte »
Les deux collectifs de citoyens ont également listé leurs demandes pour aller plus loin, c’est à dire en adoptant « des mesures législatives résolues, volontaristes et immédiates pour stopper la déstabilisation de notre territoire (…) Nous demandons que l’abrogation du titre de séjour territorialisé figure dans les dispositions de la future loi Asile et Immigration », est-il indiqué dans un communiqué distribué ce vendredi. Avec 4000 admissions au séjour par an, avancent-ils, l’autorisation de se déplacer sur les autres territoires de la République, comme c’est le cas pour tous les autres DOM, est justifié.
Voilà qui fait donc écho à la volonté initiale du ministre de faire correspondre l’opération menée à Mayotte avec la présentation du projet de loi Asile Immigration en avril dernier, qui a été repoussée dans la période troublée de l’après loi des retraites et faute de majorité à l’Assemblée.
Autres demandes, et alors que les kwassa, surchargés, continuent à affluer avec notamment des ressortissants africains, des conditions bloquant l’appel d’air : Impliquer les maires par le biais de conventions dans le processus d’admission au séjour, à l’instar des procédures établies pour les demandeurs d’asile, Exiger impérativement du préfet la vérification des conditions de logement avant la délivrance d’un titre de séjour à Mayotte, Lutter contre les paternités fictives en donnant la possibilité aux maires de mener des enquêtes sociales, si nécessaire, pouvant aboutir à la saisine du procureur pour la réalisation de tests ADN, Exiger du Préfet l’évacuation des occupations illégales sur les zones de ZPG (mangroves), Lutter contre le commerce des faux certificats médicaux délivrés par des médecins sans aucune contre-expertise pour les enfants malades évacués (évasanés), Réglementer plus strictement l’activité des associations d’aide aux migrants qui se sont spécialisées dans l’obtention de titres de séjour, Rétablir le délit de séjour irrégulier supprimé sous François Hollande par la loi du 31 décembre 2012, etc.
Parmi les propos tenus par les organisateurs sur la place publique, l’assurance qu’on est « davantage en sécurité à Mayotte grâce à Wuambushu », qui semble valider de fait un des trois objectifs de l’opération. Quant aux deux autres, les démolitions d’habitats insalubres ne font que reprendre leur rythme d’avant Wuambushu, et on ne peut encore le garantir pour les reconduites, avec un rythme moins soutenu pour les navires de la SGTM.
Anne Perzo-Lafond