Que ce soit lors du trajet vers l’école le matin ou de la sortie le soir, les élèves de Mamoudzou voient la vie en jaune. Des adultes sont là pour veiller sur eux, et prévenir les naissances de conflit.
A l’origine, le capitaine Chamassi qui était encore actif au sein de la police nationale, avait créé en 2017 les Comités de médiation des sages et de prévention de la délinquance. Il décide de les vêtir de gilets jaunes, bien avant que le mouvement de protestation ne soit indentifié à cet accessoire dans l’Hexagone. On se souvient que, de passage à Mayotte en 2019, le ministre de l’Intérieur d’alors, Christophe Castaner, avait ironisé sur ce parallèle, « J’ai passé la nuit avec les ‘gilets jaunes’ ! ». Ceux de Mayotte bien entendu.
La circulation nocturne n’était plus devenue un problème, les habitants veillaient sur leur quartier.
Mais certaines voix s’étaient élevées pour dénoncer un rôle social donné à ces habitants bénévoles pour surveiller leur quartier, soupçonnant, à tort, qu’ils ne soient pas tous en situation régulière. Doublé de récupération à des fins de promotion personnelle d’un cadre de la police nationale en partance, et les gilets disparaissaient de la vue des automobilistes. La suite on la connaît, flambée de la délinquance, faute d’action de proximité pourtant la seule arme payante à Mayotte.
C’est toujours persuadé de l’utilité du dispositif décliné des « voisins vigilants » de l’Hexagone, que le capitaine Chamassi, désormais à la tête de la DPSU (Division de la prévention et de la sécurité urbaine) de Mamoudzou, réactivait en décembre 2021 ce qui s’appelle désormais « parents relais », et sur quasiment l’ensemble de la commune. Ils recevaient ce vendredi un visiteur de marque en la personne du préfet Thierry Suquet, qui a souhaité découvrir le dispositif, accompagné du secrétaire général adjoint chargé de la Cohésion sociale, Cédric Kari-Herkner, de Michel Santoro, Délégué du préfet à la réussite éducative, également accueillis par Nourainya Loutoufi, 3ème adjointe au maire de Mamoudzou. Cette dernière évoque un dispositif « qui fonctionne », « quand un enfant voit que c’est quelqu’un de la famille qui surveille, ça incite au respect. »
« Grâce aux parents relais, la police n’est pas intervenue »
Dès 6h20, ils répondent présents par équipe, l’une en matinée, l’autre en après-midi. Naslata est heureuse de faire partie du dispositif, « on sait que nos enfants sont protégés sur le chemin de l’école, c’est important pour nous », indique-t-elle tout en faisant barrage aux véhicules pour faire traverser des enfants.
Sur l’ensemble de la commune, ce sont 11 associations gérant chacune leur territoire qui ont signé une convention d’objectifs avec la mairie de Mamoudzou. Elles rassemblent chacune environ 50 adultes, « ils sont 500 parents relais, bénévoles, à être là tous les jours, indique Chaharoumani Chamassi, cela fait bientôt 3 ans que Kawéni s’est calmé ». Plusieurs établissements sont ainsi couverts, l’école primaire, les collèges K1 et K2, le lycée des Lumières et le LPO de Kawéni.
Le défi est immense avec 11.000 élèves scolarisés sur Kawéni. Thierry Suquet s’intéressait de prés au fonctionnement du dispositif : « Ce qui est novateur, c’est la territorialisation, cela prouve bien que la sécurité c’est bien l’affaire de tous. Deuxièmement, c’est important pour les enfants de voir devant eux des adultes responsables, cela a valeur d’exemple. Cela rejoint d’ailleurs la volonté du maire de Mamoudzou d’un accompagnement de chaque enfant par un parent ou un adulte référent sur le chemin de l’école. »
Rejoignant le capitaine Chamassi qui, quelques minutes avant, avait souligné l’importance de la présence d’adultes, « en prévention, c’est plus efficace qu’une arme à feu ». Et donnait un exemple aux médias sur place : « Il y a quelques semaines, des tensions internes entre jeunes du village sont apparues à Vahibé. Le responsable de l’association des parents relais de la zone m’a demandé de les laisser tenter de régler le problème avant d’appeler la police. Ils avaient peur que les jeunes se rassemblent contre les forces de l’ordre. Le problème a été traité, nous n’avons pas eu besoin d’intervenir. »
Prévention sur Wuambushu
Les représentants de quasiment toutes les associations de village étaient là, Manguiers, Bonovo, Doujani, Passamainty, Vahibé… « il n’y en a pas à Cavani ou au lycée Bamana, et on le voit, là où il n’y a pas ce dispositif, il y a des problèmes. Hier, on a déploré un caillassage », soulignait Chamassi.
Les 36 écoles primaires de la commune sont en cours de sécurisation, avec rehaussement des grilles et renforts sur les portails d’accès.
Face au préfet, il détaillait les trois axes visés : Accueil, Prévention, Médiation. « Les enfants sont sensibles à cet accueil par des adultes de leur quartier, qui font de la prévention par leur présence et en intervenant par la médiation pour des petits conflits quotidiens. On leur explique bien leur rôle, ce ne sont pas des policiers, encore moins une milice, si la situation devient délicate, ils appellent les forces de l’ordre ». Et tenait à préciser leur statut, « ils sont tous soit français, soit détenteur d’un titre de séjour. »
Deux d’entre eux tenaient à prendre la parole devant le préfet, essentiellement pour demander du matériel et des formations.
Jusqu’à présent, seuls les gilets ont été fournis à ces bénévoles, mais, au bout de plusieurs mois d’exercice, chaque association va recevoir une subvention de 10.000 euros de la mairie « pour s’équiper en talkie walkie, en sifflets, éventuellement en bouteilles d’eau, etc. », indiquait Chamassi. Un travail relationnel est également effectué avec les entreprises du secteur, bénéficiaires de cette surveillance préventive contre les délinquants.
Depuis le lancement de l’opération Wuambushu, trois associations surveillent également la nationale jusqu’à 20h, « entre le rond-point SFR et Disma, pour éviter les caillassages ».
De quoi abonder la demande des associations de pouvoir bénéficier des fonds nationaux, notamment du FIPD, Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance.
Thierry Suquet félicitait les acteurs et espérait que « d’autres mairies s’en inspirent », nous confiait-il : « Ce modèle de présence d’adultes sur la voie publique est un exemple de réussite. Il repose sur la capacité du maire à détecter les parents qui veulent s’impliquer ».
Anne Perzo-Lafond