Le garde des Sceaux a questionné le Conseil supérieur de la magistrature sur les limites de la liberté de parole des magistrats ainsi que sur leur droit de grève. Le premier porte sur l’utilisation des réseaux sociaux qui « bouscule le traditionnel équilibre entre la liberté d’expression reconnue à chaque magistrat et l’obligation déontologique de réserve et discrétion », rapporte la presse nationale.
Le ministre précise le contexte de l’expression des juges et des procureurs, « à l’occasion d’audiences solennelles, ou par le biais de l’expression syndicale ». Ce qui ne manque pas de résonner comme un écho à la prise de position très politique du Syndicat de la magistrature contre l’opération Wuambushu à Mayotte en février dernier, soit quelques semaines avant le début des opérations, qui dénonçait « l’instrumentalisation dont fait l’objet l’institution judiciaire qui se retrouve mise au service d’une politique pénale décidée par le ministère de l’intérieur. » Il visait notamment la brigade de 6 magistrats arrivés en renfort pour 6 mois. Mais le SM appelait surtout les pouvoirs publics « à prendre conscience de l’histoire, du contexte et de la nature de l’immigration mahoraise et rappelle qu’en fermant les frontières ultramarines, les autorités françaises n’ont fait qu’exacerber une différenciation entre nationaux et étrangers parmi des populations qui partagent une histoire, une géographie, une culture et une économie communes. » C’est un tonnerre de critiques qui pleuvaient à Mayotte, la population mahoraise rappelant son droit à disposer d’elle-même.
En conséquence, la suspension de l’opération de démolition de Talus 2 la veille de sa démolition par une présidente du tribunal judiciaire, ancienne vice-présidente du Syndicat de la magistrature, qui aurait en temps normal été appréciée pour sa valeur judiciaire, avait été inaudible par la population, et avait jeté de l’huile sur le feu naissant de l’opération de Gérald Darmanin. Depuis, cette juridiction a été déclarée incompétente en seconde instance.
Une coïncidence ambiguë
La question d’Eric Dupond-Moretti au Conseil supérieur de la Magistrature (CSM) dans un courrier daté du 2 mai dernier, soit une semaine après cet arrêt judiciaire, est-elle pure coïncidence ?
Même interrogation au quotidien Le Monde qui a interrogé le ministère de la Justice, qui a assuré que « cette demande d’avis n’est pas liée à la récente actualité sociale et aux prises de position critiques de certains magistrats contre la réforme des retraites, contre l’opération ‘Wuambushu’, à Mayotte, ou contre les interdictions de casserolades ». En citant l’entourage d’Éric Dupond-Moretti : « Cela ne fait écho à aucune discussion que l’on a vue dans l’actualité récente. On veut sortir de l’ambiguïté sur ces questions. L’ambiguïté ne sert personne. Et c’est légitime de demander l’avis du CSM, dont le rôle est d’aider le président de la République à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire, et avec qui on est dans une relation fluide et dans une concertation sur plusieurs sujets. »
Suspicion dans l’opinion publique
Pour autant, le ministre qui est venu en mars 2022 à Mayotte, souligne que certaines prises de position des magistrats peut « pour l’opinion publique, interroger le respect des obligations de réserve et de neutralité ainsi que des règles déontologiques, et donc nuire à l’image de la justice de manière générale ». Une forte suspicion avait en effet suivi la décision indexée du tribunal judiciaire.
Rappelons que les relations du ministre avec les magistrats n’étaient déjà pas au beau fixe qui l’avaient accusé l’année dernière d’avoir profité de sa fonction, une fois à la tête du ministère de la Justice, pour régler des comptes avec certains d’entre eux avec qui il avait bataillé lorsqu’il était avocat. Ce que le ministre a contesté.
Sur la 2ème partie concernant le droit de grève, même demande d’éclaircissement au CSM, au regard de l’appel à une « Justice morte » des syndicats de magistrats en novembre 2022, alors que la loi leur interdit « toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions », et que la méthode parfois utilisée de renvoi des audiences est elle-même encadrée pour éviter tout contournement de la loi, puisque l’article 4 de la loi du 29 juillet 1961 de finances rectificative pour 1961 dispose que : « L’absence de service fait pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d’indivisibilité ».
C’est l’Union syndicale des magistrats qui a le premier répondu au ministre s’interrogeant sur une « maladresse ou une provocation » de sa part avec la crainte de vouloir « limiter l’exercice syndical », ce à quoi le ministère répondait qu’aucune démarche législative n’a été engagée, pas plus que disciplinaire contre les grévistes.
Nous l’avons dit, Wuambushu a politisé les actions de tous les côtés de la lutte contre l’immigration clandestine. Au moins le CSM va-t-il fournir de quoi sortir de « l’ambiguïté » ?
Anne Perzo-Lafond