Qui de l’œuf ou de la poule ? Une comparaison osée pour ces Protection Mères enfants qui prennent en charge le suivi de grossesses et des enfants jusqu’à 6 ans. Car les élus sont frileux à mettre en place une politique à destination des populations migrantes faute de compensation suffisantes de l’Etat, qui de son côté ne veut octroyer des aides qu’avec une garantie de volonté politique…
Face au désert médical et l’absence de suivi de grossesse aux Comores, les Protections Maternelles et Infantiles (PMI) sont vues comme un havre de sécurité pour les femmes enceintes arrivant par kwassa.
La PMI est en France, une compétence obligatoire des départements. Quand elle a été transférée au Département en 2006, elle n’avait pas donné lieu à une compensation budgétaire, rappelle la CRC qui a analysé son fonctionnement depuis 2017. De même que sur l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Ce qui explique pour ceux qui ne connaissent pas le dossier, le retard pris à l’allumage. C’est un rapport de l’IGAS (Inspection générale des Affaires sociales), encouragé par le président Soibahadine, qui aura mis cette aberration à jour. Donnant lieu en 2018 à une compensation rétroactive de 105,7 M€ au titre de la période 2009-2017, ainsi qu’une dotation annuelle de 14,5 M€ à compter de 2018. Une enveloppe spécifique de 20 M€ a en outre été octroyée pour le financement du programme de construction et de rénovation des centres d’accueil des PMI.
Des sommes sécurisées, avait demandé l’Etat, sur un budget annexe appelé pôle santé, famille, enfance (SFE). Ce qui a eu un effet « inattendu et paradoxal », indique la Chambre puisque ces compensations ont été considérées comme des plafonds de ressources à ne pas dépasser, alors qu’elles devaient être vues comme un apport supplémentaire de ressources. Un frein aux dépenses notamment d’investissement. D’autre part, les trois-quarts des crédits sont partis vers l’Aide sociale à l’enfance (119,1 M€) au détriment des PMI (61,5 millions d’euros).
Les PMI, un gouffre au péril imminent pour le CD
Le rattrapage de financement a permis de déployer les premiers outils de l’ASE (prévention spécialisée, accompagnement et hébergement collectif des mineurs, subventions aux associations de protection de l’enfance, etc.) en raison notamment de l’urgence à prendre en charge les mineurs accompagnés, mais au détriment des PMI, il et représente une ressource financière « non pérenne » souligne la CRC. Quant aux dotations annuelles de 14,5 millions d’euros, elles sont fixes chaque année alors que les besoins en prise en charge des futures mères avec enfant sont croissants.
En investissement, 15 millions d’euros sur les 20 millions alloués par l’Etat ont été mobilisés pour la mise en œuvre du programme de reconstruction, de réhabilitation et d’équipement des centres d’accueil. Actuellement, seuls quatre centres d’accueil ont été réalisés sur les dix qui sont prévus. La Chambre émet l’éventualité de rattacher le budget de la PMI au budget général.
De nombreux dysfonctionnements de gestion des PMI sont soulignés, imputables notamment au format « Unité de gestion » mis en place. Le directeur envisage la réorganisation complète des structures managériales, avec le découpage de Mayotte en deux territoires ayant à leur tête une équipe de coordination et de supervision. La Chambre préconise un suivi régulier de l’exécution budgétaire dans une meilleure coordination entre la DGS et le Pôle Santé, Famille, Enfance.
« L’hypertrophie des dépenses récurrentes par rapport aux recettes de même nature rend la situation financière du budget annexe SPE préoccupante, en dépit des moyens de compensation qui ont été accordés par l’État », constate la CRC. Pire, cela pourrait faire plonger le conseil départemental tout entier, « Les services de la collectivité sont conscients de l’insoutenabilité à très court terme de la trajectoire actuelle du budget annexe SPE », et ont fourni à la Chambre 4 scénario d’évolution dont la dernière version fait état d’un déficit prévisionnel de 155,8 millions d’euros en 2025, « qui suffirait probablement, s’il se vérifiait, à mettre en péril le fonctionnement même de la collectivité ».
Pas de remboursement des actes… faute de logiciel
D’où la recommandation des magistrats, devant « l’ampleur de la dégradation de la situation financière du budget annexe », de maitrise des dépenses et de recherche de ressources nouvelles. Et il y en a.
On sait que le public qui consulte en PMI est constitué à 90% d’étrangers. Mais la prise en charge des 10% d’assurée sociaux qui devrait être remboursée en partie par la Caisse de sécurité sociale, ne l’est pas, faute d’informatisation et de logiciel adapté. Le manque à gagner est de plus de 6 millions d’euros.
Pour les non-assurés sociaux, on sait que le conseil départemental supporte les charges sans compensation. Un fait dénoncé par le rapport interministériel « caché » dont nous avions révélé les grands traits. Et qui incite les magistrats à écrire qu’une « mise en place de l’AME ou d’un dispositif équivalent paraît de plus en plus plausible ». L’Aide médicale d’Etat permettrait l’accompagnement des soins des non affiliés sociaux. Encore faut-il que le conseil départemental se dote du logiciel de facturation manquant…
Par ailleurs, « une réflexion s’engage autour d’une extension des actes remboursés par l’assurance maladie à la PMI ».
Autres recettes, les fonds européens. Mais là encore, il va falloir donner des garanties. Or, des 11 millions d’euros de l’enveloppe FEDER 2014-2020 pour la construction-rénovation des 10 centres d’accueil, quasiment aucun acompte n’a été versé, preuve des « difficultés de la collectivité territoriale à organiser et assurer avec rigueur dans la durée le suivi administratif et financier des dossiers pour le financement des investissements », ce qui pourrait entrainer « un risque de perte définitive de recettes potentielles pour la PMI, de l’ordre de 10 M€ ». La création de la cellule « Europe » au sein du Département en 2022 doit répondre à cette problématique.
Lenteurs administratives
Outre la fragilité des entreprises locales, soulignée par la CRC, le Département s’est dit « conscient de la faible capacité de ses services à conduire et suivre les projets de reconstruction des centres d’accueil », la collectivité a ainsi passé avec la société publique locale (SPL) 976 une convention de délégation de maîtrise d’ouvrage.
Ces « lenteurs administratives » pénalisent l’action des personnels médicaux trop souvent confrontés à cette inertie, certaines zones géographiques étant plus sollicitée que d’autres, « dans le service ‘PMI femmes’ de Chiconi, 474 consultations ont été réalisées en 2021 avec un effectif d’une sage-femme », alors que celui de Koungou « a réalisé 3.569 consultations, soit 7,5 fois plus, avec un effectif de deux sages-femmes ».
En conclusion, si la Chambre relève « l’implication forte du vice-président en charge du secteur ou encore du recrutement d’un directeur expérimenté et motivé », elle constate que les résultats ne sont pas « à la hauteur de l’urgence de la situation ». A plusieurs reprises, il est suggéré un triumvirat CD-CHM-ARS à la tête du Pôle Santé, Famille, Enfance, « le Département de Mayotte n’est pas pour l’heure en mesure de relever seul ces défis », d’autant plus que « ses difficultés sont liées en partie aux effets d’un contexte migratoire sur lequel il n’a aucune prise ». Au minimum, toute aide supplémentaire pour la PMI doit être « subordonnée à l’amélioration de sa gestion, via un accompagnement formalisé par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens faisant l’objet d’un suivi régulier, rigoureux et effectif. »
Consulter le Rapport CRC PMI Mayotte 2022
Anne Perzo-Lafond