L’opération de démolition était prévue depuis plusieurs mois, et répondait à une demande du syndicat Les Eaux de Mayotte d’implanter une station d’épuration censée raccorder deux villages, Trévani et Majikavo. Un projet d’utilité publique donc, pour laquelle il a fallu transférer le foncier du conseil départemental à la commune, puis au syndicat des eaux.
Une zone sise entre la route nationale et le lagon, sur laquelle était implanté un ensemble de cases insalubres. Une trentaine selon la mairie, 80 selon la préfecture. Il est vrai qu’avec l’arrivée annoncée du ministre de l’Intérieur qui a lancé un objectif de 1.000 cases à détruire, chaque tôle est comptée. En tout cas, une vingtaine de familles sont concernées, qui peuvent posséder plusieurs cases.
C’est la 3ème opération de démolition menée dans la commune de Koungou depuis le démarrage de Wuambushu, après Longoni et Talus 2. Avec à chaque fois des projets différents. Une partie du lycée des métiers du bâtiment pour la première, un ensemble de 54 logements au pied de Talus 2, et pour Barakani, une station d’épuration. « Elle sera conçue pour couvrir 25.000 habitants avec une extension prévue dans quelques années. », nous explique le maire Assani Saindou Bamcolo. Les travaux démarrent dans une semaine.
Avant la médiatisation des démolitions sous l’appellation Wuambushu, des opérations de bien plus grande ampleur avaient eu lieu, à Jamaïque, 234 cases détruites, ou à Carobole, pour cette opération, 421 logements seront reconstruits sur le site. Nous avions dressé un bilan de plus de 1.700 cases détruites sur Mayotte en deux ans.
Une flagrance compliquée à constater
Justement, en constatant la démolition effective du quartier de Talus 2 à Majikavo Koropa, de nombreux habitants de Barakani avaient rassemblé leurs clics et leurs tôles pour s’en aller construire plus loin, comme nous l’avait expliqué le maire de Koungou. Présent sur le site ce lundi, nous l’avons justement interrogé sur l’exercice de sa compétence de démolition en flagrance lorsqu’une case est en cours de construction. Histoire d’éviter que l’histoire ne se reproduise à l’infinie : « C’est compliqué car les constructions se font soit la nuit soit le week-end, quand il y a moins de surveillance. D’autres partent pour une autre commune. Nous avons des agents de brigade verte qui patrouillent, mais nous manquons de moyens. »
Les tractopelles n’ont donc pas eu beaucoup à démolir, essentiellement de la tôle à évacuer. Sur l’ensemble des 20 familles visitées par les travailleurs sociaux, seules les deux qui avaient déposé un recours, déboutées, ont accepté un relogement de la préfecture. Mais l’une était introuvable ce lundi. « Je ne comprends pas pourquoi alors que les deux tiers des personnes étaient en situation régulière, et que pour Talus 2, ce sont 44 familles qui ont bénéficié de relogement », indique Psylvia Dewas, Chargée de la résorption de l’habitat illégal et de la construction de logements sociaux à la préfecture de Mayotte. Beaucoup de familles sont présentes depuis longtemps à Mayotte sur cette zone et auront préféré se rapprocher de famille ou d’amis. Une permanence sociale est ouverte à la bibliothèque de Koungou.
Pas d’annonce de départ des forces de l’ordre
Sur les 9 arrêtés pris actuellement par le préfet, seuls trois ont été menés à terme, tous à Koungou où la commune bénéficie de l’expertise d’une équipe recrutée dans le cadre de la Nouvelle politique de rénovation urbaine (NPRU) pour laquelle la commune a été retenue en 2017. Deux autres quartiers de Mayotte en bénéficient, La Vigie et Kawéni.
Les autres périmètres concernés par les arrêtés du préfet sont Pamandzi, pour une structure de relogement avant démolition, trois sur Mamoudzou, dont un à côté du lycée Bamana va être pris cette semaine, un au Baobab, un conséquent à Doujani, « le maire veut y implanter un cimetière », indique encore Psylvia Dewas. Bandrélé est également concerné. Deux d’entre eux font l’objet de recours, l’un à Dzaoudzi dont l’audience se tiendra le 23 juin, et Hamouro, le 4 juillet.
Arrivé sur place le préfet confie être sollicité par l’ensemble des maires, « notamment pour venir à bout des marchands de sommeil, mais les périmètres ne sont pas tous définis. » L’opération menée dans le cadre de la loi Elan obéit à un cadre bien précis, « et à une logique à la fois collective et à la fois individuelle. Nous définissons avec les maires leurs projets et leurs besoins en terme de foncier, puis nous identifions le propriétaire du terrain ainsi que les occupants. Ces derniers reçoivent la visite d’enquêteurs sociaux qui leur indiquent que des propositions de relogement vont leur être faites, et l’insalubrité de la zone est évaluée par l’ARS. C’est ensuite que je prends un arrêté. Il peut se passer entre 3 et 6 mois entre le travail avec les maires et la démolition effective. »
Les opérations menées actuellement sont donc bien antérieures à la décision ministérielle de l’opération Wuambushu. Elles sont seulement multipliées en différents points de Mayotte, notamment grâce à l’apport de forces de l’ordre supplémentaires pour sécuriser les zones sujettes aux caillassages.
Ce fut d’ailleurs le cas sur Koungou les nuits qui ont précédé la démolition de Barakani ce lundi, les gendarmes ont du tirer plusieurs grenades lacrymogènes.
De quoi interroger le préfet sur la pérennité de ces forces de l’ordre supplémentaires, plus de 400 sont arrivées spécifiquement sur le territoire en avril. « Les quatre escadrons supplémentaires sont toujours présents, ainsi que la CRS 8 en zone police. Et vous avez remarqué qu’il y a eu une relève ! », une manière de sous-entendre, sans le confirmer explicitement, de leur maintien sur place au-delà de la date préalablement évoquée de la fin juin.
Avec peut-être une confirmation ministérielle à la fin de la semaine…
Anne Perzo-Lafond